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Les interdépendances de la confiance: une approche configurationnelle des liens sociaux

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Academic year: 2022

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(1)

Thesis

Reference

Les interdépendances de la confiance: une approche configurationnelle des liens sociaux

DE CARLO, Ivan

Abstract

Cette thèse, se distanciant d'une approche de la confiance centrée sur son utilité pour la cohésion du système social, se centre sur les conditions de possibilité des dimensions relationnelles de la confiance comme processus social. Elle s'inscrit dans le cadre théorique de la sociologie configurationnelle initiée par Norbert Elias. Le concept de configuration, soit les interdépendances des individus, est utilisé comme indicateur des conditions de possibilité de la confiance. Utilisant plusieurs bases de données quantitatives, elle opérationnalise le concept de configuration dans deux études. La première, effectuée sur les échantillons suisses de la World Value Survey et de l'European Social Survey, vise l'explication des évolutions de la confiance à travers le temps historique et les cohortes de naissance.

Effectuée sur les données de l'enquête Step-out réalisée au Département de sociologie, la seconde étude vise la compréhension des effets des configurations sur la confiance par l'étude de réseaux d'interdépendances familiales.

DE CARLO, Ivan. Les interdépendances de la confiance: une approche

configurationnelle des liens sociaux. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2014, no. SES 865

URN : urn:nbn:ch:unige-449641

DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:44964

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:44964

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(2)

de la confiance

Une approche configurationnelle des liens sociaux

Th`ese pr´esent´ee `a la Facult´e des sciences ´economiques et sociales de l’Universit´e de Gen`eve

Par

Ivan De Carlo

pour l’obtention du grade de

Docteur `es sciences ´economiques et sociales mention : sociologie

Membres du jury de th` ese :

Prof. Eric Widmer, directeur de th`ese, Universit´e de Gen`eve Prof. Sandro Cattacin, pr´esident du jury, Universit´e de Gen`eve Prof. Fabrice Cl´ement, Universit´e de Neuchˆatel

Prof. Dominique Joye, Universit´e de Lausanne

Th`ese No. 865

Gen`eve, le 29 octobre 2014

(3)

La Facult´e des sciences ´economiques et sociales, sur pr´eavis du jury, a auto- ris´e l’impression de la pr´esente th`ese, sans entendre, par l`a, n’´emettre aucune opinion sur les propositions qui s’y trouvent ´enonc´ees et qui n’engagent que la responsabilit´e de leur auteur.

Gen`eve, le 29 octobre 2014

Le doyen

Bernard MORARD

Impression d’apr`es le manuscrit de l’auteur

(4)

R´esum´e xiii

Remerciements xv

Introduction 1

1 Les th´eories de la confiance 7

1.1 La confiance dans les soci´et´es complexes . . . 8

1.1.1 La confiance dans l’ordre social . . . 9

1.1.2 La confiance `a travers l’ambivalence . . . 17

1.2 Conditions de possibilit´es et d´efinition de la confiance . . . . 22

1.3 Conclusion . . . 28

2 Interpr´eter la confiance en termes configurationnels 31 2.1 La configuration ´eliassienne : chaˆınes et processus d’interd´e- pendances . . . 32

2.1.1 La m´etaphore du jeu et la complexification des rela- tions humaines . . . 33

2.1.2 Les chaˆınes d’interd´ependances . . . 36

2.1.3 La configuration comme processus . . . 37

2.1.4 Les potentialit´es du concept ´eliassien de configuration 40 2.2 La th´eorie sociohistorique des situations sociales . . . 42

2.2.1 Formes desociation en transformation . . . 43

2.2.2 Cadres de l’exp´erience et formules . . . 46

2.3 Un cadre configurationnel pour la confiance . . . 54

2.3.1 Le lien micro-macro et l’ambivalence . . . 54

2.3.2 La confiance commeinterd´ependance diffuse . . . 57

2.3.3 Les conditions configurationnelles de la confiance . . . 58

2.4 Conclusion . . . 63 iii

(5)

3 Op´erationnalisations et hypoth`eses 65

3.1 La cohorte comme configuration . . . 65

3.1.1 Hypoth`eses sur les effets de p´eriode et les effets de cohorte sur la confiance . . . 67

3.1.2 Hypoth`eses sur les effets de l’´evolution des interd´e- pendances sur la confiance . . . 69

3.2 La famille comme configuration . . . 73

3.2.1 Hypoth`eses sur les effets des configurations familiales sur la confiance . . . 75

3.2.2 Hypoth`eses sur les effets des interd´ependances dya- diques sur la confiance . . . 76

3.3 Conclusion . . . 78

4 La mesure de la confiance : indicateurs, controverses et don- n´ees utilis´ees 79 4.1 Les mesures des deux types de confiance . . . 79

4.1.1 La confiance interpersonnelle . . . 80

4.1.2 La confiance institutionnelle . . . 83

4.1.3 Que mesure-t-on ? . . . 84

4.2 Donn´ees et indicateurs utilis´es . . . 86

4.2.1 World Value Survey etEuropean Social Survey . . . . 87

4.2.2 L’enquˆete Step-out . . . 105

4.3 Conclusion . . . 112

5 Changement sociohistorique de la confiance 115 5.1 Limites des analyses propos´ees . . . 116

5.2 Effets de p´eriode . . . 119

5.2.1 La confiance interpersonnelle g´en´eralis´ee . . . 120

5.2.2 La confiance institutionnelle . . . 122

5.3 Effets de p´eriode et de cohorte . . . 124

5.3.1 La confiance interpersonnelle g´en´eralis´ee . . . 124

5.3.2 La confiance institutionnelle . . . 131

5.3.3 Synth`ese . . . 139

5.4 Effets des interd´ependances . . . 140

5.4.1 Les interd´ependances effectives (indicateurs WVS) . . 142

5.4.2 Les interd´ependances effectives et la cohorte de nais- sance (indicateur ESS) . . . 150

5.4.3 Les interd´ependances per¸cues (indicateurs WVS) . . . 153

5.4.4 Synth`ese . . . 155

5.5 La combinatoire des types de confiance . . . 157 5.5.1 Confiance interpersonnelle et confiance institutionnelle 158

(6)

5.5.2 Confiance interpersonnelle, confiance institutionnelle

et confiance dans des cat´egories sociales . . . 160

5.5.3 Synth`ese . . . 162

5.6 Conclusion . . . 163

6 Confiance et configurations familiales 169 6.1 Les configurations familiales et leurs d´eterminants . . . 170

6.1.1 Composition des configurations familiales . . . 173

6.1.2 D´efinition des r´eservoirs de parent´e . . . 178

6.1.3 Conditions de l’appartenance aux configurations fa- miliales . . . 181

6.1.4 Caract´eristiques sociom´etriques des configurations . . 186

6.2 Relations entre les indicateurs de confiance . . . 194

6.3 Conditions de possibilit´e de la confiance interpersonnelle g´e- n´eralis´ee et dans la famille . . . 196

6.3.1 Effets des configurations . . . 198

6.3.2 Effets des caract´eristiques sociom´etriques des configu- rations . . . 200

6.3.3 Effets des participations associatives . . . 204

6.4 Conditions de possibilit´e de la confiance interpersonnelle par- ticularis´ee . . . 206

6.4.1 Analyses bivari´ees . . . 207

6.4.2 Analyses multivari´ees . . . 212

6.5 Conclusion . . . 223

Conclusion g´en´erale 229

Annexe A 239

Annexe B 273

R´ef´erences bibliographiques 283

(7)
(8)

4.1 Nombre d’indicateurs sur la confiance interpersonnelle et la confiance institutionnelle par enquˆete selon la vague . . . 89 4.2 Indicateurs de confiance interpersonnelle WVS . . . 90 4.3 Effectifs (valides et manquants) des indicateurs de confiance

institutionnelle WVS (Ntot=3858) . . . 94 4.4 Tests de l’invariance `a travers les vagues ESS . . . 103 4.5 Moyennes de la confiance interpersonnelle et de la confiance

institutionnelle par vague (estimations des moyennes des fac- teurs latents) . . . 104 5.1 Indicateur WVS de confiance interpersonnelle par vague . . . 120 5.2 Effets de p´eriode et de cohorte sur la confiance interperson-

nelle, indicateur WVS (r´egressions logistiques) . . . 127 5.3 Effets de p´eriode et de cohorte sur les indicateurs de confiance

interpersonnelle ESS (r´egressions lin´eaires) . . . 130 5.4 Effets de p´eriode et de cohorte sur les indicateurs de confiance

institutionnelle WVS (r´egressions logistiques) . . . 133 5.5 Effets de p´eriode et de cohorte sur les indicateurs de confiance

institutionnelle ESS (r´egressions lin´eaires) . . . 137 5.6 Effets de p´eriode et de cohorte sur les indicateurs de confiance

institutionnelle ESS (r´egressions lin´eaires) . . . 138 5.7 Effets des interd´ependances effectives sur la confiance inter-

personnelle, indicateur WVS (r´egressions logistiques) . . . 143 5.8 Interd´ependances effectives de la cohorte 1915-1944, donn´ees

