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1 – L’intertextualité : origine et développement du concept

Reformuler, réécrire, recréer

I. 1 – L’intertextualité : origine et développement du concept

L’intertextualité est un ensemble de relations entre les textes, pouvant inclure des citations, des allusions, des imitations, des parodies, etc. Elle implique également des hypothèses concernant le lecteur, la situation à laquelle il fait référence et son contexte. Dans

la théorie littéraire traditionnelle, on suppose que lorsqu’on lit une œuvre littéraire, on essaie de découvrir son sens car tout texte littéraire en possède un. Ce processus de décèlement de signification à partir de textes s’appelle "l’interprétation". Cependant, la théorie littéraire et culturelle contemporaine a radicalement changé ses idées.

On croit maintenant que les œuvres littéraires sont construites à partir de systèmes, de codes et de traditions établis par des travaux littéraires antérieurs. L’acte de lire, plutôt que l’interprétation d’une œuvre, engage le lecteur à découvrir un réseau de relations textuelles. Retracer ces relations, c’est en fait interpréter le texte, c’est-à-dire, en découvrir le sens et les significations. Pour résumer, en théorie littéraire, l’analyse d’une œuvre littéraire consiste à faire des références intertextuelles, extraire le sens ; être un lecteur critique pour interpréter un texte.

Le mot "intertextualité" dérive du latin "intertexto" qui signifie "se mêler tout en tissant". Il a été introduit pour la première fois en linguistique littéraire par Julia KRISTEVA, sémioticienne et philosophe française, à la fin des années 1960. Dans son manifeste – qui comprend des essais tels que Bakhtine : le mot, le dialogue, le roman, KRISTEVA a rompu avec les notions traditionnelles d’influence de l’auteur et les sources du texte. Elle a fait valoir que tous les systèmes signifiants sont constitués de la manière dont ils transforment les systèmes signifiants antérieurs. Une œuvre littéraire n’est donc pas simplement le produit d’un seul auteur, mais de la relation de cette œuvre avec d’autres. L’origine de l’intertextualité peut être retracée avec la linguistique du XXe siècle.

Le linguiste suisse Ferdinand DE SAUSSURE a joué un rôle majeur dans la compréhension de l’intertextualité. En soulignant les caractéristiques systématiques du langage, il a établi la nature relationnelle du sens et des textes. Un autre théoricien de la littérature qui a eu une influence majeure dans la théorie de l’intertextualité est Mikhaïl BAKHTINE. Ce dernier souligne la relation entre un auteur et son œuvre, l’œuvre et ses lecteurs et la relation des trois avec les forces sociales et historiques qui les entourent. En combinant les théories saussuriennes et bakhtiniennes, KRISTEVA a produit le premier énoncé de la théorie intertextuelle. Elle a donc eu un rôle crucial dans la théorisation de l’intertextualité.

Il est important de noter que le travail de KRISTEVA a été publié pendant une période de transition dans la théorie littéraire moderne. Cette transition est décrite en termes de passage du structuralisme au post-structuralisme. Les structuralistes ont analysé des textes de toutes sortes, des aspects de la communication quotidienne aux œuvres littéraire. Ces

théoriciens ont basé leur analyse sur la sémiologie, qui est l’étude des signes, un mouvement engendré par le linguiste suisse DE SAUSSURE.

Les post-structuralistes, de leur côté, croyaient en la nature instable du langage et du sens, insistant sur le fait que tous les textes ont plusieurs significations. La transition du Structuralisme au Post-structuralisme se caractérise par le remplacement de l’objectivité, la rigueur scientifique et la stabilité méthodologique en mettant l’accent sur l’incertitude, l’indétermination, l’incommunicabilité, la subjectivité, le désir, le plaisir, le jeu. Les structuralistes croyaient que la critique est objective, alors que les post-structuralistes soutiennent que la critique est intrinsèquement instable. En conséquence, le Post-structuralisme est devenu un facteur important dans la discussion et la compréhension de l’intertextualité. Un autre critique et théoricien social et littéraire qui a exploité la théorie intertextuelle est Roland BARTHES. Sa position vis-à-vis de l’intertextualité, sa croyance en la pluralité et la liberté de tous les lecteurs des contraintes sont typiquement post-structuralistes. Préoccupé par le rôle de l’auteur dans la production du sens, BARTHES a estimé que cette signification littéraire ne peut jamais être entièrement comprise par le lecteur, car la nature intertextuelle des œuvres littéraires conduit toujours les lecteurs à de nouvelles relations textuelles. Les auteurs ne peuvent donc pas être tenus responsables des multiples significations découvertes par les lecteurs au sein des textes littéraires.

