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2. La corruption électorale à la fin de la République romaine

2.5. Les bénéficiaires de la corruption électorale

2.5.3 Les bénéficiaires des jeu

Dans un premier temps, les munera étaient des jeux funéraires ; à la fin de la République, ils devinrent une arme politique, employée notamment lors les élections265. Ils commencèrent progressivement à être célébrés quelques années après la mort du défunt et, de préférence, en même temps qu’une candidature électorale ou au cours d'une magistrature266. Le lien entre jeux funéraires et corruption électorale est aussi attesté dans la législation contre l’ambitus, notamment dans son interdiction pendant les deux ans précédant une campagne électorale conformément à la lex Tullia267.

Ces jeux avaient probablement lieu au Forum, où tous les citoyens pouvaient s’y rendre. L’architecte Vitruve affirme à ce propos que le forum des colonies italiennes avait été conçu pour les jeux de gladiateurs à cause de sa forme allongée268. A Rome, suite aux émeutes qui suivirent l’assassinat de l’ancien tribun Clodius en 52 av. J.-C., une bonne partie du centre politique de Rome fut réduite en cendres. César, qui planifia sa

261 Cic. Mur. 75-76: « Atque ille homo eruditissimus ac Stoicus stravit pelliculis haedinis lectulos Punicanos

et exposuit vasa Samia quasi vero esset Diogenes Cynicus mortuus et non divini hominis Africani honestaretur ».

262 Cic. Mur. 75-76. 263 Cic. Vat. 32.

264 Cic. Mur. 67. Cf. p. 63-64.

265 Ville (1981) a étudié cette évolution des munera. Cf. aussi Futtrell (1997) 29-44.

266 Les jeux qui commémoraient la mort du père de César furent organisés vingt et un ans après sa mort,

lorsque son fils devint édile (Plin. NH. 33.40 ; DC. 37.8.1).

267 Cic. Mur. 67. 268 Vitr. 5.1.1-2.

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reconstruction, y inclut des passages souterrains et une galerie parallèle à la basilique Iulia ; certains chercheurs ont cru y identifier des passages conçus pour les jeux dans le Forum269.

La position centrale des jeux dans la ville de Rome suppose que tous les habitants étaient les spectateurs potentiels de ces jeux, au moins ceux qui réussissaient à trouver une place. Contrairement au théâtre, il n’y avait pas de sièges réservés aux membres de l’élite, avec quelques exceptions décrétées par le Sénat en hommage à des Romains illustres. Les descendants de Maenius, le consul du IVe siècle av. J.-C., disposaient d’un endroit réservé, là où se dressait la colonne érigée par leur ancêtre270. Ce même privilège fut proposé par Cicéron pour la famille de Servius Sulpicius Rufus, le juriste décédé au cours d’une ambassade271. En général, dans les jeux, certaines places étaient vendues. Plutarque rapporte une anecdote à ce propos. Peu de temps avant son échec dans l’élection pour son troisième tribunat, Caius Gracchus exigea que des places payantes soient enlevées du Forum, afin que les citoyens pauvres puissent assister aux jeux. Face au refus des consuls, il ordonna aux ouvriers de les démonter pendant la nuit272.

Quant au rapport entre les élections et les jeux, les candidats pouvaient octroyer des places dans ceux-ci à des amis, des clients et des électeurs pour s’attirer leur bienveillance. A la fin de 63 av. J.-C., L. Murena fut accusé d’avoir offert à un électeur la place d’une des vestales issue de sa famille: « Si la Vestale, membre de sa famille et très proche, lui a offert sa place pour les jeux de gladiateurs, elle le fit par affection ; Murena n’en est pas coupable273 ». En effet, les Vestales disposaient d’une place réservée pour les jeux. Des

étrangers liés au candidat, notamment des clients des provinces, pouvaient aussi être présents dans ces jeux. Cela est confirmé par une lettre de Cicéron à son ami Atticus, datée de 60 av. J.-C., dans laquelle il lui raconte une conversation qu'il avait eue avec Clodius : « Lorsque nous escortions un candidat, Clodius me demanda si j’avais alors eu l’habitude d’octroyer aux Siciliens des places pour les jeux de gladiateurs. J'ai répondu que non.

