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Les cadeaux et les pots-de-vin offerts par les ambassadeurs étrangers

3. La corruption politique à la fin de la République romaine (II e I er siècles av J C.) 1 Introduction

3.5. Des comportements aux frontières de la corruption politique

3.5.1. Les cadeaux et les pots-de-vin offerts par les ambassadeurs étrangers

Les cadeaux faits aux sénateurs par les ambassadeurs n’étaient pas réglés par la loi à l’époque républicaine et les condamnations étaient aussi très rares. Ces comportements n'étaient pas considérés comme des délits, au même titre que le péculat ou la pecunia

repetunda, mais subissaient quand même des tentatives de contrôle de la part du

gouvernement romain.

Premièrement, il faut étudier la mentalité des Romains relative aux ambassades. De même qu’une grande partie des peuples antiques, les Romains avaient l’habitude de recevoir des cadeaux de la part des ambassadeurs et, en même temps, d’en offrir à ces derniers. Il s’agissait de règles de politesse et d’habitudes diplomatiques. Cette mentalité du don s’étendait parfois aux membres de l’élite gouvernante ; de cette manière, les ambassadeurs leur exprimaient leur respect, essayaient de gagner leur bienveillance et, parfois, réussissaient à capter des supports au Sénat364.

Dans le cadre de ces habitudes diplomatiques, les membres de l’élite romaine marquaient une claire différence entre un cadeau et un pot-de-vin : ce dernier provenait d’un ennemi, tandis qu’un allié envoyait plutôt des cadeaux. Entre 280-279 av. J.-C., le roi Pyrrhus décida d’envahir l’Italie pour secourir les communautés d’origine grecque du Sud de la péninsule, assiégées par Rome. A ce moment-là, il entama des négociations avec les Romains par l’entremise d’un ambassadeur de haut niveau, Cineas. Ce dernier, diplomate et orateur exceptionnel, qui avait même été pupille de Démosthène, offrit des cadeaux à certains politiciens. La réponse des Romains fut exemplaire : ils refusèrent d’accepter des dons de la part d’un ennemi, en même temps qu’ils affirmaient que ces cadeaux seraient tout à fait convenables de la part d’un allié : « Ils n’acceptèrent pas ces cadeaux et tous lui donnèrent une seule et même réponse : que maintenant ces cadeaux ne convenaient pas du tout, car il était un ennemi. S’il obtenait la paix et devenait un ami du peuple romain, ils

364 Cf. Bederman (2001) 88-136 ; Linderski (1995)453ss ; cf. Canali de Rossi (1997) pour une liste des

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recevraient avec plaisir ces cadeaux, car ils seraient devenus alors irréprochables365 ». Valère Maxime et Plutarque relatent l’épisode de Cineas : il faut rappeler que ces deux auteurs aiment à relever l’aspect moral de ce type d’histoires366. En outre, la plupart des récits sur les premiers siècles de la République tendent à mettre en évidence la supériorité morale des Romains face à la corruption des étrangers, installant ainsi un doute quant à l’historicité de ces propos. Dans ce même sens, l’histoire raconte que le consul C. Fabricius Lucinus refusa aussi en 278 av. J.-C. une offre d’or de la part de Pyrrhus et qu’il mit en outre en garde ce dernier contre un complot qui visait à l’empoisonner367. Il faudrait néanmoins comparer ces récits moralistes avec les affirmations du triumvir Crassus ; pour convaincre les sénateurs de la nécessité d’annexer l’Egypte, il soutenait que, en faisant autrement, le Sénat d’accordait son appui à la corruption. Celle-ci consisterait à accepter comme amis ceux qui étaient prêts à payer, et à rejeter, en tant qu’ennemis, ceux qui ne l’étaient pas : « Moi je te tiendrai pour mon ennemi, si tu ne donnes riens ; si tu me donnes quelque chose, je te considèrerai comme mon allié et ami368 ». En effet, ces remarques de Crassus font allusion aux pots-de-vin payés par le roi de l’Egypte aux Romains369.