WVS (r´egression logistique) . . . 145 5.9 Effets des interd´ependances effectives sur la confiance insti-

tutionnelle, indicateurs WVS (r´eg. logistiques) . . . 148 5.10 Effets des interd´ependances sur la confiance interpersonnelle,

indicateur ESS (r´egressions lin´eaires) . . . 151 5.11 Effets des interd´ependances per¸cues sur la confiance, indica-

teurs WVS (r´eg. logistiques) . . . 154 vii

(9)

5.12 Associations des types de confiance, indicateurs WVS (r´e- gressions logistiques) . . . 159 5.13 Associations des types de confiance, indicateurs WVS 2007

(r´egressions logistiques) . . . 161 6.1 Les 23 liens familiaux les plus cit´es . . . 174 6.2 Description des configurations familiales : effectifs par confi-

guration, nombre moyen de personnes cit´ees par lien familial et par configuration . . . 176 6.3 Description des r´eservoirs de parent´e (effectifs par r´eservoir et

nombre moyen de membres effectifs de la parent´e par r´eservoir)180 6.4 Facteurs explicatifs de l’appartenance aux configurations fa-

miliales (r´egressions logistiques) . . . 183 6.5 Corr´elations de Pearson entre les indices sociom´etriques (N=300)191 6.6 Corr´elations de Pearson entre indicateurs de confiance . . . . 194 6.7 Effets des configurations familiales sur la confiance interper-

sonnelle g´en´eralis´ee et dans la famille (r´egressions logistiques), N=298 . . . 199 6.8 Effets des configurations familiales et des densit´es les r´eseaux

d’interd´ependance sur la confiance interpersonnelle g´en´erali- s´ee et dans la famille (r´egressions logistiques), N=299 . . . . 202 6.9 Effets des configurations familiales et de la centralit´e de la r´e-

pondante dans les r´eseaux d’interd´ependance sur la confiance interpersonnelle g´en´eralis´ee et dans la famille (r´egressions lo- gistiques), N=299 . . . 203 6.10 Effets de la participation associative sur la confiance inter-

personnelle g´en´eralis´ee et dans la famille (r´egressions logis- tiques), N=296 . . . 205 6.11 Confiance interpersonnelle particularis´ee par configuration,

par structure familiale et par r´eservoir de parent´e (moyennes et effectifs) . . . 209 6.12 Effets de la r´eciprocit´e des liens sur la confiance interperson-

nelles particularis´ee, moyennes et pourcentages (%), Ntot=2890212 6.13 Mod`eles de r´egression logistique multiniveaux sur la probabi-

lit´e de confiance interpersonnelle particularis´ee (r´epondante

→ personne cit´ee), avec configurations familiales, exp(β) . . . 213 6.14 Mod`eles de r´egression logistique multiniveaux sur la probabi-

lit´e de confiance interpersonnelle particularis´ee (r´epondante

→ personne cit´ee), avec lien familial de la personne cit´ee (N=2890), exp(β) . . . 216

(10)

6.15 Mod`eles de r´egression logistique multiniveaux sur la proba- bilit´e deconfiance interpersonnelle particularis´ee´elev´ee (r´e- pondante → personne cit´ee), avec densit´es (N=2890), exp(β) 219 6.16 Mod`eles de r´egression logistique multiniveaux sur la probabi-

lit´e de confiance interpersonnelle particularis´ee (r´epondante

→personne cit´ee), avec configurations familiales et confiance interpersonnelle g´en´eralis´ee et dans la famille, exp(β) . . . 221

(11)
(12)

2.1 Aspects `a consid´erer dans la«process-oriented methodology» tir´e de Baur et Ernst (2010, p. 124) . . . 38 2.2 Repr´esentation graphique des formes desociation de Simmel

(«Social Network Formation ») tir´e de Pescosolido et Rubin (2000), cit´e par Diehl et McFarland (2010) . . . 45 4.1 Distributions des indicateurs de confiance interpersonnelle

ESS (proportions du total toutes vagues confondues) . . . 91 4.2 Distributions (%) des indicateurs de confiance institutionnelle

WVS par vague . . . 93 4.3 Distributions des indicateurs de confiance institutionnelle ESS

(proportions du total toutes vagues confondues) . . . 95 4.4 Analyses factorielles confirmatoires . . . 100 4.5 Confiance interpersonnelle g´en´eralis´ee (aux autres) et dans

des cat´egories sociales, effectifs (indicateurs Step-out) . . . . 109 4.6 Confiance envers les individus cit´es (confiance interperson-

nelle particularis´ee), effectifs par cat´egorie (Ntot = 2890), in- dicateur Step-out . . . 111 5.1 Diagramme de Lexis . . . 117 5.2 Niveaux moyens (avec CI95%) des indicateurs de confiance

interpersonnelle (ESS) par vague . . . 121 5.3 Niveaux moyens (avec CI95%) de confiance institutionnelle

par vague (indicateurs ESS) . . . 123 5.4 Proportion de confiance interpersonnelle par vague et par co-

horte de naissance (indicateur WVS) . . . 125 5.5 Moyennes (avec CI95%) des indicateurs (ESS) de confiance

interpersonnelle par cohorte de naissance . . . 128 5.6 Moyennes (avec CI95%) des indicateurs (ESS) de confiance

institutionnelle par cohorte de naissance . . . 136 xi

(13)

6.1 R´epartition des configurations familiales selon la structure familiale . . . 177 6.2 R´epartition des configurations familiales selon le r´eservoir de

parent´e (Mosaic Plot) . . . 182 6.3 Repr´esentation graphique des r´eseaux d’interd´ependance d’une

configuration familiale . . . 188 6.4 Moyennes (avec CI95%) de la densit´e des r´eseaux d’interd´e-

pendance par configuration familiale (N=300) . . . 192 6.5 Moyennes (avec CI95%) de la centralit´e de la r´epondante

dans les r´eseaux d’interd´ependance par configuration fami- liale (N=300) . . . 193 6.6 Moyennes (avec CI95%) de la confiance interpersonnelle g´e-

n´eralis´ee et dans la famille par configuration (N=299) . . . . 197 6.7 Niveau de confiance interpersonnelle particularis´ee par lien

familial cit´e et structure familiale, moyennes (Ntot=2890) . . 211

(14)

Dans cette th`ese, nous voulons prendre de la distance avec les perspec- tives th´eoriques dominantes s’int´eressant `a la confiance dans les sciences sociales. L’int´erˆet ne sera donc pas centr´e sur l’utilit´e de la confiance pour la coh´esion du syst`eme social, mais sur l’´etude des aspects relationnels qui la g´en`erent. Nous adoptons ainsi le cadre th´eorique de la sociologie configu- rationnelle initi´ee par l’œuvre de Norbert Elias, en int´egrant ´egalement les apports de Georg Simmel et d’Erving Goffman.

Apr`es avoir pass´e en revue les principaux apports th´eoriques sur la confiance, nous d´efinissons le cadre th´eorique de la sociologie configuration- nelle. Ce dernier nous conduit `a l’analyse de la configuration, c’est-`a-dire des interd´ependances et les insertions sociales des individus. Le concept de configuration est utilis´e ensuite en tant qu’indicateur des conditions de pos- sibilit´e de la confiance. Utilisant plusieurs bases de donn´ees quantitatives `a notre disposition, nous op´erationnalisons le concept de configuration dans deux ´etudes.

Effectu´ee sur les ´echantillons suisses de la World Value Survey et de la European Social Survey, la premi`ere ´etude vise l’explication des ´evolutions de la confiance `a travers le temps et `a travers les cohortes de naissance des individus. Nous effectuons une analyse des effets de p´eriode et des effets de cohortes sur la confiance interpersonnelle et la confiance institutionnelle, dans le but de comprendre si certaines cohortes peuvent ˆetre consid´er´ees comme des configurations particuli`eres qui favorisent le d´eveloppement de la confiance. Nous appr´ehendons la confiance comme soumise `a des forces cr´e´ees par les diff´erents r´eseaux d’affiliation des individus positionn´es `a l’in- tersection de cercles de participation sociale (famille, travail, associations, etc.). La configuration relie ainsi, par des chaˆınes d’interd´ependance plus ou moins longues, les individus et leurs temporalit´es, aux structures macroso- ciales et aux temporalit´es sociohistoriques.

