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Chamoiseau ou l’écriture de la subversion

III. 1 - Mémoire esclavagiste et métaphore chamoisienne

Pour les écrivains noirs des Antilles, le récit fondateur le plus constamment préoccupant auquel les questions d'identité peuvent être liées n'est pas une cosmogonie surnaturelle mais une mémoire collective - même mythifiée - de l'expérience réelle et vécue de l'esclavage. Les auteurs, de CESAIRE à la génération actuelle, évoquent des images de ce début de manière à suggérer non seulement la nature traumatique d'une mémoire qui refuse de disparaître, mais aussi son influence continue sur les structures de l'imaginaire antillais.

En se concentrant sur l'écrivain martiniquais Patrick CHAMOISEAU, nous essayerons de montrer dans ce qui suit à quel point la mémoire de l'esclavage fournit un paradigme qui configure de manière cohérente la façon dont la répression est imaginée et exprimée dans sa fiction. Cependant, comme l'esclavage est relativement et rarement un thème majeur explicite dans son œuvre, une analyse textuelle approfondie est nécessaire afin de démontrer l'omniprésence de la mémoire et la configuration précise que CHAMOISEAU lui donne. Pour ce faire, nous examinerons deux métaphores importantes par lesquelles l'esclavage est principalement représenté dans les textes de CHAMOISEAU : d'une part, l'image de "l'abîme", l'abîme qui engloutit à la fois les personnes et les identités individuelles ; et, d'autre part, le "ventre" où se forme un nouvel être - le créole. Ces deux métaphores s'enracinent dans des références d'abord au bateau d'esclaves, puis à la plantation.

Dans le cas du navire, les deux images sont juxtaposées pour suggérer le modèle structurel classique de la mort et de la renaissance symboliques qui indique si souvent le passage d'un individu ou d'une société d'un état d'être à un autre. Le fait que la cale "dévorante" du bateau d'esclaves occupe la partie inférieure du navire, son obscurité et les conditions atroces qui y règnent, rappellent fortement la descente aux enfers ou dans la tombe qui précède la renaissance dans les scénarios mythiques et les rites de passage. Ainsi, les

"cauchemars des cales négrières" sont décrits dans L'Esclave vieil homme et le molosse de CHAMOISEAU comme "les abysses" ; tandis que CHAMOISEAU lui-même, rêvant du navire négrier dans l'autobiographique Écrire en pays dominé, y fait systématiquement référence en termes de descente : "chute" (1997 : 133), "effondrement" et "le sans-fond" (ibid. : 167).

Mais en même temps, l'obscurité de la cale du navire, et surtout le fait qu'il soit suspendu dans l'eau, évoquent aussi le symbolisme traditionnel du ventre maternel qui, dans les systèmes mythiques, est souvent parallèle à celui du tombeau. Dans ce grand ventre, selon CHAMOISEAU, l'individu est réduit à la plus simple expression de l'existence ; il y subit « le roulis continuel de la mer, sa déconstruction irrémédiable des espaces intimes, la lente dérade des mémoires qu'elle engendrerait. La mer qui pénétrait les chaises pour en contrarier l'âme, ou la décomposer ». Après sa "déconstruction" ou sa "décomposition", c'est donc un nouvel être qui renaît enfin de l'enfer, du tombeau ou de l'utérus. CHAMOISEAU et Raphaël CONFIANT soulignent cet effet dans leurs Lettres Créoles :

Celui qui débarquait après l'utérine traversée se retrouvait dans une situation où son nom, sa religion, sa langue, ses valeurs, son explication du monde étaient soit invalidés, soit en grande partie inopérationnels. Il ne débarquait pas dans un autre pays mais dans une autre vie. Tout était à refaire, à reconsidérer. (1991 : 81)

Dans un passage du roman Chronique des sept misères qui en fait écho, l'association étroite entre le navire, l'abîme et l'utérus est encore plus claire. Ici, le fantôme de l'esclave Afoukal dit au protagoniste du XXe siècle, Pipi :

Imagine cela: tu descends du bateau, non dans un monde nouveau mais dans UNE AUTRE VIE. Ce que tu croyais essentiel se disperse, balance inutile. Une longue ravine creuse sa trace en toi. Tu n'es plus qu'abîme. Il fallait vraiment renaître pour survivre. Quelle impure gestation, quel enfer utérin [...]! (1986 : 153).