Etant donné que les Romains établissaient une différence entre cadeaux et pots-de- vin, comment et pourquoi ces offres d’argent devinrent-elles répréhensibles, sans être considérées comme des délits à proprement parler ? Bien que les sources aient seulement conservé un petit échantillon de tous les cas, nous trouvons des exemples de cadeaux offerts aux politiciens romains par des ambassadeurs étrangers aux alentours de 160 av. J.- C. Avant 161 av. J.-C., Timarchus, satrape de Babylonie et de Médie370, se rendit à Rome

comme ambassadeur afin de discréditer Demetrius auprès des Romains. Ce dernier, otage de Rome, avait réussi à s’échapper, aidé par des amis comme l’historien Polybe, et à se faire proclamer monarque de Syrie371. Timarchus offrit de l’argent à Rome, ciblant des sénateurs qui accepteraient des pots-de-vin à cause de leur situation financière délicate ou

365 Diod. 22.6.3. On ne sait pas si Cineas effectua une seule ambassade ou deux et la date de ces deux

légations est incertaine. Cf Liv. 34.4.6. Liv. Per. 13. Sur les pots-de-vin : Val. Max. 4.3.14; Plut. Pyrr. 18.4-5; Zon. 8.4. Cf. Briscoe (1981) 52 sur la date de l’ambassade.

366 Sur Plutarque, cf. Pelling (1995) 211-12. Sur Valère Maxime, cf. Martin Bloomer (1992) 22-23. 367 Sen. Ep. 120.

368 Schol. Bob. Reg. Alex. 92-93Stangl : « Ego te, nisi das aliquid, hostem, si quid dederis, socium et amicum

iudicabo » ; cf. Leg. agr. 2.41 ; 2.44.

369 Cf. p. 181-82. 370 App. Syr. 235.

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de leur endettement : « Arrivant avec beaucoup d’argent, il corrompit les sénateurs par des présents, attirant surtout ceux qui étaient dans une position économiquement faible372 ». Il retourna à Rome en 161 av. J.-C., employant les mêmes moyens373. Dans aucun des deux cas les sources ne mentionnent de procès ou de dénonciation politique de ces cadeaux. L’année suivante, une ambassade d’Epire voulut influencer une décision du Sénat en offrant de l’argent aux sénateurs. Devenu roi d’Epire après avoir condamné tous ses ennemis à mort, Charops, ayant appris que ceux-ci avaient réussi à s’exiler, chercha à faire approuver ses actes par le Sénat. Il se heurta à l’opposition de M. Aemilius Lepidus,

princeps senatus, et de Paul-Emile, qui refusèrent de l’accueillir à Rome. Charops réussit

néanmoins à plaider sa cause devant le Sénat, mais il n’obtint pas de réponse, malgré son rôle important comme allié de Rome dans la lutte contre le roi Philippe V de Macédoine au début du siècle374.

L’affaire de Jugurtha constitue la première enquête qui soit conservée par les sources à propos des pots-de-vin offerts par des ambassades aux sénateurs romains ; elle est intéressante car elle constitue le moment où les pots-de-vin commencèrent à être considérés comme inacceptables dans la politique romaine. En 112 av. J.-C., la situation politique du royaume de Numidie était chaotique : suite à la mort du roi Micipsa en 118 av. J.-C., son fils adoptif Jugurtha avait essayé de se débarrasser de ses deux frères, Hiempsal et Adherbal. Ce dernier réussit à s’échapper et demanda l’aide de Rome, qui décida de partager le royaume entre Jugurtha et Adherbal. Outrepassant cette décision, Jugurtha attaqua la ville de Cirta, tuant en même temps Adherbal et plusieurs hommes d’affaires italiens. Pendant les deux ans qui suivirent, les consuls chargés de la guerre contre Jugurtha signèrent des traités avec lui, ce qui provoqua un scandale à Rome375. En même temps, un tribun de la plèbe, C. Memmius376, exprima publiquement la rumeur selon laquelle Jugurtha avait corrompu certaines personnes, parmi lesquelles ses partisans au Sénat, les consuls et légats qui luttaient en Numidie: « L’autorité du Sénat a été passée à l’ennemi le plus farouche, votre pouvoir a été trahi ; le gouvernement a été vendu dans notre patrie et à

