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3. La corruption politique à la fin de la République romaine (II e I er siècles av J C.) 1 Introduction

3.3. La prévention de la corruption politique

3.3.4 La non-itération des postes

Finalement, certaines lois établirent des mesures pour prévenir l’itération des postes, notamment pour les propréteurs et les proconsuls. Les Romains s’étaient déjà aperçus qu’un long gouvernement dans une province mettait à la disposition du magistrat plus

184 Selon le juriste d’époque impériale (IIe-IIIe siècles apr. J.-C.) Callistrate (2 quaest.) Dig. 35.1.82, la

reddition des comptes suivait les étapes suivantes : l’examen des documents (legendas offere rationes), la vérification du déroulement des calculs (computendas offere rationes), la remise du solde (reliqua solvere) et l’arrêté du compte (subscribere rationes), qui était accepté ou refusé (cf. Minaud (2002) 332). Il est possible que ces étapes aient été également mises en pratique pendant la République.

185 Pseud-Asc. 226Stangl ; cf. Cic. Flacc. 43.

186 Cic. Pis. 61 : « Nummus interea, mi Caesar, neglectis ferculis triumphalis, domi manet et manebit.

Rationes ad aerarium rettuli continuo, sicut tua lex iubebat, neque alia ulla in re legi tuae parui. Quas rationes si cognoris, intellegis nemini plus quam mihi litteras profuisse. Ita enim sunt perscriptae scite et litterate ut scriba ad aerarium, qui eas rettulit, perscriptis rationibus, secum ipse caput sinistra manu perfricans commurmuratus sit: « Ratio quidem hercle apparet, argentum oikhetai ». L’exclamation du scribe est une citation de Plaute (Trin. 419).

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d’opportunités d’extorquer les provinciaux ou de frauder le trésor public188. Ce fut le cas du gouvernement de Verrès en Sicile pendant trois ans. En outre, nous devons aussi mettre en évidence le lien entre corruption politique et corruption électorale : les Romains en étaient conscients, car c’était un procédé fortement répandu. Certains politiciens s’endettaient à un haut degré pendant les élections avant de se remettre grâce aux profits issus d’un gouvernement dans une province. Au contraire, certains gouverneurs s’enrichissaient dans leur poste afin d’employer cet argent dans les prochaines élections ; cette dernière raison fut alléguée par les accusateurs de M. Aemilius Scaurus le Jeune en 54 av. J.-C. afin de raccourcir le délai pour le procès189.

Les mesures pour contrôler cette situation sont largement absentes pendant les deux derniers siècles de la République, peut-être parce qu’une bonne partie des sénateurs était intéressée à perpétuer cet état des faits. Ce n’était qu’en 180 av J.-C. que la lex Villia

annalis avait établi un intervalle de deux ans entre chaque magistrature190. Il est significatif que les seules initiatives postérieures dans ce sens proviennent de deux politiciens au sommet de leur pouvoir, qui désiraient réduire le nombre de leurs rivaux. En premier lieu, pendant son troisième consulat (52 av. J.-C.), Pompée promulgua la lex Pompeia de

provinciis, confirmant un sénatus-consulte de l’année antérieure191. Cette loi établissait un intervalle de cinq ans entre la préture ou le consulat et les postes dans les provinces ; elle essayait d’empêcher les sénateurs de dépenser de grandes sommes pendant les élections avec l’espoir de rentrer dans leurs fonds ensuite grâce à un gouvernement provincial. Elle ne fut en vigueur qu’en 51-50 av. J.-C., car le début de la guerre civile entraîna la fin du fonctionnement habituel des magistratures. Les lettres de Cicéron ont laissé un écho de son application ; cette loi établissait que, faute de magistrats, les anciens consulaires devraient se charger des commandements et des postes provinciaux. C’est ainsi que Cicéron fut envoyé en Cilicie contre son gré.

