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3. La corruption politique à la fin de la République romaine (II e I er siècles av J C.) 1 Introduction

3.3. La prévention de la corruption politique

3.3.1. La prestation de serment

Cette procédure était effectuée en deux temps suite à l’élection d’un magistrat. En premier lieu, ce dernier devait prêter serment après la fin des comices électoraux et l’annonce de son élection. La lex Latina Tabulae Bantinae, une tablette bilingue (en latin et en osque) datée de la fin du IIe siècle av. J.-C153, atteste cette pratique pour l’époque républicaine154. Bien que le texte soit fragmentaire, la mention du serment est claire ; la

liste des magistrats concernés apparaît dans les lignes suivantes concernant le deuxième serment. Ces nouveaux magistrats juraient par la formule « per Iovem deosque Penates » (par Jupiter et par les dieux Pénates), attestée dans le serment des scribes des municipes, comme le montre la lex coloniae Genetivae155.

Dans un deuxième temps, une autre promesse était faite dans les cinq jours de l’entrée en charge du magistrat. Celui-ci jurait alors de respecter les lois par ce que les Romains appelaient le iusiurandum in leges156. Le cadre de cet acte était très symbolique

puisque le magistrat était contraint de l’effectuer face au peuple réuni au Forum (pro

contione157). Le nouveau magistrat devait aussi faire un vote solennel (votorum nuncupatio) au Capitole158.

152 Cf. Hansen (1975) 21-36 ; Hansen (1999) 212-24.

153 Cf. discussion sur la datation dans Crawford (1996) 195-97. 154 Lex latina Tabulae Bantinae, éd. Crawford (1996) l. 14–22.

155 Lex coloniae Genetivae, éd. Crawford (1996) ch. 81. Sur la fides et ces serments, cf. Freyburger (1986)

206-12.

156 Liv. 31.50.7. Cf. lex municipalis Salpensana, éd. FIRA, ch. 26 (81–84 apr. J.-C.).

157 Lex Acilia repetundarum, éd. Crawford (1996) l. 17. Sur les contiones, cf. Pina Polo (1989). 158 E.g. Liv. 21.63.7.

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Si toutes ces démarches n’étaient pas remplies dans un délai de cinq jours, le magistrat pouvait se voir déchu de sa charge. Tite-Live rappelle qu’ « il n’est pas permis d’exercer une magistrature durant plus de cinq jours si l’on n’a pas prêté serment sur les lois159 ». La rigueur de cette mesure évoluera et, par exemple, une loi municipale d’époque

flavienne établira seulement une amende comme châtiment160.

Ce type de renseignements sur la prestation de serment se trouve généralement en tant que détails secondaires ou lorsqu’il y eut des problèmes. En 199 av. J.-C., C. Valerius Flaccus, prêtre de Jupiter (flamen Dialis), fut élu édile curule. Son statut religieux lui imposait pourtant de nombreuses restrictions : parmi celles-ci il lui était interdit de voir un ennemi en armes, ce qui l’écartait des commandements militaires et des magistratures comme le consulat et la préture. En outre, il n’avait pas le droit de jurer par Jupiter, ce qui avait des conséquences : « C. Valerius, qui était présent lors de son élection, ne pouvait pas jurer in leges car il était prêtre de Jupiter161 ». Finalement, le problème fut résolu et Valerius Flaccus prononça son serment par l’intermédiaire d’une tierce personne162.

De même, le magistrat était tenu de prononcer un serment à la fin de son mandat, lorsqu’il devait jurer ne pas avoir agi contre les lois (nihil contra leges fecisse163) au Forum, devant les citoyens164. Comme pour le serment d’entrée en charge, les sources mentionnent

cette procédure seulement dans des cas exceptionnels. A la fin de son turbulent consulat en 63 av. J.-C., Cicéron voulut profiter de cette occasion pour s’adresser au peuple une dernière fois en tant que consul. Le tribun de la plèbe Q. Caecilius Metellus Nepos lui interdit de le faire. Dans une lettre, Cicéron raconte son point de vue sur cette affaire et comment il s’en sortit victorieux : « Je suis sûr que tu connais l’affaire. La veille des calendes de janvier, Q. Metellus Nepos, un très méchant citoyen, m’infligea un affront à moi, un consul, comme personne n’en a jamais infligé au plus modeste magistrat ; à moi, qui avait conservé le gouvernement sain et sauf. Metellus Nepos m’empêcha de tenir une

159 Liv. 31.50.7: « magistratum autem plus quinque dies, nisi qui iurasset in leges, non licebat gerere ». 160 Lex municipalis Salpensana, éd. FIRA, ch. 26 (81–84 apr. J.-C.).

161 Liv. 31.50.7 : « C. Valerius Flaccus, quem praesentem creaverant, quia flamen Dialis erat iurare in leges

non poterat » ; Fest. p. 92L.

162 Cf. Gell. 10.15.31 (sur les prohibitions au flamen Dialis); cf. Vanggaard (1988) 58ss, notamment p. 60–61

(exemples d’autres flamines Dialis qui furent élus magistrats, tous eux postérieurs à Valerius Flaccus).

163 Cf. Liv. 2.37.12; DC. 53.1 ; Plut. Marc. 4; Cic. 19. 164 Liv. 39.23.1; Plut. Cic. 23.

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assemblée au moment où je quittais ma magistrature. Cette insulte devint pourtant le plus grand honneur pour moi : car, comme il me permittait seulement de prêter serment, j’ai prêté d’une voix puissante le serment le plus sincère et le plus beau. Le peuple jura avec une grande clameur que j’avais juré la vérité165 ». L’orateur rapporte ailleurs les termes de

son serment : « Que le gouvernement et cette ville ne sont sains et saufs que par mes actes166 ». De cette manière, Cicéron voulut démentir les accusations relatives à la mise à mort sans procès des membres de la conspiration de Catilina.

L’importance de ce serment ne doit pas être minimisée. Le serment engageait celui qui le prononçait et sa propre fides167. Le parjure était maudit168, car Jupiter châtiait celui qui rompait son serment ; cet aspect du dieu transparaît dans l’expression Dius

fidius169. L’historien Polybe souligne le respect des Romains pour la fides170. A la fin de la

République, Cicéron affirme de manière rhétorique que les Romains ne craignaient plus la colère des dieux : « Car ça ne concerne plus à la colère des dieux, qui n’existe pas, mais à la justice et à l’honnêteté171 ». Les raisons morales et éthiques avaient prit la place des scrupules religieux dans les ouvrages philosophiques de l’élite.