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philosophe autodidacte

II. 1 - La philosophie arabe, point de départ des philosophies

Lors d’un stage effectué en France, nous avons assisté à de brillants séminaires au sein du Centre Culturel du Monde Arabe assurés par le philosophe Yassir MECHELLOUKH, spécialisé en histoire de la philosophie arabe. Nous allons donc effectuer ici une brève démonstration des courants philosophiques arabes et de leurs principaux représentants, l’essentiel de ce que nous avons retenu de ces enseignements.

Al-Farabi est né en 1170 en Asie centrale ; il n’est pas, à proprement parler, Arabe. Nous le constatons d’ailleurs dans ses portraits ; il a davantage l’apparence d’un asiatique de l’Est que celle d’un Arabe et sa langue maternelle est le turc. Tout comme les Grecs, le système éducatif de l’époque chez les Arabes est un système de préceptorat, c’est-à-dire, un élève se formait auprès d’un maître instruit, son précepteur. En somme, il était comme son deuxième père qui assurait son instruction. Ce système de préceptorat court tout au long de la période philosophique arabe. Al-Farabi apprend l’arabe à Baghdad et l’élément le plus

important de sa vie, c’est qu’il apprend la logique et la philosophie auprès de son maître

Matta Ben Yunus qui était un chrétien.

Ce philosophe appartient à la deuxième génération des philosophes, après la première du IXe siècle, celle d’Al-Kindi et Al-Razi. Au Xe siècle, Baghdad était le lieu qui illustre le rayonnement culturel du monde arabe. Avec ses contemporains, Al-Farabi fonde l’école philosophique de Baghdad qui fait écho à celle d’Alexandrie, clairement aristotélicienne.

Al-Farabi est né dans un contexte bien particulier, celui d’une forte production de sciences. Son œuvre est si riche qu’on se met à le surnommer le « Second maître », en référence au « Premier maître », Aristote. Il jouit d’un statut assez particulier au milieu des philosophes arabes pour deux raisons : Al-Farabi est certainement l’un des seuls, si ce n’est le seul, à s’être intéressé, de manière un peu privilégié, aux œuvres de Platon et en particulier à son œuvre politique.

Pour Platon, duquel Al-Farabi nous a laissés un commentaire complet intitulé

Compendium des Lois de Platon, la politique est la seule science. Il n’est d’autres sciences que la politique, pour quelle raison ? Parce que la politique chez Platon a pour fin la "Cité vertueuse", le bien parfait, le bonheur. En effet, les philosophes se sont surtout intéressés à Aristote, philosophe grec du IVe siècle avant notre ère, auteur d’une philosophique magistrale qui aborde un ensemble de parties de la philosophie, c’est-à-dire, aussi bien la métaphysique, l’éthique, la politique, la poétique, la logique et la rhétorique. La métaphysique est une partie de la philosophie qui s’intéresse à la cause, à l’origine, à l’être. Les questions qui se rapportent à la finitude, à l’éternité du monde ou la question de l’existence de Dieu sont, pour la philosophie, des questions métaphysiques.

Les philosophes se sont beaucoup intéressés à la métaphysique parce qu’ils ont confronté, en un sens, les principes généraux de l’Islam par rapport à la métaphysique d’Aristote. Quant à l’éthique, c’est un terme venant du grec « ethos » qui signifie les mœurs. C’est une partie de la philosophie qui s’intéresse à la morale et à l’action dans une fin précise qui est celle du bonheur. L’éthique s’intéresse à tout ce qui a trait à la vie pratique, c’est le domaine qui a le moins intéressé les philosophes arabes. On peut essayer de le comprendre par les raisons suivantes : l’Islam propose une éthique claire, nette, précise et profonde. De fait, les réflexions sur l’éthique ont été nombreuses. Ceci dit, nous trouvons quand même quelques œuvres éthiques comme chez Ibn Miskawayh, une théorie complète sur l’éthique dans son traité Tahdhib al-Akhlaq (Le raffinement du caractère) ou Taharat al-a’raq (La

est l’œuvre éthique d’Aristote dont l’influence résiste encore de nos jours. Pour les Grecs, l’éthique est indissociable de la politique ; la politique ne peut être que la science qui mène la Cité vers le bonheur. Al-Farabi écrit à cet égard un traité intitulé « De l’obtention du bonheur ». Ibn Baja, que les Latins ont nommé "Avempace", écrit lui aussi un traité contre la douleur et la peine. Donc, de part en part, on trouve quelques œuvres liées à l’éthique chez les philosophes arabes. Qu’est-ce que la politique ? C’est l’art de diriger, l’art de commander, l’art de gouverner.