372 Diod. 31.27a.

373 Cf. App. Syr. 46.67; Pol. 33.18 ; Canali de Rossi (1997) n° 569. 374 Pol. 32.6.3–9 ; sur Charops, cf. Diod. 31.31.

375 Sal. Iug. 27.27.5 ; 29 ; 30. 376 Sal. Iug. 27.1–2 ; 31.

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l’étranger377 ». En effet il faut rappeler que, au début de la guerre, Jugurtha avait envoyé son fils et deux amis à Rome pour distribuer de l’argent aux sénateurs: « Ayant entendu ces nouvelles inattendues, car il soutenait que l’on pouvait tout acheter à Rome, Jugurtha envoya son fils et deux membres de sa famille auprès du Sénat comme ambassadeurs. Il leur ordonna la même chose qu’à ceux qu’il avait envoyés après l’assassinat de Hiempsal : qu’ils assaillent tout le monde avec de l’argent378 ». Les accusations furent formalisées et le gouvernement romain décida d’enquêter sur ces imputations. Cet événement est important car il montre que le gouvernement avait décidé que ces pratiques étaient nuisibles à l’Etat ; un procès fut alors entamé. Jugurtha se vit octroyer un sauf-conduit pour venir témoigner sur ces pots-de-vin dans une séance publique : « Faisant souvent des discours similaires, Memmius persuada le peuple d'envoyer L. Cassius, qui était alors préteur, auprès de Jugurtha pour qu'il l'amene à Rome avec la garantie de la protection de l’Etat afin d'éclairer plus facilement grâce aux renseignements du roi les délits de Scaurus et des autres, qui étaient inculpés de s’être emparé d’argent379». Selon Salluste, le roi acheta un tribun de la plèbe pour que celui-ci lui interdise de parler devant l’assemblée380.

Etant donné que les pratiques de Jugurtha étaient tenues pour criminelles et qu’il n’existait aucune loi pour les juger, le tribun de la plèbe C. Mamilius Limetanus fit voter un plébiscite (lex Mamilia de coniuratione Iugurthina) en vertu duquel des enquêtes seraient menées contre plusieurs sénateurs et magistrats par des tribunaux ad hoc381. Cette loi établissait trois enquêteurs (quaesitores382) parmi lesquels se trouvait M. Aemilius Scaurus, bien qu’il fût légat auprès d’un des accusés, L. Calpurnius Bestia383.

377 Sal. Iug. 31.25 : « Hosti acerrumo prodita senatus auctoritas, proditum imperium vostrum est ; domi

militiaeque res publica venalis fuit ». C. Memmius, tr. pl. 111 av.; praet. 104, assassiné par Glaucia dans les comices de 100 av. J.-C. Selon Cicéron (Brut. 136) il était un orateur médiocre, mais un accusateur redoutable.

378 Sal. Iug. 28.1 : « At Iugurtha, contra spem nuntio accepto, quippe cui Romae omnia venire in animo

haeserat, filium et cum eo duos familiaris ad senatum legatos mittit eisque, uti illis quos Hiempsale interfecto miserat, praecipit omnis mortalis pecunia aggrediantur ». Pace Allen (1938) 90-92, qui pense que l’influence de Jugurtha auprès du Sénat était due à ses liens avec le groupe des Scipions.

379 Sal. Iug. 32.1 : « Haec atque alia huiuscemodi saepe dicundo Memmius populo persuadet uti L. Cassius,

qui tum praetor erat, ad Iugurtham mitteretur eumque interposita fide publica Romam duceret, quo facilius indicio regis Scauri et reliquorum, quos pecuniae captae arcessebat, delicta patefierent ».