La deuxième mesure fut promulguée en 46 av. J.-C. César avait identifié l’itération des magistratures comme un problème clé de la République : l’itération offrait des

188 Dans sa Politique, Aristote s’était aussi aperçu du fait que la corruption, et notamment le péculat, était

favorisée par une charge publique durable (Arist. Pol. 1308b10-15; 308b31-09a25). Cf. Harvey (1985) 80.

189 Asc. 19C. Traduit dans p. 106.

190 Liv. 40.44.1; Cic. Off. 2.59; Fam. 10.5.2. 191 Cic. Att. 8.3.3; DC. 40.46 ; 40.56.

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possibilités aux gouverneurs de s’enrichir, d’enraciner leur pouvoir personnel dans leur province et de s’opposer ainsi au gouvernement ou d’imposer son opinion, comme cela avait d’ailleurs été son cas. Il voulut limiter les pro-magistratures par la lex Iulia de

provinciis : « Y-a-t-il une loi meilleure, plus utile et même la meilleure de toutes, demandée

très souvent par notre gouvernement, que celle qui établit que les provinces prétoriennes ne seraient pas obtenues pour plus d’une année et les provinces consulaires plus de deux ans192 ? ».

Ces mesures ne sont pas exclusives de la République. Auguste et Tibère agirent dans le même sens afin d’éviter que des rivaux indésirables puissent s’enrichir dans les provinces193. La province de l’Egypte était non seulement un lieu stratégique, à cause de

son rôle dans le ravitaillement en blé de Rome, mais elle était aussi une source d’énormes richesses. Dès lors, les empereurs s’emparèrent de cette province et interdirent aux sénateurs de s’y rendre sans permission expresse194. En outre, son gouvernement fut confié à un préfet de l’ordre équestre, qui ne représentait aucun danger comme rival dans une éventuelle lutte pour le pouvoir à Rome, car il n’appartenait pas à l’élite sénatoriale. Le contrôle financier des éventuels compétiteurs était très important pendant le Principat. Les mesures de Pompée et César devraient aussi être replacées dans ce contexte.

En conclusion, nous pourrions affirmer que les Romains avaient envisagé un système de contrôle fondé sur quatre mesures clés : le serment des magistrats, la présentation de garanties, la reddition des comptes et la restriction de l’itération des postes à la tête de l’administration d’une province. Il est difficile d’établir quelle en était l’efficacité.

Les sources n’ont retenu aucun exemple de procès intenté à un politicien pour avoir prononcé un faux serment. Le système des garanties donnait à l’Etat la possibilité de se retourner contre les garants du magistrat qui aurait extorqué de l’argent afin de leur demander des compensations. L’absence de sources à ce propos nous empêche d’en dire davantage. La reddition des comptes semblait la méthode la plus complète et la plus

192 Cic. Phil. 1.19 : « Quae lex melior, utilior, optima etiam re publica saepius flagitata, quam ne praetoriae

provinciae plus quam annum neve plus quam biennium consulares obtinerentur? » ; cf. également Phil. 1.24 ; 5.7 ; 8.28 ; DC. 43.25.3.

193 Cf. Syme (1939) 379-80. 194 DC. 52.42.6.

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efficace pour contrôler les éventuels détournements. Qualitativement, le contrôle de la comptabilité grâce à la lex Iulia établissait des procédés très détaillés et exhaustifs pour prévenir les manipulations. La mesure de Pompée contre l’itération de postes pour freiner l’enrichissement dans les provinces semble aussi efficace, mais sa courte durée ne permet pas d’évaluer son impact. Le caractère littéraire des sources, qui ne visent pas à nous offrir un catalogue de chaque crime, ne permet pas de préciser l’efficacité de ces mesures à l’aide de critères quantitatifs. Il faut pourtant souligner que les Romains avaient reconnu les failles du système qui donnaient lieu à la corruption et avaient établi des mesures préventives, bien que celles-ci ne réussissent pas dans tous les cas.