Afoukal articule également ici une autre caractéristique importante de l'image de l'abîme dans l'œuvre de CHAMOISEAU : le fait que l'esclave qui subit le passage du milieu est régi par sa mémoire, intériorisant l'abîme et le portant en lui. Le navire entame ainsi un processus qui se poursuit sur la plantation : un effacement du moi individuel qui transforme les esclaves en une seule masse passive, ou « magma » (2001 : 22). Ce transfert de l'expérience extérieure vers l'infériorité psychologique est clairement visible dans L'Esclave

vieil homme, où les personnes débarquées du bateau « ont semblé non pas émerger de l'abîme

mais relever à jamais de l'abîme lui-même » (2001 : 21) ; et le vieil esclave lui-même, dont le souvenir de son propre nom et de ses origines a été complètement effacé, « est abîme comme

son nombril » (2001 : 22). Son souvenir personnel de tout cela qui a précédé sa renaissance en esclavage a été remplacé au centre de son être par un grand vide vertigineux créé par le navire négrier.

Si la « renaissance » qui a lieu lorsque le nouvel homme met le pied sur la terre ferme n'a aucune des connotations positives et ascensionnelles des rites de passage traditionnels, au moins la « gestation impure » dans « l'enfer utérin » du navire fait finalement place à « une autre vie ». Dans le cas de la plantation, en revanche, les deux métaphores de l'abîme et de l'utérus subissent une double modification qui les rend encore plus sinistres.

Le premier point à noter est que dans le contexte de la plantation, l'évocation de l'abîme et de l'utérus devient plus systématiquement simultanée. Cette nouvelle juxtaposition, qui rapproche les deux images comme nous allons le voir, remet en cause la notion de potentiel de fécondité associé à l'utérus en évoquant en même temps les profondeurs annihilantes de l'abîme : l'univers de la plantation est ainsi associé à un « utérus » qui ne porte jamais d' « autre vie ». Il est très rare que des esclaves quittent la plantation pour commencer une vie radicalement nouvelle, et ceux qui le font -le vieil homme dans L'Esclave vieil

homme, par exemple, ou Esternome dans Texaco- s'en arrachent par leurs propres moyens.

Rien dans l'économie symbolique des textes de CHAMOISEAU ne suggère que la plantation les « fait naître », voire les "expulse" ou les rejette : au contraire, sa vocation est de les garder et de les étouffer. Cela fait de la plantation de CHAMOISEAU un espace ressemblant à l'"enfer utérin" du navire, mais sans issue et sans progéniture, qui tente de supprimer tout potentiel dans le nouvel être qui naît du navire.

En effet, l'atmosphère étouffante de la plantation confirme que l'on ne peut jamais vraiment quitter le bateau : le vieil homme de L'Esclave vieil homme « ne se souvient pas du bateau, mais il est pour ainsi dire resté dans la cale du bateau. Sa tête s'est peuplée de cette haute misère » (p. 50-51). Dans le système répressif de la plantation, la mémoire du bateau nie, ou fait avorter, la « renaissance » de l'esclave.

Liée à la plantation, la métaphore de l'utérus prend alors une fonction ironique, transformant la plantation en quelque chose comme une « inversion maligne » - c'est-à-dire une image miroir négativement chargée et déformée - de la fertilité et de la bonté maternelle, une stratégie thématique et rhétorique qui souligne la critique de la plantation que propose CHAMOISEAU. La plantation est censée, du moins en apparence, être consacrée à la culture

de la terre, à sa fertilité et à la production de nourriture, la substance maternelle par excellence; en réalité, cependant, il s'agit simplement d'une énorme machine industrielle moralement stérile dédiée à l'exploitation et au profit.