380 Sal. Iug. 33-34

381 Sal. Iug. 40 ; cf. 65 ; Cic. Brut. 127–28 ; Nat. deor. 3.74. C. Mamilius Limetanus, trib. pleb. 109 av. J.-C. ;

son cognomen était issu d’une loi sur les limites qu’il avait passé (cf. Cic. Leg. 1.55 ; Paul (1984) 116).

382 Sal. Iug. 40. 383 Sal. Iug. 28.4 ; 40.

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Les chefs d’accusation ne sont pas spécifiés. Salluste mentionne plusieurs crimes : « Entretemps le tribun de la plèbe C. Mamilius Limetanus présenta au peuple une proposition : on enquêterait contre ceux qui avaient conseillé Jugurtha d’ignorer les dispositions du Sénat ; contre ceux qui avaient accepté de l’argent en tant que légat ou commandants ; contre ceux qui avaient livré des éléphants et des fugitifs et, aussi, contre ceux qui avaient effectué des traités avec l’ennemi sur la guerre et la paix384 ». En premier lieu, il faut souligner qu’aucune de ces accusations ne tombait sous le coup des lois en vigueur ; le cas échéant, elles auraient été jugées devant un tribunal criminel ordinaire. Deuxièmement, deux hypothèses peuvent expliquer la présence de trois enquêteurs : (1) la

lex Mamilia avait établi trois tribunaux différents pour juger trois chefs d’accusation, (2) le

nombre d’accusés était élevé et il fallait trois personnes pour les juger. La première éventualité, la plus probable, prend en considération le fait que les tribunaux étaient couramment établis pour juger un seul crime et plusieurs accusés385. Ces cours devraient être classées dans la catégorie des quaestiones extraordinariae. En outre, les accusés furent jugés par des Gracchani iudices, ce qui veut dire que ces cours étaient composées de chevaliers, de même que les tribunaux permanents et extraordinaires en fonctionnement386.

Ces trois tribunaux condamnèrent plusieurs politiciens et militaires en vue, parmi lesquels C. Sulpicius Galba, en dépit d’un plaidoyer que les enfants l’apprenaient encore par cœur au temps de Cicéron387. Quatre anciens consuls furent également condamnés : L. Calpurnius Bestia, déjà mentionné, C. Cato, Spurius Albinus et L. Opimius, célèbre pour son rôle dans l’assassinat de Caius Gracchus388. Cette affaire mit en évidence que le gouvernement romain changea d’attitude vis-à-vis les pots-de-vin offerts par des ambassadeurs à des sénateurs dans l’intention de les influencer.

Une accusation de ce genre contre des ambassadeurs pouvait cependant se retourner contre le politicien qui l’avait prononcée, notamment si ces ambassadeurs possédaient de nombreux alliés à Rome et si les accusations portaient atteinte au respect dû aux

384 Sal. Iug. 40.1: « Interim Romae C. Mamilius Limetanus tribunus plebis rogationem ad populum

promulgat, uti quaereretur in eos quorum consilio Iugurtha senati decreta neglegisset, quique ab eo in legationibus aut imperiis pecunias accepissent, qui elephantos quique perfugas tradidissent, item qui de pace aut bello cum hostibus pactiones fecissent ».

