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Reformuler, réécrire, recréer

I. 2 – Pratiques et enjeux de la réécriture

La réécriture constitue un thème capital en littérature. On n’écrit pas à partir rien ; avant d’être écrivains, ces derniers ont été lecteurs. Leurs productions ont été influencées par les œuvres qu’ils ont lues ou qu’ils ont déjà écrites. Ce lien ou cette influence est appelée l’intertextualité. Parmi les différentes variantes d’un même texte est lorsqu’un écrivain se réécrit lui-même, c’est-à-dire, les diverses versions d’un court segment de texte réécrites par l’auteur, notamment à travers ses brouillons ou les différentes éditions qui se sont succédées.

Le but de se réécrire soi-même est de rechercher la meilleure forme qui soit. L’écrivain n’écrit pas au fil de la plume, sans réflexion préalable. Autrement dit, il n’y a pas de jaillissement de l’écriture mais des piétinements : l’auteur écrit, barre, réécrit, rajoute, rature, enlève en permanence afin de trouver la meilleure version qui soit pour traduire sa pensée. Généralement, le fond vient spontanément ensuite il faudra trouver la formulation adéquate pour exprimer clairement ses idées.

Il existe deux écrivains qui se sont fait remarquer par leurs différentes variantes. Dans

À la recherche du temps perdu, Marcel PROUST n’avait cessé de rajouter inlassablement ; on dit même qu’il n’aurait jamais arrêté s’il n’était pas mort. Ce qui est certain, ce qu’il y a une différence entre la première et la dernière version de La recherche. Gustave FLAUBERT, quant à lui, rêvait d’une forme d’écriture parfaite. Pour y parvenir, il utilisait un gueuloir, une pièce qu’il avait dans son appartement, qui lui permettait de miniaturiser ses textes, de lire les phrases en hurlant de manière à en vérifier la syntaxe, l’équilibre et la musique ; il cherchait la formulation idéale pour exprimer ses pensées. Dans l’Éducation sentimentale, il s’était pris trois fois avant de trouver la version définitive du portrait de Madame Arnoux. Il fera ceci d’abord avec Maria de Mémoire du fou dans une première version. Il reprendra cette version en 1838 dans le portrait d’une femme qui s’appellera Madame Renaud. Mais ce n’est qu’au bout de la troisième version qu’il arrivera à faire le portrait définitif de Madame Arnoux. Dans cette œuvre, FLAUBERT essayait de retranscrire le portrait d’Élisa Schlésinger, une femme mystérieuse qu’il avait rencontrée et qui le fascinait. C’est la raison pour laquelle il s’y était pris sur plusieurs années pour arriver à ce portrait définitif qui représente le mieux possible cette femme. Plusieurs écrivains ont des sujets de prédilection qu’ils apprécient ; qu’ils veulent approfondir. Tout au long de leur vie, ils essaieront de les exploiter dans leurs différentes œuvres. Dans beaucoup de ses écrits, Romain GARY recherche l’Absolu (l’Idéal) :

Ce fut ainsi que je fis connaissance avec l’absolu, dont je garderai sans doute jusqu’au bout, à l’âme, la morsure profonde, comme une absence de quelqu’un. Je n’avais que neuf ans (…). L’absolu me signifiait soudain sa présence inaccessible et, déjà, à ma soif impérieuse, je ne savais quelle source offrir pour l’apaiser. Ce fut sans doute ce jour-là que je suis né en tant qu’artiste (…).

Jean GIONO, quant à lui, exploite le thème de la nature car il possède une place centrale dans l’ensemble de ses œuvres. D’autres écrivains ont d’autres sujets de prédilection encore plus précis. Leurs œuvres sont considérées comme des réécritures d’un même thème et d’une même idée exploités différemment. Les écrits de MARIVAUX représentent des

réécritures du thème de la naissance de l’amour et ses conséquences, notamment dans Le Jeu

de l’amour et du hasard, La Surprise de l’amour, Arlequin poli par l’amour, etc. Il dit :

J’ai guetté dans le cœur humain toutes les niches différentes où peut se cacher l’amour lorsqu’il craint de se montrer, et chacune de mes comédies a pour objet de le faire sortir d’une de ses niches.

Néanmoins, il ne faut pas avoir de jugement réducteur vis-à-vis de l’exploitation de ces pièces de théâtre car elles ne sont pas d’éternelles répétitions qui tourneraient en cercle fermé. Leur intérêt réside dans la diversité et la variation du thème exploité par l’écrivain. En 1722, MARIVAUX avait écrit La Surprise de l’amour et en 1727, soit cinq ans plus tard, La Seconde surprise de l’amour. La première pièce a été écrite pour le théâtre italien dont les

personnages sont particulièrement haineux et cherchent à se plaire uniquement par orgueil pour satisfaire leur vanité. Quant à La Seconde surprise de l’amour, il s’agit de la même

histoire mais écrite plutôt pour le théâtre français et dont les personnages sont mélancoliques et se laissent surprendre par l’amour de manière beaucoup plus ingénue que dans la première pièce.

