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Les mesures de contrôle avant l’établissement des quaestiones perpetuae (jusqu’en 149 av J C.)

3. La corruption politique à la fin de la République romaine (II e I er siècles av J C.) 1 Introduction

3.4. La répression de la corruption politique : la législation

3.4.1.1. Les mesures de contrôle avant l’établissement des quaestiones perpetuae (jusqu’en 149 av J C.)

Les tentatives de contrôle des crimes de peculatu et de rebus repetundis ont leur origine dans les premiers siècles de la République. Les procédures employées pour les deux crimes étaient identiques, sauf pour un seul cas : en effet, il existait des moyens légaux réservés aux citoyens romains (iudicium populi) et d’autres qui étaient employés de préférence par des étrangers, comme le Sénat et les recuperatores.

Le iudicium populi, procédure réservée aux citoyens, commençait généralement lorsqu’un édile ou un tribun de la plèbe dénonçait la personne fautive202 et l’appelait pour une enquête (inquisitio203). Dans le cas du procès de M’. Acilius Glabrio en 189 av. J.-C., deux tribuns l’accusèrent204. Cicéron énonce les caractéristiques d’un iudicium populi : « Les iudicia populi ont été réglés par nos ancêtres de manière très modérée : en premier lieu, une peine capitale ne doit pas être unie à une amende ; ensuite, personne ne peut être accusé sans avoir fixé un jour, pour que le magistrat accuse trois fois, à un jour d’intervalle, avant d’imposer une amende ou de juger ; la quatrième accusation doit être faite après une période de trois marchés et le verdict être rendu ce jour205 ».

L’inquisitio était tenue pendant trois jours dans des assemblées du peuple, avec des débats nommés prima, secunda et tertia accusatio. Au moment de la quatrième séance (quarta accusatio), l’inculpé était accusé formellement auprès du peuple et ce dernier votait la punition206. Dans le cas de la peine capitale, le peuple s’organisait par des centuries. Par

201 Cf. p. 166-67. 202 Liv. 45. 37.

203 Sur les cas dans lesquels les tribuns pouvaient accuser, cf. Jones (1972) 16ss. 204Liv. 37.57.12.

205 Cic. Dom. 45 : « Nam, cum tam moderata iudicia populi sint a maioribus constituta, primum ut ne poena

capitis cum pecunia coniungatur, deinde ne improdicta die quis accusetur, ut ter ante magistratus accuset intermissa die quam multam inroget aut iudicet, quarta sit accusatio trinum nundinum prodicta die, quo die iudicium sit futurum ».

206 Sur les iudicia publica, cf. Mommsen (1899) 161–71 ; Greenidge (1901) 344–49 ; Jones (1972) 6–15 ;

Bauman (1996) 10ss. Sur l’acte d’accusation des tribuns de la plèbe, cf. e.g. Cic. Leg. 3.6; 3.27; 3.44; Sest. 65; Dom. 45.

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contre, s’il s’agissait d’une amende, on appelait les comices par tribus. Cette différence peut résulter du fait que les centuries divisaient les citoyens romains selon leur statut financier. En outre, dans ce cas-ci, une fois que la majorité était atteinte, le vote était interrompu, ce qui octroyait un grand pouvoir de décision aux nantis207. Dans le cas de

Glabrio, suite aux débats préliminaires, le peuple se réunit pour prononcer un verdict. Nous avons déjà mentionné que cette accusation était étroitement liée à sa candidature à la censure208. Lorsque Glabrio décida de se retirer des élections, la procédure fut interrompue : « Une amende de cent mille as fut proposée. On débattit celle-ci par deux fois ; la troisième fois, comme l’accusé avait retiré sa candidature, le peuple ne voulut pas voter au sujet de l’amende et les tribuns laissèrent tomber l’affaire209 ».

La démarche des procès par le peuple fut aussi utilisée dans les enquêtes contre les frères Scipion en 187 av. J.-C., accusés de détournement de butin. Dans ce dernier cas, pourtant, il y eut une discussion au Sénat à propos de l’institution qui devait se charger de l’enquête, montrant la coexistence de deux procédures. Deux tribuns avaient soumis le projet d’une enquête au peuple, prétextant la domination et le pouvoir des Scipions sur le Sénat. Cette proposition dut faire face au veto de deux autres tribuns, fondé sur un problème de compétence, à savoir que la tâche revenait au Sénat qui gérait les fonds publics210 : « Quintus et Lucius Mummius s’opposaient à cette proposition ; ils étaient favorables au fait que le Sénat enquête sur l’argent qui n’avait pas été remis au Trésor, comme il avait été toujours fait. Les frères Petilii dénonçaient la naissance noble et le pouvoir des Scipions dans le Sénat211 ». Après ces âpres discussions, les frères Mummii

cessèrent toute opposition, laissant le champ libre à une enquête populaire, au lieu d’une enquête sénatoriale212. Il semble que le procès contre Scipion l’Africain n’aboutit pas et

207 Sur le mélange dans les comices par tribus, contrairement aux comices par centuries, cf. Cic. Leg. 3.6 ;

3.10–11 ; 3.27 ; 3.44–45.