385 Laboulaye (1845) 187-88 qui analyse cette caractéristique des tribunaux romains. 386 Cic. Brut. 128.

387 Cic. Brut. 127. Cf. Bardon (1952) vol. 1, p. 99.

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ambassades. Entre 103 et 101 av. J.-C., une ambassade du roi Mithridate VI Eupator voulut manifestement corrompre une partie du Sénat, ce qui fut dénoncé publiquement par le tribun de la plèbe L. Saturninus389. Lui-même fut alors accusé d’avoir outragé les délégués, une accusation que l’historien Diodore qualifie de megalè hubris390. Le danger face auquel

se trouvait Saturninus était bien réel : les outrages à des ambassadeurs étaient sévèrement punis à Rome car ils pouvaient déclencher un conflit politique. L’accusé était livré à l’Etat offensé ou jugé à Rome et encourait la peine capitale. Face à cette éventualité, Saturninus se présenta en suppliant devant le tribunal, probablement un tribunal spécial ; ce comportement et l’appui du peuple lui valurent son acquittement391.

Pendant la première moitié du Ier siècle av. J.-C., certains politiciens s’inquiétèrent des cadeaux offerts par certaines ambassades et ils décidèrent d’établir des mesures de contrôle. Celles-ci ne parvirent pourtant pas à faire considérer ces actes comme des délits.

En premier lieu, le but des ambassades au Sénat était d’être reçu, et le plus vite possible. Pour y parvenir, selon le Scholiaste de Bobbio, les ambassadeurs semblent avoir recouru à des versements pour convaincre les consuls: « En effet les ambassades envoyées par les peuples étrangers au Sénat étaient habituellement reçues selon un ordre déterminé par la volonté du consul. Les consuls décidaient le plus souvent par complaisance, et parfois contre rémunération, de l’ordre d’introduction au Sénat392 ». En 111 av. J.-C., le roi Jugurtha envoya des ambassadeurs à Rome pour justifier devant le Sénat l’assassinat de son cousin Adherbal, héritier du trône, et le massacre d’adultes et de commerçants italiens à Cirta393. La rumeur voulait que le consul P. Cornelius Scipio Nasica ait retardé à dessein le tour de réception de ces ambassadeurs afin de faire monter les enchères. Cicéron rapporte une anecdote selon laquelle, « ayant décrété une suspension des affaires et rentrant à la maison, le consul P. Nasica demanda au crieur Granius si sa tristesse était provoquée par l’interruption des ventes aux enchères. « Au contraire », répondit Granius, « elle est issue

389 Cf. Diod. 36.15.1 ; cf. Canali de Rossi (1997) n° 618. Sur Saturninus, cf. Cavaggioni (1998) 75-81. 390 Diod. 36.15.1; cf. App. BC. 1. 18.

391 Diod. 36.15.1.

392 Schol. Bob. 158Stangl : « Nam legationes ab externis populis missae ad senatum solebant ordinari pro

voluntate consulum. Quas plerumque gratia, nonnumquam et accepta pecunia consules ordinabant, ut introduci ad senatum possent ». Cf. Cic. Planc. 33.

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de l’ajournement des ambassades394 ». Ironiquement, Cicéron affirme que le fourbe Verrès ne se sentirait à l’aise au Sénat que pendant le mois de février, lorsque les ambassades étaient souvent reçues395. Pour freiner ces pratiques, le tribun de la plèbe A. Gabinius promulgua en 67 av. J.-C. une loi qui réservait définitivement le mois de février pour la réception des ambassades au Sénat396.

La prohibition d’accorder des prêts aux étrangers à Rome semble également être liée à ce type de mesures préventives. Vers 69 av. J.-C., une ambassade de Crétois aurait distribué aux sénateurs des sommes empruntées sur place397. En 67 av. J.-C., le tribun de la plèbe Cornelius exigea une décision du Sénat visant à éviter ce type de situations. Il allégua que les sommes empruntées par les ambassadeurs étaient en train d’anéantir les provinces, car celles-ci devaient s’acquitter aussi des intérêts dus aux créanciers : « Les provinces sont épuisées par les prêts à intérêt398 ». En outre, certaines gens profitaient de ce système399. Mais le Sénat lui rappela qu’il avait déjà légiféré à propos de ce sujet : « Cornelius proposa au Sénat que personne n’offre de l'argent aux ambassadeurs étrangers, parce que de grandes sommes avait été prêtées à intérêt aux ambassadeurs étrangers de manière honteuse et infâme pour faire du profit. Le Sénat réfuta ce rapport et décréta que tout avait déjà été prévu par le sénatus-consulte passé quelques années auparavant sous le consulat de L. Domitius et C. Caelius. Suivant ce même sénatus-consulte, le Sénat avait récemment interdit les prêts à intérêt aux Crétois400 ». Nous ignorons si cette dernière mesure visait aussi les membres d’autres nations étrangères à part les Crétois. Malgré l’opposition du Sénat, le tribun A. Gabinius réussit à faire promulguer, peut-être cette même année, une loi