Effectu´ee sur les donn´ees de l’enquˆeteStep-out r´ealis´ee au D´epartement de sociologie de l’Universit´e de Gen`eve, la deuxi`eme ´etude vise la compr´e- hension des effets des configurations sur la confiance par l’´etude de r´eseaux d’interd´ependances familiales (r´eseaux de support et de conflit). Le cas de

xiii

(15)

la famille nous permet de comprendre quelles sont les conditions de possibi- lit´e de la confiance `a un niveau microsociologique. Bas´ee sur les personnes consid´er´ees comme membres importants de la famille par le r´epondant, la configuration familiale permet d’approcher les conditions de la confiance sur deux plans, statutaire et interactionnel. Si, encore sous l’influence du fonctionnalisme, la famille est consid´er´ee comme g´en´eratrice de confiance par d´efinition, la perspective configurationnelle met en ´evidence, ´egalement dans le contexte familial, que la confiance se d´ecline selon des interd´epen- dances que les individus construisent et reconstruisent au quotidien dans les relations les uns avec les autres.

(16)

Je tiens tout d’abord `a exprimer mes plus vifs remerciements `a Eric Widmer, qui a ´et´e pour moi un directeur de th`ese attentif et disponible pendant toutes les ann´ees de notre collaboration. Ses comp´etences et ses apports m’ont beaucoup appris. J’exprime tous mes remerciements `a l’en- semble des membres de mon jury : les professeurs Sandro Cattacin, Fabrice Cl´ement, Dominique Joye et Eric Widmer, pour leurs lectures attentives et leurs conseils utiles `a l’am´elioration de la premi`ere version du manuscrit.

J’adresse toute ma gratitude aux coll`egues et amis du d´epartement de sociologie ainsi que les successifs coll`egues pass´es par l’ancien bureau 4204, qui m’ont accompagn´e dans la r´ealisation de ce travail. Un merci particulier

`

a Stefano Losa, qui m’a toujours encourag´e et avec lequel j’ai pu avoir des

´

echanges intellectuelles et humaines qui ont ´et´e pour moi tr`es importants.

Merci infiniment `a ma femme Katja et `a ma fille Lucia, d’avoir ´et´e l`a pendant tout ce temps et d’avoir cru en moi. Je d´edie ce travail `a mes parents, sans lesquels je ne serais pas celui que je suis aujourd’hui.

xv

(17)

Des pr´ec´edentes versions de certaines parties de cette th`ese sont apparues dans les publications suivantes :

Widmer, E. D., et De Carlo, I. (2010). Why do the Swiss Trust their Go- vernment Less and Other People More than They Used To ? The Im- pact of Cohorts and Periods on Political Confidence and Interpersonal Trust in Switzerland. In S. Hug et H. Kriesi (Eds.), Value Change in Switzerland (pp. 171–190). Lanham : Lexington Books.

De Carlo, I. et Widmer, E. D. (2011). The fabric of trust in families : inheri- ted or achieved ? In R. Jallinoja et E. D. Widmer (Eds.),Families and Kinship in Contemporary Europe. Rules and Practices of Relatedness (pp. 215–233). Basingstoke : Plagrave Macmillan.

De Carlo, I., Aeby, G. et Widmer, E. D. (2012), Recomposition familiale : vari´et´e des configurations et ancrage sociod´emographique,’Sociograph’

- Working Paper, no. 9. Gen`eve : Universit´e de Gen`eve, D´epartement de sociologie.

Widmer, E. D., Favez, N., Aeby, G., De Carlo, I., et Doan, M.-T. (2012).

Capital social et coparentage dans les familles recompos´ees et de pre- mi`ere union. ’Sociograph’ - Sociological Research Studies, no. 13. Ge- n`eve : Universit´e de Gen`eve, D´epartement de sociologie.

De Carlo, I., Aeby, G. et Widmer, E. D. (2014). La vari´et´e des configura- tions familiales apr`es une recomposition : choix et contraintes. Revue suisse de sociologie, 40(1), pp. 9-27.

Je remercie mes co-auteurs et les diff´erents relecteurs anonymes ou non.

(18)

La principale intention de cette th`ese est de contribuer `a l’´etude de la place de la confiance dans les soci´et´es contemporaines. Nous le faisons `a travers l’approche configurationnelle, une perspective jusqu’ici inexplor´ee pour l’´etude de la confiance.

Beaucoup a ´et´e dit et ´ecrit sur la confiance, en particulier `a partir de la fin des ann´ees 1980, dans les ´etudes du capital social. Les r´eseaux sociaux et la confiance sont devenus les deux dimensions de mesure du capital social commun´ement accept´ees par une large majorit´e de chercheurs. La confiance est souvent consid´er´ee comme l’´el´ement cl´e du fonctionnement politique puisqu’elle est `a la base des cercles de relations positives qui permettent une gouvernance d´emocratique effective (Tilly, 2004b ; Westholm, Montero et van Deth, 2007). Par la suite, une condition pour que le processus d´e- mocratique aboutisse est que les personnes puissent se faire confiance les unes aux autres et aux institutions. La confiance produite par des r´eseaux ouverts de relations devient ainsi un bien public et contribue `a la coop´era- tion, `a la stabilit´e du syst`eme politique et au d´eveloppement ´economique et social. L’importance de la confiance dans ces domaines a souvent ´et´e souli- gn´ee par les activit´es de recherche de la Banque Mondiale qui consid`ere le capital social comme un instrument d’intervention contre la pauvret´e. Les d´emocraties naissantes de l’Europe de l’Est ont ´et´e par ailleurs appel´ees `a la r´eintroduire dans et `a travers leur syst`eme politique (Sztompka, 1996).

L’´etude de la transition `a l’´economie de march´e des r´epubliques de l’ancien bloc sovi´etique dans la perspective de la nouvelle sociologie ´economique (cf. Granovetter, 1985 ; Trigilia, 2001) a ´egalement utilis´e les concepts de confiance et de capital social. La construction sociale du march´e n´ecessite en effet l’analyse du contexte local : dans des pays o`u des r´egimes autori- taires ont r´eprim´e toute forme d’organisation volontaire et de r´eseaux de confiance, le d´eveloppement ´economique semble donc passer par la recons- titution de ces r´eseaux et d’institutions politiques capables de cr´eer de la confiance dans les contextes local et national.

Consid´er´e trop facilement comme un important support au bon fonction- nement des soci´et´es contemporaines, via le fonctionnement des institutions

1

(19)

politiques (Putnam, 1993) et les march´es ´economiques (Fukuyama, 1995), le capital social, victime de son succ`es, a vite ´et´e vu comme une m´eta- phore pour reparler du lien social si bien d´ecrit par les auteurs classiques des sciences sociales. Sans vraiment apporter de nouvelles connaissances, le concept de capital social semble ˆetre arriv´e `a la limite dustretching(Sartori, 1970) avec ses innombrables utilisations dans les domaines les plus vari´es.

Malgr´e le fait qu’elle soit ´etudi´ee dans le cadre de plusieurs courants et paradigmes des sciences sociales, `a la diff´erence du concept de capital social, la notion de confiance n’est en revanche pas remise en question de mani`ere radicale. Son utilisation n’est cependant pas diff´erente de celle du concept de capital social, puisqu’elle est rest´ee normative : la confiance est un ´el´ement qui contribue `a l’int´egration sociale.

Des d´ebats pluridisciplinaires se sont cr´e´es autour de l’´etude des condi- tions qui permettent la confiance. En sociologie, l’on trouve des approches macro etmicro. D’une part, les attitudes int´egr´ees pendant la socialisation primaire fournissent des raisons pour agir, ou encore la structure sociale fournit des informations, lesquelles, ´elabor´ees par les individus, aident `a faire confiance et garantissent la stabilit´e du syst`eme. D’autre part, soit l’on consid´er´ee la personne comme une fine calculatrice qui rationnellement uti- lise la confiance pour arriver `a ses fins, soit l’on con¸coit un individu qui ne d´ecide gu`ere, mais r´eagit de par ses dispositions internes `a des situations vari´ees en utilisant la confiance.

Dans toutes ces situations la confiance est un«adh´esif» qui rend pos- sible des relations durables entre individus et dans une communaut´e et qui garantit le bon fonctionnement du syst`eme social. Comment situer autre- ment la confiance au sein des th´eories sociologiques ?

