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3. La corruption politique à la fin de la République romaine (II e I er siècles av J C.) 1 Introduction

3.2. Définition et formes de la corruption politique 1 Le peculatus : le vol à l’Etat

3.2.3 La res repetunda : le vol et l’extorsion aux provinciau

3.2.3.3. Les gratifications illégales

Le fait de recevoir ou de demander de l'argent aux provinciaux pouvait également entraîner une accusation de repetundis contre un ancient magistrat. Ceux qui avaient été contraints à payer leur gouverneur pouvaient réclamer leur dû devant le Sénat ou devant le

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Plut. Luc. 13.4 .

138 IG. 5.1.1432-33 ; analyse de l’inscription dans Rostovtzeff, vol. 3 (1941) 1564, n. 29.

139 Cic. Flacc. 32 : « Discripsit autem pecuniam ad Pompei rationem, quae fuit accommodata L. Sullae

discriptioni. Qui cum omnis Asiae civitates pro portione [in provincias] discripsisset, illam rationem in imperando sumptu et Pompeius et Flaccus secutus est ».

140 Cf. IG 5.1.1432-33 ; cf. Val.Max. 8.5.2 ; Cic. Font. 24 ; Ferrary (1977) 657 ; De Souza (1999) 102. 141 Cic. 2Verr. 5.61: « accipere a civitatibus pecuniam ne nautas darent ».

142 Cf. Tauromenium: Cic. 2Verr. 5.50; Messana: 5.43; Henna et Herbita: 5.113; Netum: 5.113 ; Tyndaris:

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tribunal permanent. Par contre, un provincial ou un souverain qui aurait offert un pot-de-vin à un magistrat allait rarement exiger sa restitution.

Tite-Live raconte qu’en 187 av. J.-C. des tribuns de la plèbe accusèrent Scipion l’Africain d’avoir reçu des pots-de-vin, sans disposer de preuves fiables : « Ils l’accusèrent d’avoir accepté de l’argent sur la base de soupçons plutôt que de faits etablis143 ». Cette

accusation fait allusion à une offre avantageuse du roi Antiochos III au moment du séjour de l’Africain en Asie comme légat de son frère Lucius. Le roi essaya de se rallier son support dans les négociations avec les Romains : « Après que l’ambassadeur se rendit compte qu’il n’allait rien obtenir auprès du conseil, il essaya en privé, comme il lui était ordonné, de tenter l’esprit de Publius Scipion. Avant tout l’envoyé d’Antiochos III lui dit que le roi allait lui rendre son fils sans rançon. Ensuite, ignorant le caractère de Scipion et les coutumes romaines, il lui promit une grande somme d’argent et une association dans tout le règne, à l’exception du titre de roi, si Antiochos obtenait la paix par sa médiation144 ». La proposition du roi était séduisante: selon J. Briscoe, il ne lui offrait pas une association dans le gouvernement du royaume, mais une participation aux revenus145.

Cette hypothèse laisse entrevoir la portée économique de l’offre, étant donné la richesse des territoires de l’Asie mineure. Selon Tite-Live, en bon Romain intègre, Scipion refusa toute proposition royale146.

Les ennemis du peuple romain étaient souvent accusés d’avoir atteint leurs buts par des gratifications illégales aux magistrats ; cette idée sera développée davantage dans la section sur les offres d’argent par des ambassadeurs à Rome147. Lorsque ces offres avaient

un rapport avec l’administration provinciale ou avec les étrangers, elles tombaient sous la catégorie de repetundis. Sylla reprocha à Mithridate de posséder la Phrygie par le biais d’un

143 Liv. 38.51.1 : « suspicionibus magis quam argumentis pecuniae captae reum accusarunt »; cf. DC. 39.12–

13 ; 39.60-62.

144 Liv. 37.36.1-2 : « Legatus postquam nihil aequi in consilio impetrare se censebat, privatim - sic enim

imperatum erat - P. Scipionis temptare animum est conatus. Omnium primum filium ei sine pretio redditurum regem dixit; deinde ignarus et animi Scipionis et moris Romani, auri pondus ingens pollicitus, et nomine tantum regio excepto societatem omnis regni, si per eum pacem impetrasset ». Cf. Pol. 21.15.

145 Briscoe (1981) 342. 146 Liv. 37.36.3-8.

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paiement à M’. Aquillius, le consul de 129 av. J.-C148. Le procès contre Aquillius est attesté par Cicéron149. Selon Appien, Sylla ajouta que ce dernier avait été condamné de repetundis et que tous ses actes avaient été déclarés illégaux150. Cette référence à une condamnation est contestable. Dans un autre ouvrage d’Appien, La guerre civile, l’auteur cite le procès contre Aquillius parmi les acquittements injustes du tribunal de repetundis qui déclenchèrent le changement de la composition des jurys en faveur des chevaliers en 122 av. J.-C151. Il est possible qu’Aquillius fut acquitté mais que le Sénat ait révoqué toute action prise par ce magistrat pendant son mandat, comme la concession de la Phrygie à Mithridate V.

Dans cette section, nous avons voulu établir une typologie des crimes de corruption politique sur la base de la division peculatus-res repetunda. Le sénateur qui commettait un

peculatus s’appropriait du butin ou des fonds de l’Etat. Dans le premier cas, l’essor de ces

affaires au début du IIe siècle av. J.-C. a été mis en rapport avec la situation financière de l’époque : face à un trésor presque vide suite à la Deuxième Guerre Punique et avec la perspective de nouvelles guerres à l’Est, l’Etat romain s’intéressa aux butins comme forme d’injection financière. Quant à la res repetunda, nous avons identifié les modalités principales : les contributions des provinciaux (collationes), les réquisitions abusives (notamment de grain, d’argent et de prestations pour la flotte) et, finalement, les gratifications illégales. Il est parfois difficile de discerner dans les sources si les provinciaux s’exécutaient volontairement ou forcés par les gouverneurs romains. Ceux-là avaient intérêt à s’attirer la bienveillance des Romains ; ils n’étaient pas en état de rejeter des requêtes effectuées par de puissants politiciens ou par des gouverneurs. Le gouvernement romain voulut légiférer à ce propos pour contrôler les exactions de leur personnel dans les provinces. Après des mesures ponctuelles, souvent plus favorables à une partie des domaines romains qu’à l’autre, la lex Calpurnia de rebus repetundis (149 av. J.- C.) remédia à cette situation inégale ; cette loi établit en effet un tribunal permanent et un cadre juridique pour juger de ce crime.

148 App. Mith. 231-32. Il y a une erreur chronologique, puisque Appien crut qu’il s’agissait de Mithridate VI

au lieu de Mithridate V Euergetes. Goukowsky (2001) 180 indique que cette erreur était souvent commise par les sources tardives (cf. Oros. 4. 20).

149 Cic. Div. Caec. 69; Font. 38. 150 App. Mith. 231.

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