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Les potentialit´ es du concept ´ eliassien de configuration 40

1.3 Conclusion

2.1.4 Les potentialit´ es du concept ´ eliassien de configuration 40

par Norbert Elias afin de comprendre comment le concept de configuration peut ˆetre utilis´e dans l’interpr´etation d’un ph´enom`ene tel que la confiance.

Comme on l’a vu, la confiance est un ph´enom`ene ´eminemment relation-nel et s’ancre dans l’´emergence et le fonctionnement des soci´et´es complexes o`u l’ordre social n’est plus assur´e par le contrˆole op´er´e par les groupes dans lesquels l’individu naˆıt – les configurations dans lesquels le pouvoir est dis-tribu´e de mani`ere in´egale en seraient une m´etaphore – mais par des confi-gurations dans lesquelles l’individu construit et n´egocie constamment ses relations tout au long de sa vie.

Les soci´et´es complexes ont donn´e lieu `a des configurations faites d’in-terd´ependances humaines impr´evues, puisque non directement visibles dans leur ensemble. Ces interd´ependances transforment le pouvoir des individus en n´egociations permanentes et prolong´ees sur le d´eroulement du jeu. Les soci´et´es actuelles sont donc un environnement propice au fonctionnement de la confiance (Cook, 2001, 2005), puisqu’elles sont caract´eris´ees par l’allonge-ment des «chaˆınes d’interd´ependance, o`u des individus toujours plus nom-breux sont fonctionnellement reli´es dans des espaces toujours plus vastes» (Elias, 1991, p. 113).

D´efini par Elias (1994) comme ´etant une structure de personnes mutuel-lement d´ependantes, le concept de configuration s’accorde ainsi aux m´ eca-nismes explicatifs de la confiance. A la suite des transformations sociohis-toriques d´ecrites par Elias dans la th´eorie du processus de civilisation, il ne faut cependant pas interpr´eter la confiance comme une r´eponse fonctionnelle

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a la complexit´e des soci´et´es modernes et postmodernes : l’allongement des chaˆınes d’interd´ependance n’a pas, en tant que tel, fait ´emerger le besoin de la confiance afin de garantir la stabilit´e du syst`eme social tr`es complexe.

Dans un cadre fonctionnaliste, lacivilisation correspond `a une sorte de pacification progressive des relations sociales. Cependant, cette interpr´ eta-tion ´equivaut `a oublier que la d´emarche ´eliassienne conduit `a la recherche de conditions de possibilit´e sociohistoriques. Elias lui-mˆeme fournit ainsi les instruments pour d´epasser la critique la plus souvent formul´ee envers la th´eorie du processus de civilisation : sa pr´etendue unidirectionnalit´e4 (Garland, 2010). Il est par cons´equent essentiel de rappeler que, de mani`ere coh´erente avec la volont´e d’explicitation de la sociogen`ese des ph´enom`enes

4. Le num´ero 106 (2010/2) de la revue Vingti`eme Si`ecle. Revue d’histoire intitul´e

«Norbert Elias et le 20esi`ecle. Le processus de civilisation `a l’´epreuve»est une synth`ese ecente de ces discussions. Il s’agit d’apports venant de plusieurs horizons disciplinaires et

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ecrits par des chercheurs en sciences sociales de renomm´ee internationale. Lien :http://

www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2010-2.htm

sociaux, le concept ´eliassien de configuration h´erite une importante com-posante concurrentielle. La rivalit´e est en effet un ´el´ement constitutif de la configuration comme le r´ev`ele l’exemple de la soci´et´e de cour.

Si, d’une part, la th´eorie du processus de civilisation pourrait conduire

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a une explication de la confiance dans les termes d’un besoin d’´equilibre et de stabilit´e du syst`eme social, d’autre part, l’int´erˆet d’Elias pour les formes sociales r´eelles (Ducret, 2011) permet de complexifier l’explication des m´ecanismes de la confiance dans des soci´et´es modernes et postmodernes.