208 Cf. p. 114-15.

209 Liv. 37.58.1 : « Centum milium multa irrogata erat ; bis de ea certatum est ; tertio, cum de petitione

destitisset reus, nec populus de multa suffragium ferre voluit et tribuni eo negotio destiterunt ».

210 Pol. 6.17.6. Selon Walsh (1993) 188, la discussion sur les compétences est anachronique car, à ce propos,

les sources ont seulement gardé le cas de Acilius Glabrio, déjà mentionné. A notre avis, cet argument ex silentio ne peut pas justifier l’hypothèse d’anachronisme.

211 Liv. 38.54.5–6: « Huic rogationi primo Q. et L. Mumii intercedebant ; senatum quaerere de pecunia non

relata in publicum, ita ut antea semper factum esset, aequum censebant. Petilii nobilitatem et regnum in senatum Scipionum incusabant ».

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qu’il mourut dans un exil volontaire à Liternum213. Par contre, son frère Lucius Scipion Asiagenes, le général qui commandait la guerre contre Antiochos, fut accusé et condamné

de peculatu à payer une forte amende214.

Le chef d’accusation de repetundis pouvait lui aussi être jugé par un iudicium

populi, mais seulement si le tort avait été porté contre un citoyen romain, ce qui excluait

toute réclamation effectuée par les étrangers ou alliés. Le procès contre A. Pleminius, le légat de Scipion l’Africain à Locri en 205-204 av. J.-C., est l’exemple le plus ancien de cette procédure215. Suite à de nombreuses exactions, les habitants de cette ville envoyèrent une ambassade au Sénat pour dénoncer le vol du trésor du temple de Proserpine et le meurtre, sur l’ordre de Pleminius, de quelques tribuns militaires romains216. Le Sénat établit

une commission d’enquête pour capturer les malfaiteurs et les ramener à Rome, où ils furent jugés par un iudicium populi. Tite-Live décrit l’ambiance des assemblées et des débats : « D’abord, présentés devant le peuple par les tribuns de la plèbe, il n’y eut de place pour aucune miséricorde dans des esprits envahis par le malheur des Locriens. Plus tard, comme ils étaient présentés plus fréquemment, l’hostilité vieillissait et la colère s’atténuait. La laideur même de Pleminius217 et le souvenir de la non-assignation de Scipion l’Africain

leur procuraient la faveur du peuple218 ». Le procès contre Pleminius ne fut pas achevé. Les récits de sa fin divergent selon les auteurs. Tite-Live mentionne qu’il mourut en prison pendant le procès alors que d’autres historiens affirment qu’il périt tandis qu’il essayait de mettre à feu la ville de Rome219. Cette affaire montre deux procédures différentes : en premier lieu, le Sénat étudia l’affaire suite à la réception de l’ambassade et envoya une enquête sur place. Deuxièmement, un iudicium populi eut lieu à Rome dans lequel Pleminius fut probablement accusé de l’assassinat des tribuns militaires, puisque ce type de procédure pouvait seulement juger les crimes commis contre des citoyens romains.

213 Liv. 38.52; Sen. Ep. 86.

214 Liv. 38.55.4-7 ; Val. Max. 5.3.1c ; Gell. 6.19.8.

215 Cf. une liste et des commentaires aux exactions romaines entre 211 et 123 av. J.-C., cf. Toynbee (1965),

vol. II, 608-45.

216 Cf. une analyse du discours des Locrians devant le Sénat dans Burck (1969) 307ss. 217 Il avait été défiguré par des tribuns à Locri.

218 Liv. 29.22.7–9 : « Ac primo, producti ad populum ab tribunis apud praeoccupatos Locrensium clade

animos, nullum misericordiae locum habuerunt ; postea cum saepius producerentur, iam senescente invidia molliebantur irae et ipsa deformitas Plemini memoriaque absentis Scipionis favorem ad vulgum conciliabat ».

219 Liv. 29.22; Diod. 27.4; Val.Max. 1.1.21; App. Han. 55; DC. fr. 57. 62. Cf. Grosso (1952) 119-135 sur le

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Les enquêtes sénatoriales ont déjà été mentionnées dans cette section : le cas contre Pleminius s’ouvrit avec l’envoi par le Sénat d’une délégation pour examiner les faits. Les accusations contre le préfet A. Hortensius en 170 av. J.-C. furent également jugées par le Sénat220.