La politique est la discipline qui, par des moyens divers, gouverne aux hommes pour les mener à la vie heureuse. Enfin, Al-Farabi est le représentant par excellence de la philosophie politique chez les Arabes. Pour les sociétés arabes, après l’avènement de l’Islam, sa diffusion et son expansion, la question politique majeure est de savoir quel va être le mode de gouvernement adopté pour diriger les musulmans ; c’est de savoir aussi comment on fait pour gouverner en l’absence du Messager de Dieu, le Prophète Mohammed. A cet égard,

Al-Farabi, et tout en commentant le traité des Lois de Platon, introduit des notions comme celles

de « prince imam » ou de « prophète législateur ». Quant à la logique, la poétique et la rhétorique, nous les aborderons d’un seul mouvement pour des raisons qui sont liées à l’histoire de la philosophie. Aristote met en place ce qui est appelé l’"Organon", un terme qui ne vient pas d’Aristote mais du doxographe1 Diogène Laërce dans un ouvrage intitulé Vies,

doctrines et sentences des philosophes illustres, un ouvrage important puisque la plupart des

paroles et certaines informations biographiques qu’on a sur les Grecs nous proviennent de cet ouvrage.

La logique est la discipline qui désigne l’étude des raisonnements et des propositions, c’est-à-dire, elle donne une forme non-naturelle aux raisonnements. La plupart considère la logique comme un outil pour formuler un raisonnement vrai ou faux. La poétique, c’est la discipline qui traite généralement de la notion d’art, de l’imitation, de la tragédie, de la littérature, et précisément, c’est ce qui est même à la source de nos principales théories en littérature. Jusqu’au XVIIe siècle, la théorie poétique d’Aristote à résister. La rhétorique est l’art du discours, l’art de s’adresser à la masse, l’art oratoire. Nous mettons tous ces domaines en relation car les philosophes prônaient pour une analyse d’un organon long, c’est-à-dire, ils ont commenté les traités d’Aristote comme un tout : logique, poétique et rhétorique. Ils jugent

1 Celui qui réunit les principales œuvres qui ont précédé. La doxographie est une discipline qui n’est pas philosophique mais plutôt d’ordre historique

que l’outil "logique" entretient une relation de proximité avec l’illusion poétique et l’art rhétorique dans la perspective du langage.

Al-Ghazali est né au milieu du XIe siècle dans le nord de l’Iran actuel. C’est un philosophe et savant qui a fortement contribué à la disparition progressive de la philosophie arabe. Il étudie d’abord le droit musulman puis reçoit sa formation philosophique à Baghdad. Il est certainement celui qui a combattu le plus ardemment la philosophie et pourtant il était véritablement philosophe, c’est-à-dire, quand on lit ses œuvres, ce qu’il fait est proprement de la philosophie. Il dresse dans son traité Tahafut al-Falasifa (L’Incohérence des philosophes), une critique sans appel, en particulier aux œuvres d’Avicenne et d’Al-Farabi. Dans cet ouvrage, il fait une critique radicale de la métaphysique et de la psychologie d’Avicenne. Il s’agit donc d’un tournant fondamental pour les relations entre la philosophie et ملاكلا ملع. Averroès est le commentateur le plus prolifique d’Aristote, le plus aristotélicien des philosophes.