Une r´eponse ad´equate semble venir du paradigme des sociologies rela- tionnelle et configurationnelle dans lesquelles la confiance est consid´er´ee comme encastr´ee (embedded) dans un r´eseau d’interd´ependances et qui per- mettent le d´epassement des oppositions entreordre et conflit, et structure etaction.

Sans nier sa«fonction int´egratrice», dans cette th`ese, nous consid´erons la confiance comme g´en´er´ee par les relations et les interd´ependances entre individus et entre ces derniers et les institutions. Pour ce faire, nous adop- tons le cadre th´eorique de la sociologie configurationnelle initi´ee par l’œuvre de Norbert Elias. La question qui se pose alors est de savoir quelles configu- rations d’interd´ependances g´en`erent quelle confiance. La confiance est dans notre perspective un indicateur d’int´egration sociale et non l’inverse.

Un des premiers auteurs en sociologie `a avoir trait´e de la confiance est Georg Simmel (2010 [1908]). Cet auteur nous sera doublement utile. Premi`e- rement, nous proposons de revenir aux traitements originaux de la confiance de Georg Simmel (2010 [1908]) puisqu’ils soulignent le caract`ere ´eminem-

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ment relationnel du ph´enom`ene. En termes simmeliens, la confiance est en effet une forme de sociation (Vergesellschaftungsform), c’est-`a-dire une in- teraction entre deux ou plusieurs individus, bas´ee sur dessavoirs r´eciproques de l’un sur l’autre.

Deuxi`emement, nous soulignons l’importance de la contribution th´eo- rique majeure sur la diff´erenciation sociale de Simmel, puisqu’elle acquiert une importance particuli`ere afin de comprendre la place de la confiance dans les soci´et´es contemporaines caract´eris´ees par des changements conti- nus (Fitzi, 2012). Ceux-ci ne s’interpr`etent en effet pas ais´ement `a l’int´erieur d’une cadre th´eorique concevant le syst`eme social comme ´etant coh´erent et n´ecessitant l’ordre.

Le cadre th´eorique adopt´e dans cette th`ese mettra donc un accent par- ticulier sur la situation relationnelle : les savoirs ´emergent dans l’interac- tion et influencent l’individu et la confiance qu’il d´eveloppe. Les relations entre les individus sont des interd´ependances qui donnent une forme `a l’agir des individus, reconstruisent continuellement les structures macrosociales et construisent quotidiennement des formes relationnelles moins institutionna- lis´ees.

Simmel, en pla¸cant la confiance `a l’int´erieur d’une d´efinition de la soci´et´e comme ensemble de relations ´evite une utilisation normative du concept en permettant une description des processus sociaux contemporains. La diff´e- renciation du syst`eme social correspond pour Simmel `a la diff´erenciation de sph`eres de sociation de laquelle ´emerge l’individu moderne et sa person- nalit´e. Les besoins de l’individu sont d´efinis comme le point de d´epart des interd´ependances avec les autres et diff´erents types de besoins poussent les individus `a s’associer dans autant de sph`eres de sociation. Les besoins de- viennent donc d’abord le contenu des processus de sociation et ensuite des formes de sociation capables, dans certains cas, de perdurer dans le temps et s’institutionnaliser (Simmel, 2010 [1908], pp. 54-55). Puisque les indivi- dus sont par d´efinition associ´ees `a travers la diff´erenciation de leurs besoins, les apports de Simmel permettent de replacer l’interpr´etation sociologique de la confiance dans un cadre th´eorique centr´e sur l’´etude des formes de sociation et l’exp´erience que l’individu en fait et non pas sur l’int´egration sociale et la survie du syst`eme.

Ce changement de perspective sur la confiance sera discut´e dans le cha- pitre 1 o`u, d’abord, nous pr´esenterons l’approche de Niklas Luhmann comme principal exemple de l’utilisation normative de la confiance. Ensuite, nous synth´etiserons le regard de Simmel sur la confiance et terminerons avec une d´efinition du concept qui, s’inspirant fortement de Simmel, h´erite de Luh- mann deux dimensions qui influencent sa mesure dans les sciences sociales actuelles : la confiance se diff´erencie en effet en une dimension interperson- nelle et une dimension institutionnelle.

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Ayant ´egalement th´eoris´e la soci´et´e comme processus, l’autre auteur qui nous sera utile dans l’interpr´etation des analyses propos´ees dans ce travail est Norbert Elias. Avec ce choix, nous nous aventurons dans un terrain encore tr`es peu explor´e, nous avons en effet trouv´e seulement une publication qui lie explicitement la th´ematique de la confiance `a l’œuvre de Norbert Elias1. Erving Goffman (1991 [1974]) sera ´egalement mobilis´e dans le cadre th´eorique afin de comprendre comment, dans un contexte relationnel, les individus int`egrent des formes socialesmacrosociologiques, les utilisent pour interpr´eter le monde et contribuent `a les reconstruire continuellement dans les interactions avec les autres.

Le changement social am`ene aujourd’hui `a des configurations relation- nelles in´edites qui ne permettent pas l’´etude et la compr´ehension des indi- vidus ou des structures sans passer par les relations qui les relient les uns aux autres, puisque«le concept qui s’impose est celui de l’ambivalence des acteurs ou des syst`emes»(Donati, 2004).

Apr`es avoir d´efinit la confiance (chapitre 1), nous construirons le cadre th´eorique de la sociologie configurationnelle (chapitre 2) `a travers un par- cours qui, en partant de la notion de configuration ´eliassienne, continue avec l’int´egration des apports de Simmel et Goffman et se termine par la d´efini- tion d’une approche configurationnelle qui permet d’´etudier les conditions de possibilit´e de la confiance. Le cadre th´eorique nous conduira finalement `a l’analyse de la configuration, c’est-`a-dire des interd´ependances et des inser- tions sociales des individus, comme indicateur des conditions de possibilit´e de la confiance.

Nous r´ealiserons des analyses quantitatives des relations entre les concepts de configuration et confiance. Grˆace `a une phase d’op´erationnalisation, ce type d’analyses requiert que des hypoth`eses testables `a partir des donn´ees soient formul´ees. Ceci sera l’objectif du chapitre 3. Utilisant plusieurs bases de donn´ees quantitatives, nous op´erationnaliserons le concept de configu- ration dans deux chapitres empiriques pr´esentant chacun une ´etude qui le posent en tant que facteur explicatif de la confiance. Une revue des mesures de la confiance utilis´ees sera effectu´ee dans le chapitre 4, avant de passer aux deux chapitres empiriques.

Le premi`ere ´etude, r´ealis´ee sur la base des ´echantillons suisses de la World Value Survey et de la European Social Survey, vise l’explication des

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evolutions de la confiance `a travers le temps et `a travers les cohortes de naissance des individus (chapitre 5). Nous effectuerons une analyse des ef- fets de p´eriode et des effets de cohortes sur la confiance interpersonnelle et la confiance institutionnelle, dans le but de comprendre si certaines cohortes

1. Il s’agit de l’article ´ecrit par les sociologues n´eerlandaises Selma Sevenhuijsen et Christien Brinkgreve (2002).

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peuvent ˆetre consid´er´ees comme des configurations particuli`eres qui favo- risent le d´eveloppement de la confiance. Nous appr´ehenderons la confiance comme soumise `a des forces cr´e´ees par les diff´erents r´eseaux d’affiliation des individus positionn´es `a l’intersection de cercles de participation sociale (fa- mille, travail, associations, etc.). La configuration relie ainsi, par des chaˆınes d’interd´ependance plus ou moins longues, les individus et leurs temporalit´es, aux structures macrosociales et aux temporalit´es sociohistoriques.

Effectu´ee sur les donn´ees de l’enquˆeteStep-out r´ealis´ee au D´epartement de sociologie de l’Universit´e de Gen`eve, la seconde ´etude vise la compr´e- hension des effets des configurations sur la confiance par l’´etude de r´eseaux d’interd´ependances familiales (chapitre 6). Le cas de la famille nous permet de comprendre quelles sont les conditions de possibilit´e de la confiance `a un niveau microsociologique. Fond´ee sur les personnes consid´er´ees comme membres importants de la famille par le r´epondant, la configuration familiale permet d’approcher les conditions de la confiance sur deux plans, statutaire et interactionnel. Si, encore sous l’influence du fonctionnalisme, la famille est consid´er´ee comme g´en´eratrice de confiance par d´efinition, la perspec- tive configurationnelle met en ´evidence, ´egalement dans le contexte familial (Widmer, 2010), que la confiance se d´ecline selon des interd´ependances que les individus construisent et reconstruisent au quotidien dans les relations les uns avec les autres.