N´eanmoins la notion de configuration d´efinie `a partir des seuls traits caract´eristiques de la soci´et´e de cour n’est pas directement applicable `a la lecture de la pluralit´e de la r´ealit´e sociale contemporaine. Quels m´ecanismes d’interd´ependance g´en´eraux et g´en´eralisables repr´esentent les conditions de possibilit´e des ph´enom`enes sociaux, tels que la confiance dans des soci´et´es modernes et postmodernes ? Peut-on isoler des r´egularit´es dans le change-ment social et expliciter des m´ecanismes explicatifs g´en´eralisables ? Peut-on mod´eliser une configuration sans la r´eduire `a «un simple agr´egat de va-riables d´ependantes et ind´ependantes, les unes expliquant la variation des autres» (Ducret, 2011), en dehors d’un contexte historique et social ?

A notre avis, les r´eponses `a ces questions peuvent ˆetre trouv´ees, pre-mi`erement, en suivant l’ambition simmelienne d’´etudier des formes sociales fondamentales qui ont une port´ee explicative de toutes les interactions hu-maines et, deuxi`emement, comme d´ej`a propos´e par Elias lui-mˆeme, en in-cluant«la perspective dumoi»(Elias, 1991, p. 167). Dans ce sens, l’inclu-sion des apports th´eoriques de Georg Simmel et de Erving Goffman dans la perspective configurationnelle permet la compr´ehension des conditions de possibilit´e de la confiance dans les soci´et´es complexes et ceci pour plusieurs raisons. D’abord, la contribution de Simmel permet la r´einterpr´etation de la concurrence en tant que pˆole d’un continuum entre antagonisme et coop´ e-ration5 (D´echaux, 2010 ; Losa, 2011). Comme on l’a vu plus haut, l’interd´ e-pendance peut repr´esenter une transaction de plusieurs types de ressources.

Elle n’est donc plus fonction d’un seul objectif de jeu, c’est-`a-dire d’un seul besoin comme l’´etait le prestige dans la soci´et´e de cour. Au sein de cette der-ni`ere, un jeu de type concurrentiel ´etait en place et ni les r`egles ni l’objectif du jeu n’´etaient remis en discussion, le besoin de prestige ´etait constitutif de l’ethos de la soci´et´e de cour. En revanche, dans les soci´et´e complexes, on trouve une pluralit´e de syst`emes de coordination entre individus6.

Ensuite, la contribution de Goffman augmente la valeur ´epist´emique

5. En approfondissant cette optique et en vue d’une application dans le cas des inter-actions langagi`eres, Losa (2011) propose par exemple quatre modes d’interd´ependance : un mode collaboratif, un mode r´eactif, un mode de l´egitimation et un mode d’obligation.

6. Hypoth´etiquement, dans une soci´et´e compl`etement atomis´ee, on serait face `a un nombre de«eth`e»(pluriel deethos) ´egal au nombre d’individus.

du concept de configuration `a travers l’explicitation des m´ecanismes qui permettent `a l’individu de s’approprier des facteurs pr´econstitu´es externes

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a sa personne (D´echaux, 2010). L’approche configurationnelle repr´esente `a partir du point de vue de l’individu, une synth`ese et la mise en ´evidence d’un niveau d’analyse `a la fois social et mental : un ordre plus concret qui d´epasse les individus et la soci´et´e et qui doit ˆetre ´etudi´e par lui-mˆeme sans le r´eduire ni aux acteurs qui l’incarnent et ni aux institutions qui le soutiennent7.

2.2 La th´ eorie sociohistorique des situations so-ciales selon Diehl et McFarland (2010)

Dans les prochaines sous-sections, les d´eveloppements les apports de Simmel et les ´elaborations du concept de cadre de l’exp´erience (Goffman, 1991 [1974]), effectu´es par Diehl et McFarland (2010), permettront une th´ eo-risation plus pouss´ee de la transformation de nos soci´et´es compatible, d’une part, avec la lecture des soci´et´es complexes actuelles et, de l’autre, avec les ambitions de connecter les niveauxmicro (l’action) et macro (la structure) de la r´ealit´e sociale.