L’écrivain peut aussi choisir de réécrire son œuvre dans un autre genre. Charles BAUDELAIRE, par exemple, avait écrit en 1857 Les Fleurs du Mal, un recueil de poésie. Il reprendra certains de ces poèmes pour les réécrire en prose dans Le Spleen de Paris en 1869. L’écrivain peut donc choisir de passer de la poésie à la prose comme il peut choisir de passer du roman au théâtre. Eugène IONESCO, lui, a choisi d’écrire une nouvelle fantastique qui deviendra une des pièces de théâtre les plus connues du répertoire français, Rhinocéros. Ce passage du roman au théâtre mettra davantage en valeur le jeu absurde du langage mis en relief beaucoup plus dans le théâtre que dans le roman. Les variantes peuvent donc être infinies, d’ailleurs, un grand nombre de pièces, qui sont des adaptations de romans très connus, se jouent aujourd’hui dans les théâtres parisiens. Les œuvres littéraires peuvent aussi être adaptées au cinéma d’une manière plus ou moins fidèles, telles que Les liaisons

dangereuses, Le Rouge et le Noir, Orgueils et Préjugés, L’écume des jours, Le Seigneur des anneaux, etc.

L’auteur peut emprunter à un autre auteur son sujet pour élaborer une œuvre nouvelle. Il existe des citations qui marquent toute l’œuvre. Dans Aurélien de Louis ARAGON, le roman commence par une phrase qui trotte dans la tête du personnage principal depuis qu’il a rencontré une jeune femme qui s’appelle Bérénice : « Je demeurais longtemps errant dans Césarée… ». Le prénom de cette jeune femme lui fera penser à la pièce de Racine, qui résonnera dans toute l’œuvre d’ARAGON et qui lui donnera une dimension extrêmement

profonde. D’autre part, cette référence à Bérénice créera une certaine complicité avec le lecteur qui se rappellera de la pièce de Racine avec plaisir. De ce fait, soit il y a une seule citation qui marquera toute l’œuvre, soit un ensemble de citations réparties dans toute l’œuvre, ce qui créera des dialogues avec les autres auteurs. Les Essais de MONTAIGNE, par exemple, sont truffés de citations d’auteurs antiques qui lui avaient permis de réfléchir et d’affiner sa pensée. Il ne s’agit pas d’un étalage de connaissances car MONTAIGNE ne cite même pas les auteurs à qui il avait emprunté des pensées mais il s’agit plutôt d’un véritable dialogue avec les Anciens.

Étant différent de la parodie et de la satire qui consistent à imiter un sujet, le pastiche consiste à imiter un style. Il est à la limite de l’hommage et de la dérision. L’auteur d’un pastiche n’a pas pour volonté de se moquer de l’auteur imité mais les traits stylistiques sont légèrement grossis pour les rendre visibles. Il s’agit d’une pratique différente du plagiat car elle est assumée par l’auteur, tandis que le plagiat est une volonté de voler les idées d’un auteur. Le pastiche est donc un exercice de style qui consiste en l’imitation stylistique la plus proche possible d’un écrivain en termes de syntaxe, de lexique, de procédés de style, etc. Dans Pastiches et Mélanges, Marcel PROUST raconte le procès d’un dénommé Lemoine qui est accusé d’être un faussaire, à travers différents pastiches (de Flaubert, de Stendhal, de Balzac, de Saint-Simon, etc.). Le but de son exercice est de perfectionner son écriture en imitant celui des auteurs antérieurs. Ce genre de pastiche installe une certaine complicité entre l’auteur et le lecteur grâce à des références communes.

Alors que le pastiche est l’imitation d’un style, la parodie (ou la satire) est l’imitation d’un sujet. Elle a une fonction satirique et comique et vise à se moquer de l’auteur imité. Le burlesque, contrairement à l’héroï-comique qui consiste à traiter un sujet bas avec un style élevé, est un sous-genre de la satire et évoque un sujet noble en style vulgaire. Shrek ! de William STEIG est un bon exemple de burlesque car il constitue une parodie des contes de fées dont le sujet est noble puisqu’on parle de rois/reines, princes/princesses. Dans cette œuvre, ce sujet noble est tourné en dérision dans un mélange de niveaux de langue (familier/soutenu). D’autre part, dans Les fleurs bleues de Raymond QUEREAU, l’auteur s’amuse à passer en revue tous les types de romans sous le mode parodique. Ainsi, il y parodie les romans historiques, les romans de chevalerie, les romans d’apprentissage. Au chapitre VIII de cette œuvre, QUEREAU parodie une scène typique de la littérature romanesque française, à savoir la première rencontre entre deux personnages principaux qui tomberont amoureux l’un de l’autre.

Chapitre II

La pensée glissantienne au cœur de