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Les th´ eories de la confiance

Dans ce chapitre, nous pr´esenterons des apports th´eoriques sur la confiance au fondement de notre th`ese. Dans la prochaine section (1.1), une syn- th`ese des th´eories de la confiance de Georg Simmel et Niklas Luhmann nous permettra, premi`erement, de comprendre son importance dans la soci´et´e contemporaine. En second lieu, puisque les deux approches propos´ees se fondent sur des conceptions diff´erentes de la soci´et´e, cette synth`ese nous permettra de pr´esenter une d´efinition de la confiance en dehors d’un cadre th´eorique normatif.

Comme l’on verra en premier lieu, dans le cadre de la th´eorie des sys- t`emes, Luhmann d´efinit la confiance comme un moyen de r´eduction de la complexit´e sociale. Il attribue donc `a la confiance une fonction utile `a la sur- vie du syst`eme social et de ses sous-syst`emes en contribuant ainsi fortement

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a une utilisation normative du concept de confiance. Une telle utilisation est r´epandue, par exemple, en sciences politiques dans l’´etude des conditions de la vie d´emocratique. L’apport de Luhmann est ind´eniablement utile dans ce champ de recherche, puisqu’il s’appuie sur une distinction de deux types de confiance : la confiance d´ecid´ee qui se met en place `a un niveau interper- sonnel et la confiance assur´ee, laquelle s’explique plutˆot dans les relations avec les institutions et s’int`egre `a l’analyse des conditions n´ecessaires `a la stabilit´e du syst`eme social et de ses sous-syst`emes (politique, ´economique, etc.). L’influence de cette sch´ematisation s’´etend ensuite au niveau empi- rique, puisqu’elle fonde la majorit´e des mesures de la confiance (Levi et Stoker, 2000).

Ensuite, la pr´esentation de l’apport de Simmel sur la confiance aura un double objectif. Premi`erement, comme dans le cas de Luhmann, elle per- mettra de mettre en exergue la n´ecessit´e de la confiance dans les soci´et´es complexes `a travers la description du processus de diff´erenciation fonction- nelle des activit´es humaines. Deuxi`emement, elle nous permettra d’ins´erer

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la discussion et la d´efinition de la confiance dans le cadre non pas d’une th´eorie de l’int´egration sociale, mais de l’interd´ependance sociale. A la dif- f´erence des d´eveloppements th´eoriques fonctionnalistes, Simmel ne centre en effet pas son int´erˆet sur la survie du syst`eme social, mais plutˆot sur le maintient desrelationssociales entre individus. Il met donc au centre de son analyse l’individu, sa capacit´e d’interagir avec les autres et son exp´erience du social1 fond´ee sur les interactions (Fitzi, 2012).

Dans la section 1.2, nous donnerons une d´efinition de la confiance en pr´esentant ´egalement ses conditions de possibilit´e. Issus de la synth`ese des apports de Luhmann et Simmel, ces ´el´ements nous offriront l’occasion de montrer la n´ecessit´e d’une approche capable d’articuler de mani`ere coh´erente les approches microsociologiques et syst´emiques de la confiance.

Simmel et Luhmann sont parmi les auteurs `a la base des approches socio- logiques de la confiance (M¨ollering, 2001). Nous les privil´egions donc comme auteurs cl´e pour r´ealiser une synth`ese th´eorique et isoler les principaux ´el´e- ments de d´efinition de la confiance. Le premier est en effet au fondement des d´efinitions de la confiance que l’on trouve dans la litt´erature sociolo- gique ; le second repr´esente le d´eveloppement le plus ´elabor´e des apports originaux de Simmel, mais dans une cadre th´eorique syst´emique qui s’en distingue fortement. Simmel souligne le caract`ere fondamental des interac- tions entre individus, alors que Luhmann s’int´eresse `a la survie du syst`eme social. D’un point de vue pratique, leur juxtaposition permet d’introduire notre approche sans passer par les phases de complexification qu’une revue de la litt´erature sur un concept comme la confiance, largement discut´e dans nombreuses disciplines, comporterait. Sur le plan th´eorique, leur prise en compte permet de montrer comment une approche normative mettant l’ac- cent sur les cons´equences fonctionnelles de la confiance simplifie `a outrance son interpr´etation sociologique. La complexit´e des soci´et´es contemporaines exige en effet une prise en compte d’arguments explicatifs tant d’ordre in- dividuel et interindividuel (Simmel) que d’ordre structurel et syst´emique (Luhmann).

1.1 La confiance dans les soci´ et´ es complexes

Th´ematique rapidement trait´ee dans l’œuvre de Simmel, la confiance est pourtant pour lui une des forces de socialisation les plus importantes. Tr`es centrale dans le cadre de la th´eorie des syst`emes, pour Niklas Luhmann, elle

1. Dans le deuxi`eme chapitre de la th`ese (p. 31), grˆace `a l’approche int´egrative inspir´ee par Elias, nous verront que la th´eorie des cadres de l’exp´erience de Goffman permettra de baliser assez pr´ecis´ement dans cadre sociologique l’objet d’´etude simmelien de l’exp´erience individuelle du social.

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permet de r´eduire la complexit´e du monde social.

Int´eress´es par les dynamiques de la modernit´e, Simmel et Luhmann mettent au centre de l’analyse les dispositifs que les hommes installent pour g´erer l’inconnu, qui devient de plus en plus important dans les vies humaines, lors du passage de la pr´emodernit´e `a la modernit´e2. L’absence d’informations de premi`ere main comme cons´equence de la distance accrue entre des individus interd´ependants impose des m´edias de communication g´en´eralis´es au plan symbolique (Luhmann, 1991), c’est-`a-dire des conven- tions abstraites, tels que l’argent pour l’´economie, la v´erit´e pour la science ou le pouvoir pour la politique, etc. La confiance intervient donc comme lien entre les individus ainsi qu’entre l’individu et un syst`eme social complexe, puisque une distance et une absence de connaissance (de savoirs en termes simmeliens) s’instaure.

Pour les deux auteurs, la confiance s’ins`ere donc de mani`ere coh´erente dans le d´eveloppement des soci´et´es complexes. Les deux approches s’adaptent en revanche de mani`ere diff´erente `a l’ambivalence des soci´et´es contempo- raines. La confiance est fonctionnelle `a l’ordre et `a la coh´erence du syst`eme social pour Luhmann. Pour Simmel, elle ´emerge, sous certaines conditions, de l’interaction pr´eexistante entre individus, `a cˆot´e de formes de sociation oppos´ees telles que la coop´eration et le conflit.

1.1.1 La confiance dans l’ordre social

En introduisant son analyse de la confiance, Luhmann (2006 [1968]) sp´ecifie que les analyses fonctionnalistes s’int´eressent `a r´esoudre le probl`eme de la stabilit´e des syst`emes. La probl´ematisation ne se fait donc pas en partant de l’empirie, ni `a travers des m´ethodes positivistes inductives ou d´eductives recherchant des lois g´en´erales, mais, selon les mots de Luhmann, dans une perspective «heuristique» (Luhmann, 2006 [1968], p. 2).

Le premier chapitre de l’ouvrage La confiance. Un m´ecanisme de r´e- duction de la complexit´e sociale (Luhmann, 2006 [1968]) pose les jalons de la discussion en consid´erant la complexit´e sociale comme un probl`eme qui doit ˆetre r´esolu. L’objet d’´etude de la recherche fonctionnelle est le syst`eme.

Ce dernier ´etant par d´efinition ouvert `a toute possibilit´e, il d´evoile le pro- bl`eme de r´ef´erence de l’analyse fonctionnelle : la complexit´e. Le syst`eme a un potentiel illimit´e de complexit´e, d’´elargissement de l’univers du possible, qui le d´estabilise. Le monde est donc complexe `a cause du nombre infini de ses possibilit´es. De ce fait, quelle que soit la nature d’un syst`eme, celui-ci doit proc´eder `a une s´election d’´el´ements environnementaux pertinents pour

2. Les th´eories de Luhmann peuvent aussi ˆetre consid´er´ees postmodernistes. Nous par- lerons de la soci´et´e contemporaine sans distinguer entremodernit´e avanc´eeetpostmoder- nit´e.

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sa fonction et sa reproduction. Cette r´eduction produit de l’ordre et de la stabilit´e.