Cette caractéristique mécanique de la plantation se manifeste dans le travail de CHAMOISEAU par des descriptions qui soulignent l'activité de production, divisée en zones rigoureusement délimitées comme les champs de canne, la Grande Maison, les lavoirs et la batterie de sucre. En outre, l'activité des esclaves peut être proprement mécanique en soi, comme dans le cas de l'esclave vieil homme : « Parfois même, le regard attentif du maître ne le distingue pas du bloc des machines » (2001 : 23). Le fabuleux jardin de Pipi dans la

Chronique des sept misères peut être considéré comme une version moderne de ce même

paradoxe de la culture et de la stérilité : dès que les scientifiques tentent de faire du jardin une sorte de plantation dédiée à une culture intensive et rentable, la créativité de Pipi s'assèche, et le jardin tombe finalement en ruines stériles. Une fois de plus, la notion de machine de plantation est associée à l'avortement d'un projet individuel créatif.

Cette dernière image déduite - celle de l'avortement - peut être justifiée plus complètement par la deuxième modification des métaphores mentionnées ci-dessus, qui est l'expression particulière de ce complexe métaphorique qui présente la plantation comme un utérus stérile et un abîme de stérilité. Il convient de noter que ce réseau d'associations ne s'applique pas explicitement à la plantation elle-même, ni même au système de plantation. Il est plutôt attaché à la plantation par un jeu insistant d'écho et de suggestion, dont le site central est le corps de la femme esclave. En d'autres termes, c'est en inscrivant dans le corps de la femme le drame du ventre stérile, et en le mettant en relation avec sa condition d'esclave, que CHAMOISEAU évoque l'"inversion maligne" de la plantation en tant que ventre et abîme.

L'image du ventre stérile de la femme esclave est également issue d'une réalité historique qui semble particulièrement préoccuper CHAMOISEAU : le fait que, dans de nombreuses plantations, le refus de laisser naître des enfants en esclavage était pratiqué comme une forme de résistance. Les femmes provoquaient donc des avortements, et pouvaient même tuer leur enfant à la naissance si une grossesse arrivait à terme.

Les plantations de CHAMOISEAU sont étroitement associées à ce phénomène. Par exemple, dans Texaco, la grand-mère de Marie-Sophie se fait dire par le père de son bébé « Pas d'enfants d'esclavage ! » et bien qu'elle garde l'enfant, elle se sent d'abord « son ventre pris d'hivernage aller en s'abîmant dans une pluie intime » (ibid. : 57). De la même manière,

Afoukal précise que « les femmes avaient appris à se pousser toute vie hors du ventre », évoquant « la torture de neuf mois d'une vie aimée qu'il faudrait refuser. Jusqu'à ce drame solitaire [...] : faire naître et tuer dans le noir de la case et le gouffre soudain ouvert de l'âme » (1988 : 159-160). Ces références simultanées, d'une part, à l'utérus potentiel pour faire naître la vie, et d'autre part à "l'abîme", "le noir" et "le gouffre", montrent que les femmes n'intériorisent pas seulement l'abîme psychologiquement comme le font tous les esclaves, mais ils peuvent aussi être appelés à être son incarnation physique.

« C'est l'acte de guerre le plus épouvantable que je connaisse », pleure Balthazar dans la Biblique des derniers gestes, où le motif est repris, « car [...] la mère fait don de la mort à son fils, mais elle lui offre sa propre vie aussi ; elle demeure non pas vivante mais désanimée dans le bloc d'une rancune totale » (p. 69). Quant aux hommes qui, selon Afoukal, se précipitent pour féconder de tels femmes, ils sont « toujours loin d'elles à ce moment-là » (1988 : 160).