Cette section prend ainsi forme `a partir de l’article«Toward a Historical Sociology of Social Situations» de Diehl et McFarland (2010). D´ej`a bri` e-vement introduites en parlant de sa d´efinition de la confiance (cf. section 1.1.2), nous nous int´eressons donc aux transformation des formes sociales d´ecrites par Simmel avec le passage de la pr´e-modernit´e `a la modernit´e.

Ensuite, sur la base de Diehl et McFarland (2010), nous introduisons des prolongements th´eoriques qui d´ecrivent ces transformations dans la postmodernit´e – initialement propos´es par Pescosolido et Rubin (2000) – et l’int´egration avec les apports de la frame analysis d’Erving Goffman (1991 [1974]). Dans sa th´eorie, ce dernier fournit les fondements th´eoriques microsociologiques de la configuration en s’int´eressant aux m´ecanismes de coordination dans l’interaction entre individus. M´ecanismes qui sont `a inter-pr´eter comme les fondements de nature sociale et cognitive de la vie sociale.

Les inclure signifie combler les faiblesses du concept de configuration ´ elias-sienne en la d´efinissant en tant qu’«ordre d’interaction propre».

Les th´eories expliquant le changement social se positionnent souvent `a un niveau tr`es g´en´eral et parlent de p´eriodes sociohistoriques comme de

7. Dans la communication «Peut-on identifier les fondements de la configuration ? Une analyse cognitive post-´eliassienne», dans le cadre du WorkshopInterd´ependances et identit´e(s) : le concept de configuration comme outil analytique pour penser les relations identitairesque nous avons organis´e avec Stefano Losa lors du congr`es de la Soci´et´e suisse de sociologie 2009, Jean-Hughes D´echaux rapproche le concept de configuration `a celui de l’ordre de l’interaction (Goffman, 1991 [1974]) et d´efinit cet ordre de la r´ealit´e sociale comme ´etantsui generis.

syst`emes sociaux culturellement homog`enes et bien d´efinis (Diehl et McFar-land, 2010). De ce point de vue, les formes sociales de Simmel sont plutˆot des contextes ouverts dans lesquels prennent place des cadres interpr´etatifs des situations sociales utilis´es par des acteurs en interaction. Il s’agit de cadres de r´ef´erence consensuels, comparables `a unethos de jeu partag´e, qui ont des fronti`eres temporaires et changeantes. Diehl et McFarland (2010) parlent d’une th´eorie historique des situations sociales puisque des p´eriodes historiques ont connu la pr´evalence d’une forme plutˆot qu’une autre.

Dans les prochaines sections, nous pr´esenterons d’abord les trois types de forme sociale relatifs `a la pr´emodernit´e, la modernit´e et la postmodernit´e et ensuite le concept de cadre de l’exp´erience de Goffman (1991 [1974]).

Le concept de cadre de l’exp´erience est en effet le trait d’union entre le ph´enom`ene de la confiance et ses conditions de possibilit´e situ´ees `a des niveaux explicatifs tr`es diff´erents. Il permet en effet le passage du niveau macrosociologique au niveau microsociologique. La d´ecision individuelle de faire confiance est ici interpr´et´ee comme la combinaison d’un contexte et de la lecture que l’individu en fait. Avec l’introduction de la perspective goffmanienne, nous introduisons«l’ordre de l’interaction»(Goffman, 1983) et ses r`egles propres dans l’approche configurationnelle.

Notre mod`ele th´eorique du fonctionnement de la confiance passe donc par l’int´egration des apports de Simmel, de Goffman et du concept de confi-guration tributaire du programme de recherche ´eliassien. Cette op´eration peut ˆetre vue `a l’int´erieur d’une plus g´en´erale «ontologie configuration-nelle» (Cederman, 2005).

Dans les prochaines sous-sections, nous pr´esenterons la transformation des formes sociales et les cadres de l’exp´erience comme des ´el´ements consti-tutifs d’une approche configurationnelle qui consid`ere comme fondamentale la compr´ehension des processus macrosociaux et qui veut en mˆeme temps remettre au centre l’individu (Diehl et McFarland, 2010).