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1.3 Conclusion

2.1.3 La configuration comme processus

Parmi les travaux qui se sont int´eress´es `a une th´eorie sociologique pro-cessuelle («process sociology »), celui d’Elias repr´esente un des plus impor-tants d´eveloppements d’une perspective historique des interactions. Elias est le pr´ecurseur de plusieurs approches r´ecentes (Cederman, 2005) visant

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a synth´etiser les concepts de structure et d’action2.

Dans la «process-oriented methodology » (Baur et Ernst, 2011), deux aspects sont au centre de l’analyse de la sociogen`ese des ph´enom`enes so-ciaux : le niveau macroavec les r`egles et les structures sociales inh´erentes `a la configuration3 qui influencent l’individu, et le niveaumicro avec la prise

2. Cf. Giddens (1987) avec la th´eorie de la«structuration», Archer (1995) avec l’ana-lysemorphog´en´etique morphogenetic») ou Emirbayer (1997) et Donati (2011) avec les th´eories relationnelles de la soci´et´e.

3. Dans la figure 2.1, Baur et Ernst (2011) emploient le termefiguration.

Figure 2.1 – Aspects `a consid´erer dans la «process-oriented methodology » tir´e de Baur et Ernst (2010, p. 124)

Researcher's Perspective Socio-Genesis

Individual Figuration

Source: Baur et Ernst (2010, p.124).

en compte de la position de l’individu, sa perception et sa capacit´e d’in-fluencer et de changer la configuration dans laquelle il se trouve (cf. figure 2.1).

Un exemple de configuration comme imbrication complexe des niveaux macro etmicro, d´ecrivant un changement social sur une longue p´eriode, se trouve dans la th´eorie ´eliassienne du processus de civilisation (Elias, 1994).

Cette derni`ere retrace ce processus comme issu de troisconditions de possi-bilit´e : l’´emergence d’Etats centralis´es qui ont le monopole de la gestion de l’ordre social (violence l´egitime et impˆots), l’allongement des chaˆınes d’in-terd´ependance qui induit une nouvelle ´economie psychique dans laquelle la contrainte interne des pulsions est beaucoup plus d´evelopp´ee, et le quˆete de distinction sociale correspondant `a une lutte pour la d´efinition l´egitime de l’ordre social (Fusulier, 2011 ; Ledent, 2009).

D’une part, dans la th´eorie du processus de civilisation, les structures

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etatiques cr´eent les conditions de possibilit´e pour des nouvelles interd´ epen-dances entre les individus dans lesquelles la distinction sociale est l’ethos dominant. Les ´equilibres de pouvoir qui composent les structures ´etatiques

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evoluent en effet vers plus de d´emocratie (cf. sous-section 2.1.1), en provo-quant une situation dans laquelle la lutte pour le prestige social fa¸conne les interd´ependances entre individus. La soci´et´e de cour repr´esente, en ce sens, la premi`ere forme de centralisation du pouvoir ´etatique permettant l’appa-rition d’interd´ependances in´edites entre l’aristocratie et le roi : le monarque r`egne sur sa cour en profitant de la concurrence qu’il instaure entre les cour-tisans grˆace `a l’´etiquette de cour qui fixe des hi´erarchies entre membre de la cour. Le roi est cependant pris dans la logique des c´er´emonieux qui symbo-lisent les privil`eges allou´es aux membre de la cours et doit donc se soumettre lui-mˆeme aux contraintes impos´ees par l’´etiquette : une interd´ependance r´ e-ciproque lie donc le roi et la cour. Dans la mˆeme logique, la concurrence entre

la bourgeoisie montante et l’aristocratie favorise la centralisation du pouvoir dans les mains du souverain absolutiste, mais fait d´ependre le pouvoir de ce dernier des relations de concurrence entre les deux premier groupes sociaux.

Les relations entre le roi, l’aristocratie et la bourgeoisie ´evoluent ainsi vers des interd´ependance de plus en plus ´equilibr´ees grˆace au contrˆole r´eciproque et l’auto-contrˆole : la bourgeoisie imite en effet les mani`eres aristocratiques et l’aristocratie, en retour, doit se distinguer ult´erieurement en affinant ses conduites.

D’autre part, les actions modifient les structures : l’auto-contrainte et les conduites individuelles qui en d´erivent, permettent l’apparition d’un ordre social commun `a un ensemble de plus en plus large d’individus. La recon-naissance du monopole ´etatique de la violence engendre les conditions de possibilit´e d’une gestion de l’ordre social qui respecte et garantit l’autono-mie de l’individu. La modification des ´echanges face-`a-face entre les indi-vidus et de leurs besoins r´eciproques, au niveau micro, enclenche donc un r´e´equilibrage du pouvoir de contrˆole sur les ´echanges eux-mˆemes, lesquels structurerons les chaˆınes d’interd´ependances entre individus.

La concept de configuration est finalement le trait d’union th´eorique entre deux niveaux de la r´ealit´e sociale. Elle repr´esente la synth`ese n´ecessaire au d´epassement du d´ecalage entre :

«[...] les ´echelles temporelles de la “structure” et l’“action” [...] : l’action prend sens en r´ef´erence `a un cadre ant´erieurement ´ ela-bor´e, mais contribue par les initiatives des acteurs `a modifier les r`egles qui composent le cadre.»(D´echaux, 2010, p. 740)

Si on explicite la diachronicit´e relative aux deux niveaux, il apparaˆıt clai-rement que la configuration est un processus de r´e´equilibrage continu : des interd´ependances se cr´eent et d’autres disparaˆıssent en modifiant les besoins sociaux qui, `a travers le temps, cr´eent encore des nouvelle interd´ependances (Elias, 1983).

Un allongement des chaˆınes d’interd´ependance caract´erise finalement les conditions de possibilit´e de la confiance dans les soci´et´es contemporaines.

Cela correspond `a des transformations des temporalit´es collectives qui, dans les Etats modernes, d´ependent par exemple de p´eriodes d’expansion et de contraction de l’´economie ou de l’´etat-social et se r´epercutent souvent `a travers le monde du travail sur les individus appartenant aux cohortes qui profitent de l’expansion ou subissent au contraire les p´eriodes de contrac-tion. Les interd´ependances dans le domaine professionnel, modifi´ees par les p´eriodes de crise ou d’embellie ´economiques, affectent l’ensemble de la par-ticipation aux diff´erentes sph`eres de sociation, telles que la politique, les associations et la famille. Des logiques similaires caract´erisent ´egalement la sph`ere de l’intimit´e.

2.1.4 Les potentialit´es du concept ´eliassien de configuration