269 Coarelli (1992 [1985]) 211-23.

270 Pseud.Asc. 201.14 ; Porph. ad Hor. Sat. 1.3.21; cf. Ville (1981) 433. 271 Cic. Phil. 9.7.1.

272 Plut. CGracc. 12.3-4.

273 Cic. Mur. 73 : « si virgo Vestalis, huius propinqua et necessaria, locum suum gladiatorium concessit huic,

non et illa pie fecit et hic a culpa est remotus ». La place fut offerte par la Vestale au chevalier L. Natta, ami de Murena.

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« Pourtant moi », dit-il, « comme leur nouveau patron, j’établirai cette coutume274 ». En 63 av. J.-C., certains candidats demandèrent au Sénat de clarifier la lex Calpurnia de ambitu (67 av. J.-C.) pour souligner que celle-ci interdisait d’offrir des places aux jeux aux membres de plusieurs tribus275. Cette pratique fut condamnée par la lex Tullia de ambitu

(63 av. J.-C.) qui ne permettait pas d’en offrir aux membres de tribus autre que celle du candidat276.

La présence de citoyens romains (amis du candidat et électeurs) et d’étrangers aux jeux est attestée par les sources277. La présence des femmes est plus incertaine car la plupart des sources sur ce sujet datent du début de l'Empire. Leurs places étaient établies dans la partie supérieure du cirque par Auguste278. Ovide suggère néanmoins que l’on pouvait tirer des avantages avec les femmes dans la foule d’un munus279 . Parmi les rares références pour l'époque républicaine, nous trouvons le cas de l’épouse de Sylla, Valeria, qu’il rencontra aux jeux280.

Un public important à des jeux organisés pendant les élections pouvait garantir des échos plus grands dans la ville, ne serait que par le nombre. En outre, toutes ces gens profitaient aussi de la corruption électorale car, d’une certaine façon, une maigre partie des revenus des classes plus aisées était redistribuée au profit des autres groupes sociaux. Ce phénomène pris une telle ampleur que l’ambitus pouvait provoquer la ruine financière d’un candidat281.

L’étude des bénéficiaires de la corruption électorale a montré que tous les moyens étudiés étaient complémentaires. Pour gagner la faveur du peuple de manière légale ou illégale, splendeur était le mot clé : « Finalement que toute ta campagne électorale soit pleine d’apparat, brillante, splendide, populaire, qu’elle soit pleine de la plus grande

274 Cic. Att. 2.1.5 : « quin etiam cum candidatum deduceremus, quaerit ex me num consuessem Siculis locum

gladiatoribus dare. negavi. At ego, inquit, novus patronus instituam ». Sur les obligations des patrons des villes, cf. Eilers (2002) 84ss.

275 Cic. Mur. 67. 276 Cic. Mur. 67 ; 73.

277 Sur l’importance des acclamations pour les Romains aux jeux et aux théâtre, cf. le songe de Pompée la

veille de la bataille de Pharsale, où il rêve qu’il est applaudi et acclamé au théâtre (Plut. Pomp. 68.2). Sur ce sujet, cf. Aldrete (1999) 101-27.

278 Suet. Aug. 44.4. 279 Ov. Ars Am. 1.175-76. 280 Plut. Sull. 25.3.

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splendeur et dignité282 ». Le conseil de l’auteur du Commentariolum petitionis emploie l’adjectif popularis dans ses recommandations à Cicéron. Dans ce cas-ci, il est dépourvu de toute connotation négative et se limite à souligner le fait que la campagne électorale doit plaire au peuple, un aspect important pour gagner une élection.

Le candidat devait aussi tenir compte du revers de la médaille. En premier lieu, aucun moyen ne garantissait un retour sous forme de vote. Même le paiement après les élections ne pouvait pas assurer au candidat que le citoyen avait voté pour lui, surtout suite à l’introduction du vote secret dans la décennie de 130 av. J.-C. Le candidat pouvait promettre mais sans garantie qu'il s'acquitterait de sa promesse une fois l'élection passée, une éventualité mentionnée par la rogatio Aufidia283.

2.6. La perception de la corruption électorale