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philosophe autodidacte

II. 3 - Le philosophe autodidacte

Nous avons effectués au début de ce chapitre une large présentation des courants philosophiques et de leurs principaux représentants. Nous allons maintenant nous intéresser à

3 Ce que nous avons constaté lors d’un stage en France grâce auquel nous avons pu assister à des séminaires pour des doctorants au sein de l’Université Paris IV-Sorbonne.

l’œuvre d’un philosophe assez marginal et dont le travail fut négligé malgré son influence et sa postérité. C’est bien d’Ibn Tufayl que nous parlons, un philosophe du XIIe siècle qui a vécu au sud de l’Espagne musulmane sous le régime d’Al-Andalus. En effet, nous savons qu’Ibn

Tufayl naquit autour de 1105 en Andalousie. Nous ne savons rien de son enfance ni de sa

jeunesse ni de sa famille mais si l’on se fonde sur l’œuvre et son style d’écriture, on peut supposer qu’il a étudié les lettres et les sciences à Séville et à Cordoue qui étaient les deux villes culturelles du régime d’Al-Andalus. Il a reçu une formation générale et pluridisciplinaire, tout comme des philosophes arabes de la même époque. Nous savons aussi qu’il était médecin à Grenade avant d’être secrétaire de la province de Grenade, et autour de ses 40 ans, il cumule les fonctions médicales, politiques et diplomatiques.

D’un point de vue politique, Ibn Tufayl s’est fait le serviteur du pouvoir Almohades4. En effet, autour de 1154, il devient le secrétaire de Sidi Bou Saïd, le fils de Abd al-Mumin qui est le fondateur de la dynastie Almohades, et qui était à l’époque le gouverneur des provinces de Tanger et de Ceuta au nord du Maroc actuel. Mais l’élément le plus important du point de vue philosophique est la rencontre d’Ibn Tufayl avec le sultan Abu Yaqub Yusuf, chef des croyants de l’Islam d’Occident. Ce dernier avait la particularité de cultiver un vif intérêt pour les lettres et pour les sciences et avait pour habitude d’inviter à sa cour les plus éminents savants de son époque. C’est à ce moment qu’Ibn Tufayl présenta Averroès au calife qui lui assure, de fait, sa protection. A l’époque, les philosophes étant très décriés, leur vie était généralement très difficile, c’est pourquoi il était important de faire protéger Averroès afin qu’il puisse à l’avenir s’adonnait une activité philosophique libre. Une dizaine d’années plus tard, en 1168, Ibn Tufayl engagea Averroès a composé son commentaire d’Aristote puis lui délégua ses fonctions de médecin du calife. Ibn Tufayl conservera cependant ses fonctions politiques jusqu’à sa mort en 1186.

Il sera important pour notre étude de la philosophie arabe de préciser la nature du pouvoir politique et religieux de l’époque. La dynastie Almohades fondée au début du XIIe

siècle s’oppose à celle des Almoravides. Les Almoravides pratiquaient un rite malikite et sunnite, c’est-à-dire, qui suit les prérogatives et applique les comportements du Prophète. Le mouvement Almohades fondé par Ibn Toumert, un réformateur qui prêchait le retour aux sources de l’Islam. Ce dernier fut fortement influencé par le schisme et prônait un Islam rigoriste et rigide. Ce que nous voulons montrer, c’est bien qu’Ibn Tufayl travailla au service

4 Al-Muwahhidun (Almohades) s’opposaient à l’époque, sous le régime d’Al-Andalus, à Al-Murabitun (Almoravides), les deux étant des dynasties politiques.

du pouvoir Almohades, il semble bien que sa pensée ne soit pas tout à fait en accord avec les idées des Almohades. L’acharisme est une école de croyances qui recentrent la foi autour des principes fondamentaux de l’Islam et qui n’use de la rationalité que quand c’est nécessaire, et s’adonne non à l’activité de la falsafa mais à celle du kalâm. Au IXe siècle, les acharites avaient combattu les mutazilites qui, eux, s’adonnaient à une activité philosophique qui n’était pas encadrée par les textes religieux mais bien plus libre. L’acharisme avait complètement détruit le mutazilisme, mais il ne l’a détruit que dans une certaine mesure, c’est-à-dire, il reste des traces de la doctrine des mutazilites. Donc effectivement, le mutazilisme, dans sa forme originelle, n’existe plus. Mais ceci dit, certaines idées résistent comme celle du rapprochement entre les œuvres philosophiques grecques et l’Islam ou comme celle de l’usage nécessaire de la raison.

En somme, Ibn Tufayl semble appartenir à un autre mutazilisme ; un mutazilisme à la fois rationnelle et mystique. Son œuvre Hayy Ibn Yaqdhan est une œuvre philosophique faisant état de ses positions idéologiques et le fait que ce soit un roman philosophique, et non pas un essai, n’est pas absolument anodin. Ibn Tufayl choisit la forme romancée pour diffuser ses idées sans pouvoir être accusé de trahison par le pouvoir Almohades ; en somme, il s’agit d’un choix stratégique. C’est aussi pour une raison davantage idéologique : on sent bien que dans son œuvre, il y a des variations à la fois platoniciennes et aristotéliciennes et le style de cette œuvre est très variable. Quant au mode de la recherche, le personnage de Hayy essaye de trouver les attributs de Dieu, il réfléchit spontanément par les catégories d’Aristote et par le syllogisme5.

En somme, l’œuvre d’Ibn Tufayl, renommée ensuite par les Anglais qui l’ont traduite en latin par Philosophus autodidactus, c’est-à-dire, « Le philosophe autodidacte », est une œuvre qui, malgré son apparente concision, est d’une richesse philosophique énorme. C’est tout un ensemble d’idées glissées à l’intérieur du récit, héritées des Grecs mais aussi de philosophes arabes comme Ibn Baja (plus connu sous le nom latinisé d’Avempace). Ibn

Tufayl semble avoir hérité assez nettement des idées mystiques et ascétiques d’Avempace qu’il décrit comme le plus grand savant de son époque. Hayy Ibn Yaqdhan, œuvre décisive de la philosophie arabe, et dont le succès fut éminent de son époque, a été commentée et diffusée par les auteurs de pays arabes puis en hébreu en 1349 par Moïse Maïmonide. C’est en 1671, au XVIIe siècle, à Oxford qu’on voit apparaître la première traduction latine sous le titre

5 Le syllogisme est introduit par Aristote pour la première fois dans les premiers analytiques, a ppelé en arabe

Al-qiyâs. Il part de deux prémisses pour arriver à une conclusion. Par exemple : - Tous les hommes sont mortels.

Philosophus autodidactus. Certainement, suppose-t-on qu’en concordance avec le mouvement des grandes découvertes.