Ainsi, BARTHES proclame "la mort de l’auteur" et considère cette situation comme une libération pour les lecteurs. Il pense que toutes les productions littéraires se déroulent en présence d’autres textes et que ce n’est que par l’intertextualité que les textes peuvent naître. Dans son essai La théorie du texte, il écrit :

[…] tout texte est un tissu nouveau de citations révolues. Passent dans le texte, redistribués en lui, des morceaux de codes, des formules, des modèles rythmiques, des fragments de langages sociaux, etc., car il y a toujours du langage avant le texte et autour de lui. L'intertextualité, condition de tout texte, quel qu'il soit, ne se réduit évidemment pas à un problème de sources ou d'influences ; l'intertexte est un champ général de formules anonymes, dont l'origine est rarement repérable, de citations inconscientes ou automatiques, données sans guillemets.

Ainsi, l’écriture est toujours une itération qui est aussi une réitération ; une réécriture qui met au premier plan la trace des différents textes dans des lieux à la fois connaisants et non conscients. Il est important de noter que ces éléments d’intertextualité ne doivent pas nécessairement être « littéraires ». Il faut également tenir compte des déterminants historiques et sociaux qui, eux-mêmes, peuvent transformer et changer les pratiques littéraires. De plus, à proprement parler, un texte n’est constitué qu’au moment de sa lecture. Lectures, expériences

et positions antérieures du lecteur dans la formation culturelle forment également des liens cruciaux et ouvrent de nouvelles portes à l’intertextualité.

Le concept d’intertextualité est très flexible, en ce sens que les critiques structuralistes essaient de repérer et même de corriger le sens littéraire, tandis que les post-structuralistes emploient le terme pour brouiller les notions de sens. Les critiques littéraires, comme le théoricien français Gérard GENETTE, utilisent la théorie de l’intertextualité pour plaider en faveur de la certitude critique, ou au moins de la possibilité de dire des choses incontournables sur les textes littéraires. Dans Discours du récit, GENETTE écrit :

Dans un premier sens, récit désigne l’énoncé narratif, le discours oral ou écrit qui assume la relation d’un événement ou d’une série d’événements.

Dans un second sens, récit désigne la succession d’événements, réels ou fictifs, qui font l’objet de ce discours, et leurs diverses relations d’enchaînement, d’opposition, de répétition.

Un troisième sens : récit désigne encore un événement : non plus toutefois celui que l’on raconte, mais celui qui consiste en ce que quelqu’un raconte quelque chose : l’acte de narrer en lui-même. (1972 : 71)

Bien que l’intertextualité ait inspiré diverses positions critiques, ce n’est nullement un terme exclusivement lié à des œuvres littéraires. Il a été adapté par les critiques de formes d’art non-littéraires telles que la peinture, la musique, l’architecture, le cinéma, etc. Par le recours à l’intertextualité utilisée par d’autres formes d’art, traits de société ou époques de l’histoire peuvent être capturés non seulement sous forme écrite mais aussi en utilisant des images visuelles. L’intertextualité, en tant que concept, a une histoire de différentes expressions qui reflètent les situations historiques dans lesquelles il a émergé.

Pour résumer, nous pouvons affirmer que le concept d’intertextualité brouille considérablement les contours des textes, les rendant, en termes de Roland BARTHES, un «tissu illimité de connexions et d’associations » (1973: 39). Cela dépend entièrement de la sensibilité du lecteur et des connaissances de base pour faire toutes les connexions nécessaires pour tirer l’essentiel d’un texte.