Puisque la complexit´e «transcende la diff´erence entre syst`emes psy- chiques et syst`emes sociaux»3 (Luhmann, 2006 [1968], p. 4), Luhmann pr´econise un langage th´eorique plus g´en´eral utilisant les concepts de sys- t`eme, de fonction et de complexit´e d’une mani`ere assez abstraite pour ˆetre interpr´et´es aussi bien de mani`ere psychologique que sociologique. En cela, il compare sa d´emarche `a celle entreprise par Parsons dans sa th´eorie de la structure sociale.

Luhmann (2001, 2006 [1968]) construit son propos `a partir de l’id´ee de familiarit´e («familiarity ») et de symbole comme moyen de faire rentrer le non-familier dans l’ordre du familier. En postulant que l’individu a une tendance anthropologique `a la distinction entre ce qui est familier, le connu, et ce qui n’est pas familier, l’inconnu, il explique comment tout m´ecanisme de confiance s’ancre dans la familiarit´e (Luhmann, 2001). Dans les commu- naut´es traditionnelles et peu diff´erenci´ees, l’individu r`egle le rapport entre non familier et familier `a travers des symboles, le plus souvent de type re- ligieux (comme l’expression de la volont´e d’un dieu ou comme partie d’une cosmologie), lesquels permettent une distinction nette4 entre le familier et le non familier dans une r´ealit´e sociale fond´ee sur l’exp´erience directe de l’individu.

A l’´epoque moderne, par un glissement vers le «technologique», l’in- formation potentiellement `a disposition de l’individu s’est accrue et touche aussi des domaines hors de la r´ealit´e directement connue par l’individu : la limite entre familier et non familier est plus floue et le risque ´emerge comme un fait in´evitable de la vie courante. C’est dans le champ de la familiarit´e que la confiance devient une solution aux probl`emes de la contingence (le risque) et de la vuln´erabilit´e des relations typiques des soci´et´es complexes, puisqu’elle rapproche l’inconnu au familier.

On peut illustrer la situation des communaut´e traditionnelles en pensant au rituel du kula (Malinowski, 2007). Souvent utilis´e pour expliciter les m´ecanismes de base de la r´eciprocit´e et de la solidarit´e (cf. Mauss, 2012), le kula est d’abord un ´echange direct d’objets qui symbolisent des forces magiques dans la cosmologie de diff´erentes tribus qui ne parlent pas la mˆeme

3. Dans la terminologie de Luhmann, l’individu correspond `a un syst`eme, le syst`eme psychique. Si on consid`ere les ´ecrits de Luhmann, la r´ef´erence aux individus est encore pr´esente dans l’œuvre de 1968 d´edi´ee `a la confiance (Luhmann, 2006 [1968]) ; elle dis- paraˆıtra dans les travaux ult´erieurs pour laisser la place aux «syst`emes psychiques».

L’ouvrage de 1968 peut d’ailleurs ˆetre encore consid´er´e en dialogue direct avec les travaux des sociologues am´ericains Parsons, Goffman et Garfinkel – cf. la«Pr´eface»de Lukas K.

Sosoe `a Luhmann (2006 [1968]).

4. Souvent `a travers des dichotomies claires, par exemple, bienvs.mal.

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langue. Cet ´echange r´eaffirme aux yeux des habitants des ˆıles Trobriand la reconnaissance mutuelle qui permet ensuite d’´echanger ´egalement des biens non symboliques. On peut ensuite penser aux achats `a travers Internet pour illustrer la situation des soci´et´es complexes : la plateforme ´electronique nous fournit g´en´eralement l’information qui rend plus floue la limite entre le connu et l’inconnu et, malgr´e le risque qui ´emerge, la confiance nous permet de faire devenir une personne inconnue assez famili`ere pour qu’on ´echange des biens avec elle.

La cat´egorie du risque ´emerge dans cette situation comme concept pour indiquer que les r´esultats inattendus des actions peuvent aussi ˆetre les cons´e- quences de d´ecisions humaines (les nˆotres, mais aussi celles de personnes lointaines). Par cons´equent, la confiance rentre dans la vie de tous les jours pour faire face au risque : elle est un ´el´ement du domaine familier et grˆace, non plus `a des symboles religieux, mais `a des repr´esentations symboliques li´ees `a des ´ev´enements ou `a des situations contingentes (Luhmann, 2001), l’individu mobilise sa confiance pour d´epasser la situation de risque. La si- tuation de familiarit´e avec ses limites et ses conditions de risque sert donc de base aux diff´erents usages de la confiance.

Luhmann distingue laconfiance assur´ee et laconfiance d´ecid´ee, dans le texte original en anglais : «confidence» et «trust ». La distinction entre la premi`ere et la seconde se fait sur la base de la perception individuelle de l’agir des autres et de l’engagement individuel dans l’action. Dans la situa- tion de confiance assur´ee, l’individu a une attente claire sur les actions des autres et sur les ´ev´enements contingents (Luhmann, 2001). La d´eception de ces attentes est rarement ou difficilement consid´er´ee comme possible puis- qu’elles s’appliquent `a des actes routiniers : on ne se pose par exemple pas la question de savoir si les feux qui r`eglent la circulation routi`ere fonctionnent

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a chaque fois que l’on traverse la route sur un passage pi´eton. Cette situa- tion repr´esente ainsi une condition de base de la vie sociale. Sans cette base, les acteurs seraient en effet paralys´es et vivraient dans un ´etat d’incertitude permanente. La situation de confiance d´ecid´ee pr´evoit en revanche l’enga- gement de l’acteur dans une interaction comportant une situation de risque reconnu :«Si vous choisissez une action de pr´ef´erence `a d’autres, en d´epit de la possibilit´e d’ˆetre d´e¸cu par l’action des autres, vous d´efinissez la situation comme une situation de confiance d´ecid´ee»(Luhmann, 2006 [1968], p. 11).

Dans les soci´et´es complexes, la confiance trouve donc son utilit´e puis- qu’elle se d´eploie dans l’interaction (la zone de familiarit´e) entre les sys- t`emes psychiques (les individus) et les syst`emes sociaux. Les m´ecanismes de la confiance assur´ee agissent face aux ´ev´enements contingents. Ces ´ev´ene- ments repr´esentent aussi des situations dans lesquelles on n’a que peu ou pas d’alternatives et, en cas de d´eception des attentes, on r´eagira par des attributions externes (au syst`eme psychique). La faute d’une signalisation

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routi`ere en panne sera par exemple attribu´ee aux organisations qui doivent s’occuper de sa maintenance et, en derni`ere analyse, `a des syst`emes externes

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a l’individu. En ce sens, pour Luhmann (2001), le syst`eme politique et le droit contrˆolent la distinction entre les acteurs qui sont sources ou victimes de d´eception comme r´eflexion pr´e-adaptative et mesure de protection de la d´eception caus´ee par l’action sociale des acteurs dans le syst`eme : par exemple, dans«l’institution juridique du contrat, qui s’est form´ee par une simple d´eclaration de volont´es, le principe de la confiance est reformul´e de mani`ere `a ˆetre juridiquement maniable et autonomis´e [...]. Les pr´etentions peuvent ˆetre fond´ees directement sur le contrat et il devient non pertinent de savoir si [...] quelqu’un a fait confiance `a un autre et de qui il s’agit» (Luhmann, 2006 [1968], p. 38). Dans ces conditions, pour le maintien de la confiance assur´ee, l’acteur devra seulement occuper une position dans le syst`eme social et accomplir un rˆole.

La situation de confiance d´ecid´ee d´epend en revanche du risque qui

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emerge comme composante de la d´ecision d’agir de l’acteur (le syst`eme psy- chique) et les attributions en cas de d´eception seront internes (Luhmann, 2001).

«L’action se d´efinit en relation avec un risque particulier comme une possibilit´e externe (future), quoique en mˆeme temps le risque soit inh´erent `a l’action et n’existe que si l’acteur choisit de s’ex- poser `a l’´eventualit´e de cons´equences malheureuses et de faire confiance.»(Luhmann, 2001, p. 19)

Les m´ecanismes de la confiance d´ecid´ee agissent face aux ´ev´enements contingents dans des situations d’interaction avec d’autres individus et les attentes peuvent donc ˆetre plus facilement d´e¸cues.

Luhmann construit un mod`ele s´equentiel qui distingue des phases de la confiance : la familiarit´e ´etablit (consciemment ou inconsciemment pour l’ac- teur) les limites du syst`eme de r´ef´erence ; l’acteur trouve une position s´ecu- ris´ee `a l’int´erieur du syst`eme social `a travers les m´ecanismes de la confiance assur´ee et agit en assumant des risques `a travers la confiance d´ecid´ee. La confiance est utilis´ee comme alternative `a la pr´ediction, en r´eduisant ainsi la complexit´e de la r´ealit´e sociale et finalement le risque.