La préoccupation concernant la condition de la femme esclave que l'on trouve dans les romans réapparaît dans les mêmes termes dans Écrire en pays dominé :

II faut imaginer ce trou sans fond: une esclave enceinte, solitaire dans le noir de sa case, poussée à supprimer la vie qu'elle porte en elle. Décision. Elle exécute ce geste. Abîme, et (dans le même allant) ascension vers un terrible soleil, vers une autre échappée, on est campé en soi et on résiste à mort, et mieux que résister: on nomme la vie dans cette mort offerte. (p. 149)

Cet acte de résistance ainsi décrit repose sur un paradoxe qui fait écho à celui de la plantation elle-même et se traduit ici par la contradiction de l'"abîme" et de l'"ascension" simultanés, ainsi que par l'oxymore "terrible soleil". Pour affirmer sa propre vie, la femme en supprime une autre qui dépend de la sienne. Alors que, parmi les hommes de la plantation, un petit nombre d'individus exceptionnels - les "Conteurs", créoles très prisés des écrivains créolistes - assument le rôle symbolique d'exprimer la résistance à travers leurs histoires, qui sont des créations de la fertilité verbale, pour les femmes, la situation est tout autre. Pour elles, il n'y a pas de petite élite, mais chacune d'entre elles peut être appelée à "offrir une mort", c'est-à-dire à supprimer sa fertilité et sa puissance créatrice.

Sans remettre en cause l'énorme valeur symbolique de la figure de "Conteur" et de la résistance masculine à l'esclavage, on peut donc dire que la plantation dans l'œuvre de CHAMOISEAU est également liée à une grande et anxieuse sollicitude sur le sort des femmes esclaves qui est, selon Afoukal, "deux fois plus effroyable" que celui des hommes (1988 : 159).

Les implications sociologiques de ce contexte pour les relations entre les sexes et la condition des femmes antillaises aujourd'hui sont pris en compte dans la télévision documentaires Femmes-Solitude, dans lesquels les personnes interrogées citent l'"évanescence" des hommes antillais comme la raison la plus fréquente de leur statut de mères célibataires. Les films soutiennent et nuancent également l'hypothèse du sociologue Franklin FRAZIER que la famille noire matrifocale caractéristique de l'Amérique est enracinée dans l'ordre social de la plantation. Mais c'est encore les romans, et en particulier

Texaco, qui sont l'expression la plus puissante de la mémoire de l'esclavage et son influence

continue sur les processus de pensée dans les Antilles, comme le montre le corps de la femme créole.

Marie-Sophie, la protagoniste créole de Texaco qui établit le bidonville de Texaco à Fort-de-France et le fait enfin reconnaître officiellement comme "quartier" de la ville, est sans enfant. Un critique considère que cela fait partie de la caractérisation "masculinisée" d'"une femme à deux graines". CHAMOISEAU lui-même a déclaré que le complot exige qu'elle soit "stérile". Cependant, l'explication donnée dans le texte lui-même est les nombreux avortements solitaires que Marie-Sophie provoque à cause d'"une sorte de répulsion, de peur, de refus" (1992 : 306).

Cet acte solitaire et rebelle de Marie-Sophie partage de nombreux éléments avec celui de ses ancêtres féminins, comme elle le rappelle elle-même lorsqu'elle généralise son expérience : « Que de misères de femmes derrière les persiennes fermes ... et même, jusqu'au jour d'aujourd'hui, que de solitudes rêches autour d'un sang qui coule avec un peu de vie.... Ô cette mort affrontée au cœur même de sa chair... que de misères de femme » (ibid. : 307). Et il y a ici encore une preuve de la relation entre cette stérilité moderne et celle des esclaves quand Marie-Sophie déclare : "Je m'étais tant abîmée avec cette herbe grasse [...] que mon ventre avait perdu l'accès au grand mystère" (ibid. : 346), l'emploi du verbe "abîmer" faisant ici clairement écho à la métaphore "abîme" expliquée plus haut. Ainsi, la stérilité de Marie-Sophie la rend représentative de toute une lignée de femmes dont la résistance désespérée trouve son expression douloureuse, originale et emblématique dans l'acte de "nommer la vie dans cette mort offerte" sur la plantation.