Le manque de toute procédure disponible pour les provinciaux à l’encontre des magistrats romains, outre une enquête sénatoriale, fut comblé par la première fois en 171 av. J.-C. Cette année-là, plusieurs ambassades hispaniques déposèrent des plaintes auprès du Sénat contre certains magistrats chargés de cette province ; leur principal chef d’accusation était l’extorsion d’argent. Le Sénat chargea le préteur désigné pour l’Hispanie, L. Canuleius Dives, de choisir un panneau de cinq recuperatores et de fournir des patroni (des Romains qui les aideraient et parleraient à leur place) aux provinciaux221. Le premier

accusé, M. Titinius (préteur en 178 av. J.-C.), fut absous suite à deux ajournements (ampliationes)222. Les deux autres inculpés, P. Furius Philus (préteur en 174) et M. Matienus (préteur en 173) s’exilèrent avant la fin du procès223. La rumeur laissait entendre que les patroni empêchaient de s’en prendre aux gens puissants. Ce soupçon fut corroboré lorsque le préteur chargé de l’affaire partit pour sa province, selon Tite-Live : « Il y avait la rumeur que les patroni défendaient d’attaquer les nobles et les puissants ; le préteur Canuleius renforça ce soupçon car, laissant de côté l’affaire, décida de lever des troupes et ensuite partit tout à coup vers sa province, pour que d’autres personnes n’étaient pas attaquées par les Hispaniques224 ». Cette procédure ne fut pas employée systématiquement : l’année suivante, en 170 av. J.-C., les extorsions de Hortensius furent condamnées par le Sénat225.

En dépit de son échec dans l’affaire sordide des Espagnols, la procédure des

recuperatores était employée pendant la première moitié du IIe siècle av. J.-C., bien que les

220 Liv. 43.4.8-13. Cf. p. 128-29.

221 Liv. 43.2.3. Les patroni choisis furent M. Porcius Cato, P. Cornelius Scipio Nasica, L. Aemilius Paullus et

C. Sulpicius Gallus, tous des figures de premier rang de l’Etat romain. Sur les patroni, cf. Canali de Rossi (2001).

222 Liv. 43.2.6. 223 Liv. 43.2.10.

224 Liv. 43.2.11: « Fama erat prohiberi a patronis nobiles ac potentes conpellare ; auxitque eam suspicionem

Canuleius praetor quod omissa ea re dilectum habere instituit, dein repente in provinciam abiit, ne plures ab Hispanis vexarentur ».

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sources se montrent assez laconiques à cet égard226. Nommés par un des préteurs, les

recuperatores ne se consacraient pas exclusivement aux plaintes des provinciaux : ils

étaient chargés surtout des causae liberales (où la liberté de quelqu’un était mise en doute227), des affaires qui impliquaient des amendes payables à l’Etat ou qui comprenaient

des offenses nuisibles à l’ordre public228. Le chef d’accusation de repetundis était inclus

dans cette dernière catégorie comme crime pernicieux pour l’Etat.

Cette procédure était-elle avantageuse pour les provinciaux ? Dans un premier temps, l’absence d’un préteur préposé exclusivement aux cas d’extorsion des provinciaux pouvait nuire à une affaire, puisqu’il pouvait quitter Rome pour sa province comme le fit le préteur chargé de l’Hispanie en 171 av. J.-C. Par contre, les recuperatores pouvaient juger même les jours néfastes et ils devaient rendre leur jugement dans un délai déterminé, ce qui empêchait la prolongation superflue du procès229. Il ne faut pas toutefois assimiler les

recuperatores de l’époque républicaine à ses homonymes de l’époque impériale, pour

lesquels existe un dossier épigraphique assez riche230, grâce notamment au SC Calvisianum d’Auguste (4 av. J.-C231).

Ce sénatus-consulte instaura à nouveau les recuperatores comme procédure principale pour les cas de repetunda et, probablement aussi pour le peculatus232, pour plusieurs raisons : en premier lieu, l’accusé ne perdait pas sa dignité car le procès ne se déroulait pas devant le préteur, mais au Sénat233 ; la publicité était ainsi réduite. Cinq juges d’ordre sénatorial jugeaient les accusés. En deuxième lieu, les requérants jouissaient d’une procédure plus expéditive ; il s’agit de la raison proposée pour justifier le sénatus-consulte

Calvisianum234. Cependant, la restitution était simple, non double ou quadruple. Il s’agissait

d’un problème d’attentes: les provinciaux qui désiraient récupérer une partie de leur argent plus rapidement y recouraient, en dépit du fait que les quaestiones étaient encore en fonctionnement.

226 Cf. Cic. Tull. 10; Gaius, Inst. 4.46 ; 4.105 ; 4.109 ; 4.185; lex agraria, éd. Crawford (1996), l. 35–37. 227 Suet. Dom. 8; Paulus (17 ed.) Dig. 42. 1. 36.

228 Schmidlin (1963). Par exemple, un procès entre un soldat romain et un allié (Liv. 26. 48), un procès de

repetunda (Liv. 43. 2) ou les restitutions après la guerre de Mithridate (lex Antonia de Thermessibus).

229 Johnston (1987) 68-69.

230 SC Calvisianum et la Lex Irnitana. 231 FIRA 1, 68; Sherk (1969) 174–82.

232 Cf. SC Calvisianum, éd. Sherk (1969) l. 133. 233 SC Calvisianum, éd. Sherk (1969) l. 102. 234 SC Calvisianum, éd. Sherk (1969) l. 93-94.

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