Le passage de la confiance assur´ee `a la confiance d´ecid´ee correspond `a l’abandon d’un cadre pr´esent construit sur des«orientations instrumentales [qui] se rapportent `a des fins» (Luhmann, 2006 [1968], p. 14), c’est-`a-dire une rationalit´e du syst`eme structurellement garantie, pour se projeter dans un futur proche `a travers des «orientations expressives»5. La situation

5. Dans une note en bas de page `a un passage portant sur le th`eme de l’´etude des petits groupes, Luhmann (2006 [1968], p. 14) est en accord avec la perspective ´eliasienne (qui rejette la distinction entre individu et soci´et´e, cf. section 2.1) en appuyant l’id´ee que

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de confiance d´ecid´ee se distingue donc, selon Luhmann, du calcul qu’on re- trouve ´egalement dans la situations de confiance assur´ee puisque la d´eception pourrait ˆetre plus grande que l’avantage souhait´e :

«Toutes les planifications et tous les calculs pr´ealables des pr´e- sents `a venir, [...] demeurent probl´ematiques dans la perspective de la confiance [...] et elles ont besoin de se rapporter `a un futur pr´esent dans lequel elles doivent s’arrimer. [...] Leur planification temporelle et les ´ech´eances qui leur sont propres n’offrent aucun

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equivalent de la certitude.» (Luhmann, 2001, pp. 13-14)

Malgr´e l’incertitude qui lui est intrins`eque, la confiance d´ecid´ee trouve n´eanmoins deux types de bases pour son d´eveloppement. D’une part, la sta- bilisation de relations sentimentales qui«tentent [...] de s’immuniser contre toute r´efutation» (Luhmann, 2006 [1968], p. 95) : la confiance d´ecid´ee se fonde, par exemple, sur l’amour, lequel, selon Luhmann, est un m´edium qui permet la communication entre deux individus `a travers une s´emantique qui fait apparaˆıtre la relation comme unique, fixe et non-transf´erable. Un sen- timent, positif ou n´egatif, ne laisse aucune alternative6 et peut ainsi fonder la confiance d´ecid´ee. D’autre part, avec l’´elargissement des groupes sociaux, des contextes sociaux changeants et des possibilit´es d’interaction avec un nombre croissant d’individus et de syst`emes pour lesquels on ne peut pas

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eprouver de sentiments, la confiance d´ecid´ee se fonde ´egalement sur «l’as- surance d’une auto-pr´esentation sociale»7 (Luhmann, 2006 [1968], p. 96).

Cette seconde base de la confiance d´ecid´ee s’articule `a partir de la capacit´e de l’individu de satisfaire aux «exigences li´ees `a des rˆoles sp´ecifiques `a une situation donn´ee»8 (Luhmann, 2006 [1968], p. 72), `a laquelle s’ajoute la capacit´e d’«une prise de position modifiable `a l’´egard des attentes d’au- trui»(2006 [1968], p. 73). Dans des situations d’interaction entre sup´erieurs hi´erarchiques et subordonn´es, ces derniers peuvent par exemple impression- ner les premiers `a travers une prise de position qui va droit au but quand des remarques prudentes et r´eserv´ees sont attendues :«Celui qui acquiert la confiance personnelle d’un autre ´echange avec son partenaire des attentes standardis´ees contre des attentes dont il est le seul `a pouvoir garantir la satisfaction en tant qu’il est cette personnalit´e individuelle dot´ee de son propre style.»(Luhmann, 2006 [1968], p. 73).

La confiance, comme r´eponse au risque, et la diff´erenciation entreconfiance

l’´etude des besoins individuels doit se faire en mˆeme temps que l’´etude des rˆoles dans le groupe des individus qui les expriment.

6. On a une r´eduction maximale de la complexit´e.

7. White (2011) parle de la similarit´e entre cette id´ee et son id´ee d’identit´es `a la recherche decontrˆole(appuis sociaux), pour une synth`ese voir Grossetti et Godart (2007).

8. Il s’agirait l`a du concept d’identit´e sociale tel que d´efinit par l’interactionnisme symbolique.

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assur´eeetconfiance d´ecid´ee sont donc pour Luhmann des particularit´es des soci´et´es modernes et cela pour deux raisons. Premi`erement, avec la diffusion du savoir, la diff´erence entre non familier et familier devient floue et tend

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a se d´eplacer constamment. Les symboles religieux qui permettaient, dans les termes de Luhmann, la r´eintroduction du non familier dans le familier avec la distinction entre bien et mal, ont perdu leur efficacit´e et ont ´et´e remplac´es, ´etant donn´e l’accroissement des int´erˆets particuliers par rapport

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a ceux de la collectivit´e dans le syst`eme social, par la question de savoir si la connaissance et le pouvoir sont utilis´es de mani`ere positive ou n´egative par les individus. Par cons´equent, la confiance devient la cl´e du probl`eme : elle est n´ecessaire justement puisque l’absence de connaissance au sujet des autres est fr´equente. Deuxi`emement, avec l’accroissement de la diff´erencia- tion fonctionnelle, les individus sont ins´er´es dans plusieurs sous-syst`emes `a la fois et non dans un seul cadre social. Ces nouvelles conditions font que la confiance d´ecid´ee reste n´ecessaire au niveau des relations interpersonnelles.

En revanche, au niveau de la participation au syst`eme social, `a travers l’´eco- nomie ou la politique par exemple, il n’est plus question de confiance d´ecid´ee mais de confiance assur´ee, puisque cette derni`ere se fonde sur le fonctionne- ment routinier d’une institution avec ses r`egles et ses rˆoles attribu´es.

Pour Luhmann, la compl´ementarit´e des deux types de confiance est extrˆemement importante pour la survie du syst`eme social. Le manque de confiance d´ecid´ee am`ene les individus `a ne pas agir :«Il r´eduit la gamme des possibilit´es d’action rationnelle. Il empˆeche, par exemple, de se soigner

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a temps. Il empˆeche par-dessus tout l’investissement de capitaux sous des conditions d’incertitude et de risque. Il peut conduire `a une vie d´er´egl´ee sur le plan moral [...]»(Luhmann, 2001, p. 30). Dans ces conditions, le syst`eme peut se r´eduire et ne plus ˆetre capable de se maintenir. De la mˆeme mani`ere l’absence de confiance assur´ee :«[...] provoque un sentiment de d´esaffection ; il conduit ´eventuellement `a se retirer dans un univers restreint, aux dimen- sions purement locales, ou encore `a aspirer `a une vie ind´ependante, fut-elle modeste ; il engendre aussi de nouvelles formes d’“autogen`ese”, des attitudes fondamentalistes ou d’autres formes de milieux et de “mondes v´ecus” reto- talisants» (Luhmann, 2001, p. 30). La stabilit´e du syst`eme social dans un

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etat de coop´eration semble donc bel et bien ˆetre le but de la confiance.

A la suite de Luhmann et avec des r´ef´erences directes `a l’œuvre de Tal- cot Parsons (1973), l’approche syst´emique de la confiance est reprise par Bernard Barber (1983) dans son livreThe Logic and Limit of Trust. Dans le cadre d’une ample analyse structuro-fonctionnaliste de la soci´et´e am´ericaine et en essayant de clarifier les significations et les utilisations du concept de confiance, Barber (1983) pr´esente l’id´ee selon laquelle les attentes des ac- teurs dans un syst`eme sont l’ingr´edient de base de la confiance.

De mani`ere analogue et compl´ementaire `a Luhmann (2001, 2006 [1968])

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qui d´efinit la confiance comme une alternative fonctionnelle `a la pr´evision permettant de r´eduire le risque li´e `a la complexit´e sociale, Barber (1983) d´efinit des types d’attentes (expectations) envers le futur qui mobilisent la confiance. Ces attentes individuelles sont comparables `a des attitudes qui se construisent `a travers la socialisation9 et d´ependent de deux ordres,naturel etsocial et moral, lesquels garantissent la stabilit´e du syst`eme.

L’ordre naturel fait r´ef´erence `a la stabilit´e de l’environnement naturel et, plus g´en´eralement, `a la dimension ´ecologique de la vie humaine10. L’ordre social et moral fait r´ef´erence `a la stabilit´e de l’environnement social sur lequel la vie humaine repose et sur les valeurs partag´ees. Ces ordres induisent trois type d’attentes imbriqu´ees de la plus g´en´erale `a la plus sp´ecifique, qui correspondent aux moteurs de la confiance au niveau individuel :

– l’attente de la persistance et de l’accomplissement de l’ordre naturel et de l’ordre moral et social ;

– l’attente de l’efficacit´e de la performance des individus recouvrant un rˆole dans les interactions sociales et dans les syst`emes sociaux ; – l’attente du respect des engagements et des responsabilit´es de la part

des partenaires dans les interactions, tels que la priorit´e des int´erˆets des autres par rapport aux leurs propres11.

