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Chapitre 2. La pratique de compagnonnage et d’autoformation dans un dispositif de

1. Émergence du concept de compagnonnage et d’autoformation

1.1 Une approche du compagnonnage dans le sillage de l’accompagnement

1.1.3 L’actualité du compagnonnage

Le compagnonnage a une origine floue et la revue de la littérature que nous avons effectuée ne nous oriente pas dans le sens de ce qu’implique une relation de compagnonnage. Dans le monde occidental et en France en particulier, certains auteurs, notamment de Castéra (2012) et Saint-Léon (2010), pour expliquer l’origine du compagnonnage, se sont tournés vers la tradition initiatique, avec ses rites, ses symboles et ses secrets qui se transmettaient de grade en grade. Ainsi les francs-maçons se rapprochaient de l’esprit du compagnonnage et se cons- tituaient en loges réunissant des ouvriers de différents chantiers. Leur organisation s’appuyait sur un système de grades avec à sa base, les apprentis puis les compagnons et enfin les maîtres.

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À la même époque, les corporations se situaient dans une dimension de solidarité de métier. On y retrouvait les corps de métier qui défendaient leurs intérêts et les associations de com- pagnons qui étaient en réalité des valets, c’est-à-dire des ouvriers compétents et salariés qui assuraient la formation des apprentis et servaient d’intermédiaires entre eux et le maître. Entre le valet et le maître existaient des rapports cordiaux, d’autant plus que le compagnon était, étymologiquement, celui qui partage le pain avec un autre. Il était soumis au maître, dans la mesure où il vivait chez lui et partageait sa table, mais il aspirait à devenir à son tour un maître. Avec le temps, lorsque les conditions d’accès à la maîtrise sont rendues plus dif- ficiles, les privilèges des valets diminuèrent encore au sein des corporations où ils n’exer- çaient qu’une influence limitée. Être valet ou compagnon était devenu une fonction à vie, sans promotion possible. Les valets se constituèrent alors en confréries parallèles d’ouvriers et d’artisans, à l’opposé des corporations de métiers dirigées par les maîtres. Ils prirent le nom de confréries de compagnons pour garder leur autonomie, mais assez vite, ces confréries furent combattues par le pouvoir des maîtres, et condamnées par le pouvoir civil et l’autorité ecclésiastique (Martin-Saint-Léon 2010 : 65). Ces confréries furent réduites à la clandesti- nité. Les compagnons associés, comme des frères d’armes, des frères du travail, entretenaient une amitié qui les rendait tous égaux entre eux. Ils se transmettaient des rites corporatifs, partageaient le même idéal en voyageant et en se confrontant aux techniques d’autres régions. On parlait d’effectuer son Tour de France de métiers de main (artisanaux) en s’initiant selon un rituel bien particulier.

De nos jours, l’évolution technologique que connaît la société moderne a mis à mal le com- pagnonnage traditionnel. Obligées de s’adapter et de se renouveler, certaines confréries n’ont pu résister à cette modernisation de la société, d’autres ont continué à exister, perpétuant ainsi leurs pratiques, leurs secrets. Par contre, à cause de leur diminution, ce n’est que par leurs statuts et leurs histoires si proches des associations compagnonniques, que l’on peut décou- vrir un lien avec les pratiques de compagnonnage actuelles22.

22 Les auteurs consultés distinguent trois associations compagnonniques issues du rattachement des confréries

de compagnons : L’Union compagnonnique des compagnons du tour de France des Devoirs Unis, créée en 1889; L’Association ouvrière des compagnons du Tour de France ou du Devoir, dit aussi du Devoir, créée en 1941; et la Fédération compagnonnique des métiers du bâtiment et autres métiers appelée aussi Compagnons des Devoirs Unis du Tour de France, fondée en 1952.

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Ce recours nous a paru intéressant pour situer le compagnonnage et le différencier des pra- tiques qui ont été à son origine. En effet, les confréries de compagnons et les trois associations compagnonniques qui ont suivi ont permis aux compagnons de prendre conscience de leur responsabilité dans l’humanisation de l’homme et cela au travers de mises en situations pro- fessionnelles, d’une transmission et d’un apprentissage par la pratique et par le partage de vie, d’expérience et de pratiques à travers les voyages. Être compagnon prenait alors une autre allure, celle d’unifier la main et la pensée. Né de pratiques séculaires, le compagnon- nage devient une pratique de métier s’accompagnant de tour de main marquant l’individu dans sa capacité à s’approprier le métier.

Notre problématique ne nous oriente pas dans le sens vécu et pratiqué dans la tradition des compagnons du devoir ou dans celui de l’esprit du tour de France des métiers. Nous avons eu recours à cette tradition pour questionner la relation du compagnonnage sous l’angle d’une Église naissant d’un partage fraternel, constitutif de la croissance du corps entier et des hommes. Tout en venant compléter et enrichir la notion d’accompagnement, cette approche du compagnonnage interroge aussi la vie ecclésiale. En effet, si celle-ci renvoie à une res- ponsabilité mutuelle, la responsabilité de chacun dans la relation de compagnonnage se com- prendrait dans une dimension ecclésiale du service à la suite du Christ. De ce fait, il pourrait exister dans des situations de solidarité et d’enracinement des engagements pastoraux. Dans une démarche qui consiste à rendre compte de la foi chrétienne dans l’espace public, le ser- vice et le don de soi sont au cœur de l’évangélisation. À cet effet, être avec lui, cheminer avec lui devient une grâce. C’est du moins ce que nous percevons en lisant les Actes des apôtres « Celui qu’ils ont supprimé en le suspendant au bois du supplice, Dieu l’a ressuscité le troisième jour, il lui a donné de se manifester non pas à tout le peuple, mais à des témoins que Dieu avait choisis d’avance […]. Dieu nous a chargés d’annoncer au peuple et de témoi- gner que lui-même l’a établi juge des vivants et des morts. » (Ac 10, 39-42). Le compagnon- nage revêt donc ici une dimension de service de la communauté et d’acte théologal, dans la mesure où il se rapporte à la volonté de Dieu ou à l’agir selon le cœur de Dieu.

Le compagnonnage n’est donc plus seulement caractérisé par ses secrets, ses rituels à perpé- tuer, ou ses offices de défense des intérêts des ouvriers, c’est un art de vivre, d’entrer en communion et d’être. En ce sens, le compagnonnage traditionnel est différent du compagnon- nage moderne qui, lui, n’admet pas de maîtres qui enseignent à autrui, mais des compagnons

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qui, d’une part, font entrer dans une recherche par la pratique déjà commencée et qui, d’autre part, font découvrir et confronter autrui à d’autres horizons de pratiques (de Castéra 2012). Le compagnonnage serait aussi une nouvelle manière de découvrir (Routhier 1997 : 35) ou la création des conditions de cheminement (Biemmi : 2010 : 95). N’est-ce pas cette pratique de compagnonnage qui privilégie la remise en cause et qui motive à se perfectionner? Alors, qu’est-ce qui caractérise cette pratique de compagnonnage ?