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Chapitre 2. La pratique de compagnonnage et d’autoformation dans un dispositif de

1. Émergence du concept de compagnonnage et d’autoformation

1.2 Le compagnonnage, de la pratique à la formation

1.2.3 La pratique du compagnonnage : une manière de former

Dès lors, la formation dans l’esprit du compagnonnage n’est pas seulement une transmission de connaissances nouvelles dans le but de faire acquérir des savoirs théoriques. Dans ce cas, elle serait en contradiction avec notre objectif fondamental, car, une telle transmission essen- tiellement basée sur l’écoute et la reproduction de la parole du maître, peut prendre un aspect dogmatique, informationnel et unidirectionnel, qui ne motive pas le compagnon à la re- cherche, à la curiosité et ne favorise pas la construction de savoirs pratiques. Au point de vue religieux, ce serait peut-être de l’encadrement qui aiderait à vivre dans la foi de la naissance, jusque dans un au-delà du temps qui porte vers Dieu. Pourtant, dans le contexte actuel, au- delà de toutes les formations qu’on peut mettre en œuvre, il y a un premier mouvement, celui de susciter une culture de la formation qui vient de l’expérience personnelle et une pratique correspondante que le Christ ressuscité est en train de faire naître dans son Église. Au- jourd’hui, les figures d’Église, les manières de faire Église changent et ces changements, si c’est vraiment le Christ qui les suscite, sont comme enracinés dans l’Évangile, fondés dans ce que Jésus a fait avec ses disciples (Mc 1, 16-39; 3,13-19). C’est pourquoi nous plaidons davantage pour une formation inspirée du compagnonnage. Le recours à cette modalité de formation incite le compagnon avant tout à la transmission des savoirs pratiques et à la cons- truction des identités par le métier.

D’autre part, la formation du compagnon se déroule par étapes. La première est la réception de l’aspirant qui consiste en un apprentissage du métier. Cet apprentissage n’est pas donné dans le cadre du compagnonnage, mais dans l’expérience du voyage où le compagnon est amené à aller de ville en ville auprès de ceux qui exercent déjà le métier de son choix ou des métiers proches pour apprendre en regardant et partageant. Ce temps, appelé « Tour de France », est en réalité un temps d’observation, de pratique et de partage qui conditionne l’esprit et marque l’individu dans sa prise de conscience des exigences du métier. C’est éga- lement pour lui un moyen de fixer ses propres idées, et de façon nouvelle, de créer à partir de l’observation, ses propres tours de main. Ici encore se construisent des liens symboliques

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qui font du compagnonnage un groupe particulier où chacun est amené à consolider les liens, apprendre le métier et se perfectionner. Au regard de ce qui caractérise cette formation, le compagnon n’entre pas dans la dynamique de la pratique du compagnonnage sans aucune expérience du travail. C’est donc quelqu’un qui sait faire quelque chose, qui a appris son métier, a pris quelques responsabilités qui font qu’il tire profit, de manière avantageuse dans le compagnonnage, de son expérience antérieure. Celle-ci lui aura donné, en tout premier lieu, des moyens de progresser au fur et à mesure de sa pratique et, en second lieu, aura développé son sens pratique à travers l’expérience concrète de son métier.

Au terme de cette étape, le compagnon aboutit, après avoir effectué un « travail de récep- tion », à un chef-d’œuvre couronné, non par une certification, mais par une œuvre qui exalte son corps de métier. Ainsi, le chef-d’œuvre devient son plus haut niveau de manifestation et d’insertion dans le corps de métier qui l’accueille et qui l’élève à l’état de compagnon25. Dans la perspective de Castéra, après sa réception dans son corps de métier, le compagnon poursuit sa formation en se confrontant à la réalité de la pratique du métier. C’est le temps de la maturation et de l’enracinement. De Castéra, dans l’ouvrage auquel nous nous référons, fait allusion à la discipline du métier, à l’aventure et au tour de France26. La poursuite de la formation se résume dans ces références. Le compagnon, devenu maintenant apte à l’exercice de son métier et reconnu comme tel, va entamer un voyage (le tour de France) auprès de divers autres compagnons aux expériences diverses qui complèteront sa formation initiale. Le compagnon ainsi engagé dans ce voyage s’enrichit de ce qu’il voit et expérimente. Des rencontres poursuivent son humanisation par la connaissance des hommes et l’ouverture aux autres qui sont assez déterminantes pour éveiller sa conscience. Ce voyage formateur a pour but non seulement l’approfondissement du métier par l’apprentissage des différentes tech- niques professionnelles (de Castéra 2012 : 67), mais également une formation humaine, les qualités humaines et professionnelles qui ouvrent les compagnons à la joie d’appartenir au

25 La réception du compagnon se fait au cours d’une cérémonie de réception où il reçoit les attributs et les règles

de son corps de métier. C’est donc une consécration qui engage dans un processus de perfectionnement. Le chef d’œuvre est moins un couronnement qui signe l’arrêt de la curiosité et de la recherche mais, un encouragement supplémentaire qui motive à se former.

26 Le Tour de France a pour but de valoriser le métier. C’est l’équivalent de l’entrée dans la vie professionnelle.

Le compagnon se confronte aux autres pour affiner son apprentissage et approfondir les différentes pratiques et facettes de son métier.

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compagnonnage. Ainsi, dans la formation compagnonnique, les compagnons se forment au- près des aînés qui accueillent et des pairs qui partagent les situations concrètes de la vie, du métier et de la communauté. Parler de la pratique du compagnonnage dans ce sens, c’est se situer dans une dynamique qui conjugue la formation, la co-formation et l’autoformation qui, toutes, symbolisent un itinéraire, un art de vivre qui amène à la transformation et à la con- naissance de soi.