394 Cic. Planc. 33: « Consuli P. Nasicae praeco Granius medio in foro, cum ille edicto iustitio domum

decedens rogasset Granium quis tristis esset; an quod reiectae auctiones essent: « immo vero », inquit, « quod legationes ». Sur le crieur Granius, cf. Brut. 160; De Orat. 2. 244; 2.254; 2.281ss; Lucil. 20.3.

395

Cic. 2Verr. 2.76 : « quando autem homo tantae luxuriae atque desidiae nisi Februario mense adspirabit in curiam ? ».

396 Cf. Cic. Fam. 1.4.1; Att. 1.14.5. Cf. Bonnefond (1984) 71-73.

397 Cf. DC. 30–35. fr. 111 ; Diod. 40.1 ; Asc. 57C ; Cic. 2Verr. 2.76. Canali de Rossi (1997) n° 201. Sur

l’ambassade des Crétois, cf. DC. fr. 111; Diod. 40.1.1–3 ; Marshall (1985) 218 ; Schneider (1974) 134.

398 Asc. 58C : « exhauriri provincias usuris ». 399 Asc. 58C.

400 Asc. 57C : « Rettulerat ad senatum ut, quoniam exterarum nationum legatis pecunia magna daretur usura

turpiaque et famosa ex eo lucra fierent, ne quis legatis exterarum nationum pecuniam expensam ferret. Cuius relationem repudiavit senatus et decrevit satis cautum videri eo S.C. quod aliquot ante annos L. Domitio C. Caelio coss. factum erat, cum senatus ante pauculos annos ex eodem illo S.C. decrevisset ne quis Cretensibus pecuniam mutuam daret ». Rotondi a nommé cette proposition: Rogatio Cornelia ne quis legatis exterarum natiorum pecuniam expensam ferret (Rotondi (1912) 371).

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qui étendait l’interdiction d’emprunter à Rome à tous les provinciaux401. La lex Gabinia de

versura Romae provincialibus non facienda considérait la notion de versura dans son

acceptation la plus générale d’emprunt ou d’emprunt prolongé402. Cette disposition pourrait être envisagée comme un procédé pour restreindre les pots-de-vin des ambassades. En outre, en dépit de notre ignorance sur le poids de ce corollaire aux yeux des Romains, cette loi favorisait le flux de capitaux à Rome car les ambassadeurs et les provinciaux qui se rendaient dans cette ville devaient transporter les sommes nécessaires à leur séjour et à leurs dépenses sur place403.

Des cas d’infractions ou des contournements de cette dernière loi ont été conservés. L’affaire la mieux documentée se trouve à la fin de la République et il s’agit des efforts déployés par le roi d’Egypte pour influencer les Romains en sa faveur; en outre, le passage atteste des effets néfastes de ces comportements pour les habitants des royaumes concernés. En 59 av. J.-C., pendant le consulat de César, Ptolémée XII Neos Dionysos, surnommé

Auletes, arrosa avec libéralité les triumvirs afin d’obtenir le titre d’ami et allié du peuple

romain404. Pour ce faire, il emprunta fortement à des financiers romains, notamment au

chevalier Rabirius Postumus405. L’année suivante, le roi fut expulsé d’Egypte suite à une révolte des habitants d’Alexandrie et il s’adressa à Rome pour demander une intervention