Certes, il existait des commentateurs avant les Arabes, des péripatéticiens successeurs d’Aristote, des commentateurs d’Alexandrie comme Alexandre d’Aphrodise mais les philosophes arabes ont donné un nouveau souffle à ce qu’on appelle "le commentaire". Averroès y a d’ailleurs grandement contribué. Le commentaire est l’élément central du style distinctif de la philosophie arabe. Ce commentaire ne doit pas être entendu en un sens académique, il n’est pas soumis à des méthodes qu’on emploie aujourd’hui, c’est un commentaire rigoureux mais libre, serré mais original. Averroès en est l’acteur le plus éclatant. Son commentaire est créateur de philosophie. Ses apports à la métaphysique sont énormes et en témoignent, son grand commentaire au Livre III du traité « De l’âme » d’Aristote. Il existe trois types de commentaires. Chaque type est adapté au public auquel il s’adresse et ce point est tout à fait important puisqu’il démontre que la philosophie arabe est, dans une certaine mesure, sortie de la posture élitiste grecque2. Le premier type de commentaire est le commentaire dit "abrégé" qui donne des clartés sur un sujet sans en aborder la profondeur. Ce texte est destiné donc aux lecteurs non-initiés. Le commentaire moyen est un commentaire que nous appelons aujourd’hui ligne à ligne ; linéaire. Quant au grand commentaire, c’est une vaste synthèse de l‘œuvre qui considère déjà les interprétations existantes et qui propose de nouvelles thèses pour comprendre les textes.

2 Ce n’est pas le cas, bien entendu, pour tous les philosophes arabes mais certains ont voulu sortir de cette posture.

Averroès est effectivement un commentateur mais son commentaire est une réélaboration systématique, c’est-à-dire, lire Averroès c’est lire au milieu d’un monde médiéval qui a avancé et qui a développé une certaine compréhension de l’œuvre d’Aristote. Averroès arrive à un moment où l’œuvre d’Aristote a mûri dans le monde méditerranéen. Sous ce rapport, il parvient à faire jaillir du commentaire d’Aristote des thèses nouvelles. Avicenne est né au Xe siècle. Il est surtout connu en Europe pour ses apports à la médecine. Auteur d’un canon de médecine, il a eu une lourde influence sur l’enseignement de la médecine en Europe médiévale. Il s’inspira beaucoup d’Al-Farabi mais pas précisément sur son œuvre philosophique pratique. Il s’inspira surtout sur son commentaire de la métaphysique qui aurait, selon lui, éclairer sa compréhension. A cet égard, Avicenne est l’auteur d’une distinction fondamentale qui est reprise avec force par la philosophie moderne ; celle entre l’essence et l’existence. Cette distinction est fondamentale car c’est une distinction qui a servi de base à presque toutes les théories métaphysiques à l’époque moderne et en particulier chez Descartes.

Ibn Khaldoun est né au XIVe siècle à Tunis dans une famille de haute noblesse dont l’origine est yéménite. En effet, Ibn Khaldoun est rattaché de près ou de loin à la famille du Prophète et le revendique clairement dans son autobiographie, au début du Livre des

exemples. Il suivit une formation générale en philosophie, en mathématiques, en jurisprudence

ou Usul al-Fiqh, et dans d’autres disciplines. Ibn Khaldoun a eu une longue carrière politique. Celle-ci commence à Fès. Il est fondateur de ce qu’il appelle "une science de la société humaine". Pour certains spécialistes de sociologie, il serait en effet le fondateur de la sociologie moderne, ce qu’on refuse de reconnaître en Europe. Il parvient à manier une rationalité historique à l’intérieur d’un discours narratif. C’est ce qui fait de sa Muqaddima une œuvre sans précédent.

Ibn Tufayl est né à Grenade entre 1110 et 1116, une époque de forte agitation

politique. Grenade est encore sous le joug du pouvoir Almohades. Il s’agit d’un grand lecteur d’Ibn Baja et appartient à la même génération de Maimonide et d’Averroès. Ibn Tufayl fut très proche du calife Abu Yaqub Yusuf et le servit successivement. L’élément le plus important est qu’il était le précepteur d’Averroès et aurait conseillé à son élève, sur recommandation du calife, de commenter les traités d’Aristote pour les rendre plus clairs. A par ces éléments biographiques sur Ibn Tufayl, il nous a laissés une seule œuvre, « Hayy Ibn Yaqzan ». Enfin,

Miskawayh est né dans l’actuel Iran en 932 et est d’origine mazdéenne. Il était secrétaire et bibliothécaire auprès d’un certain nombre de vizirs à Baghdad. Il s’intéresse, à la fois, à la

philosophie et à l’histoire mais son œuvre la mieux connue est l’œuvre éthique. Il prône donc la tradition de l’éthique philosophique, c’est-à-dire, les belles lettres. Miskawayh se caractérise par un style très didactique qui est fidèle à sa tradition éthique.