Le lien durable entre la femme moderne et l'esclavage a donc effet de la construction de ce dernier comme un modèle de répression étouffante contre lequel les femmes réagissent particulièrement. Dans la création du quartier de Texaco, par exemple, le travail pratique, la lutte physique et bureaucratique sont menés et réalisés par Marie-Sophie et les femmes (p.

436), tandis que les hommes rôdent, ne participant pratiquement pas. Et dans un écho explicite des désertions de leurs ancêtres au moment de la plantation, Marie-Sophie souligne que beaucoup d'hommes de Texaco s'absentent lors des descentes de police « si constantes qu'un rouge-sang nous abîme les yeux » (p. 430). Ici, le verbe "abîmer" est à nouveau utilisé, avec toutes ses connotations acquises, tandis que le "rouge-sang" rappelle bien sûr le sang des avortements dans une précédente citation de Marie-Sophie. Comme autrefois, les femmes d'ici font face seules à un système répressif, mais comme la grand-mère de Marie-Sophie, elles luttent cette fois-ci pour empêcher l'avortement de ce que Marie-Sophie appelle "l'embryon fragile" de Texaco.

Par extension des associations, le corps de la femme, dans lequel s'inscrit la mémoire des répressions de l'esclavage, devient alors aussi un vecteur d'évocation d'autres systèmes répressifs (ici, celui de la police et de la colonisation "En-ville" qu'ils représentent). Il n'est donc pas surprenant que ce soit par le biais du corps de Marie-Sophie et dans les termes métaphoriques examinés jusqu'à présent que CHAMOISEAU exprime la menace d'une répression culturelle plus généralisée représentée non seulement par l'État français et son contrôle "colonial" continu sur la Martinique, mais aussi par la mondialisation, que CHAMOISEAU qualifie potentiellement un nouveau type de domination. Mais là encore, une chaîne de métaphores doit être suivie afin de mesurer la présence de cette idée.

La chaîne qui mène à cette menace répressive contemporaine commence avec le "phénomène-béton" dans le quartier de Texaco. Séduits non seulement par la résistance de ce nouveau matériau mais aussi par le fait que « le béton, c'était l'En-ville par excellence, le signe définitif d'une progression dans l'existence » (p. 456), les habitants de la baraque commencent à construire avec lui. Au moment même où les maisons se solidifient, Marie-Sophie est menacée de ménopause et de la fin de toute chance de mettre au monde un enfant. Il y a donc ici une juxtaposition explicite de deux idées-clés : la prolifération du béton d'une part ; et d'autre part "un ventre dont le sang de vie commençait à tarir" (p. 457). Ce qui est particulièrement frappant, c'est que Marie-Sophie réunit elle-même les deux termes de cette juxtaposition. Parlant de sa situation personnelle, elle dit : « Ce temps-béton fut un temps d'asphyxie. Le ciment de Texaco se figeait dans mon corps... » (p. 458).

En associant le ciment à sa propre stérilité, qui est, comme on l'a montré, métaphoriquement liée au système étouffant de l'esclavage, Marie-Sophie relie les qualités asphyxiantes du béton à ce modèle primaire de répression de l'individualité, de la diversité et de la créativité. L'association métaphorique a ici deux effets simultanés : elle montre comment

de nouveaux types de répression continuent à être imaginés selon un modèle original ancré dans la mémoire de l'esclavage ; et en évoquant ainsi une image de répression particulièrement brutale, il souligne fortement l'effet d'oblitération et d'homogénéisation tant du matériel (le béton) que de l'En-ville coloniale elle-même.

On pourrait cependant faire valoir que le béton lui-même sert à son tour de métaphore à une menace de répression beaucoup plus vaste que celle des relations coloniales entre la Martinique et la France. En fait, l'utilisation du béton par les habitants de Texaco résume de manière représentative le paradoxe auquel sont confrontées toutes les minorités marginalisées: ce matériau pratique et utile renforce leur position en fortifiant leurs cabanes contre la police et les cyclones qui dévastent périodiquement la région (p. 455-56). Mais en même temps qu'il renforce la structure physique des huttes, le béton efface leurs particularités créoles, les