La confiance est premi`erement l’attente que notre rapport `a l’environ- nement physique et social soit assez stable pour nous permettre d’exister et d’agir en soci´et´e. Deuxi`emement, elle est l’attente d’un rapport stable dans l’interaction avec les autres12. Troisi`emement, la confiance est l’attente d’un comportement bienveillant de la part de la personne `a laquelle on fait confiance : l’individu qui fait confiance s’attend au respect des engagements et des responsabilit´es de la part de ses partenaires dans les interactions, tels que la priorit´e des int´erˆets des autres par rapport aux siens propres. Finale- ment, il s’agit l`a du respect d’un engagement moral par rapport `a un groupe d’appartenance ou, avec un degr´e croissant d’abstraction, `a un syst`eme de

9. Le cadre familial ou les associations philanthropiques dont les Etats-Unis seraient riches sont des exemples d’instances socialisatrices mis en avant.

10. Malgr´e l’importance croissante que ces questions acqui`erent dans les soci´et´es contemporaines, ces aspects ne sont pas directement trait´es dans le cadre de notre dis- cussion sur la confiance. Ils mobilisent en effet des disciplines telles que la g´eographie, la biologie, la m´edecine, etc.

11. Traduction personnelle, cf. Barber (1983, pp. 9-10) :«expectation of persistence and fulfillment of the natural and the moral social orders»,«expectation of technically com- petent role performance from those involved with us in social relationships and systems» et«expectation that partners in interaction will carry out their fiduciary obligation and responsibilities, that is, their duties in certain situations to place others’ interests before their own».

12. L’attention, dans l’´etude de cette deuxi`eme attente, se focalise sur les«role-set»et les«status-set»(Merton, 1957) que l’on peut rep´erer dans une structure sociale donn´ee (Blau, 1975).

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valeurs partag´e dans lequel on se reconnait. On attend, par exemple, d’un m´edecin qu’il soigne convenablement un patient, ou d’un homme politique qu’il gouverne de mani`ere honnˆete en repr´esentant l’int´erˆet collectif. Faute de comp´etences tr`es sp´ecifiques des individus et de moyens de contrˆole di- rect, la confiance est d’abord activ´ee envers les rˆoles sociaux, puisqu’il est presque impossible pour le patient ou le citoyen de suivre et de v´erifier le travail d’un sp´ecialiste dans ces domaines de plus en plus complexes13.

On se trouve ici face `a une conception de la confiance comme ´el´ement central de la stabilit´e du syst`eme social14. Non seulement, elle permet, en utilisant les termes de Luhmann, de faire rentrer l’inconnu dans le champ de lafamiliarit´e, mais elle est l’accomplissement pratique de valeurs parta- g´ees (Sztompka, 1999). La confiance lubrifie la vie sociale15 et elle met les individus dans un ´etat d’esprit prosocial qui favorise des conduites fondant et exprimant leur confiance envers la soci´et´e, le r´egime politique, les insti- tutions et les organisations sociales, ainsi que de l’optimisme par rapport aux perspectives de vie. Enfin, dans une culture de confiance, les ´echanges

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economiques seraient plus faciles puisque l’action et la cr´eativit´e n´ecessaires

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a l’esprit d’entreprise sont favoris´es (Fukuyama, 1995).

La limite principale de ce mod`ele r´eside `a notre avis dans la difficult´e de d´elimiter une culture coh´erente : qui partage le mˆeme syst`eme normatif `a la base de la coop´eration et de la confiance dans ce mˆeme syst`eme ? Dans la suite de cette th`ese, nous d´efendrons la vision d’une r´ealit´e sociale plus mouvante et donc complexe. A notre avis, dans les soci´et´es d´emocratiques avanc´ees, les divers aspects de la vie collective sont en effet de plus en plus diff´erenci´es. Au niveau microsociologique, les individus ´emergeant `a l’inter- section de ces diff´erents aspects profitent d’une autonomie dans l’interpr´eta- tion des normes (cf. Simmel, 2010 [1908] ; Fitzi, 2012), ils transforment ainsi la culture en la transmettant. De plus, la confiance impersonnelle envers les institutions ou les organisation complexes est loin d’ˆetre acquise pour tous les groupes sociaux, mˆeme dans les d´emocraties avanc´ees. Nous devons donc consid´erer la confiance comme ancr´ee, non pas dans une culture partag´ee, mais dans l’ambivalence des processus de la modernit´e, lesquels, en mˆeme temps, relient et s´eparent les individus, en ouvrant et en refermant continuel-

13. Dans ces domaines d’expertise, pour l’individu non sp´ecialiste, il ne reste `a appr´ecier que le r´esultat des processus.

14. La distinction de Luhmann entreconfiance assur´eeetconfiance d´ecid´eeest d’ailleurs reprise par Barber : la situation de «confidence » correspondrait aux deux premi`eres attentes, envers la persistance des ordres naturel et moral et envers des rˆoles, et la situation de«trust»`a une interaction soumise `a l’attente d’engagement r´eciproque.

15. «The culture of trust is a sort of social resource, or capital we use in making bets on the contingent actions of others. The larger the pool of trust, the more bets and the higher

bids we are ready to make, and the larger risks we are willing to accept.»(Sztompka,

1998, p. 21)

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lement des espaces de libert´e dans de nouvelles formes culturelles (Bagnasco, 2003). S’affirme finalement la n´ecessit´e de r´eintroduire dans les m´ecanismes explicatifs de la confiance des individus partiellement autonomes par rapport au fonctionnement du syst`eme et capables de r´einterpr´eter l’ordre social.

1.1.2 La confiance `a travers l’ambivalence

La coh´erence normative dans laquelle les th´eories syst´emique et cultu- raliste de la confiance ins`erent les individus trouve une application limit´ee dans la compr´ehension des soci´et´es contemporaines. Dans cette section, nous d´efinirons donc le concept d’ambivalence, puisqu’il repr´esente `a notre avis la cl´e de lecture de la r´ealit´e sociale dans laquelle se forme aujourd’hui la confiance.

Les th´eories de la confiance pr´ec´edemment pr´esent´ees proposent d’in- terpr´eter la confiance comme un ´el´ement n´ecessaire `a l’ordre d’un syst`eme social coh´erent et subordonnent l’individu `a ce syst`eme. Au contraire, nous proposons de repartir, `a travers un retour `a la sociologie de Georg Simmel (Simmel, 2010 [1908]), `a l’exp´erience que l’individu fait du social, en conce- vant la confiance comme le produit de cette exp´erience. Cette d´emarche invite `a consid´erer nos soci´et´es comme caract´eris´ees par la pluralit´e des cadres normatifs et l’ambivalence comme une condition ordinaire de l’agir des individus contemporains. Dans cette perspective, la confiance est ainsi un produit de l’exp´erience de l’ambivalence et non pas de l’ordre social.

Nous pr´esenterons donc maintenant la th´eorisation de la confiance propos´ee par Simmel.

Grˆace `a l’int´erˆet de ce dernier pour les exp´eriences qui se forment `a l’int´erieur de cadres normatifs diff´erents et concomitants pour l’individu, nous concevons les interactions comme pouvant potentiellement assumer autant d’interpr´etations que le nombre d’individus qui les vivent. Si dans les th´eories syst´emiques ces interactions sont guid´ees par le partage de va- leurs communes au fondement de l’ordre social, les interactions sont pour Simmel desactions r´eciproques (Wechselwirkungen entre au moins deux in- dividus) caract´eris´ees par une forme et un contenu qui ne sont pas forcement coh´erents. L’ambivalence correspondra en cons´equence `a la coexistence d’as- pirations contradictoires d’importance similaire aux yeux d’une personne et qui «demandent `a ˆetre satisfaites avec la mˆeme intensit´e»(Tabboni, 2007, p. 271) `a travers des interactions potentiellement contradictoires. L’ambi- valence correspond `a la pr´esence de doubles contraintes : l’individu doit satisfaire «simultan´ement ou successivement des exigences contraires et in- terd´ependantes » (Tabboni, 2007, p. 271). Au-del`a des contraintes, dans cette situation, la capacit´e individuelle de construction du social est en re- vanche augment´ee grˆace aux multiples sc´enarios existentiels possibles. L’am-

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