• Aucun résultat trouvé

2.3 Un cadre configurationnel pour la confiance

2.3.1 Le lien micro-macro et l’ambivalence

etudier ses conditions de possibilit´e.

2.3.1 Le lien micro-macro et l’ambivalence

Les cadres de l’exp´erience et leur combinaison, les formules, sont les ou-tils que l’approche configurationnelle adopt´ee dans cette th`ese utilise pour interpr´eter la position sociale de l’individu qui fait face `a un environnement social complexe. Comprendre les d´eterminants de la confiance d´evelopp´ee par cet individu ´equivaut donc `a mettre en ´evidence quels cadres sont `a sa disposition dans l’interpr´etation de la configuration dont il fait partie.

En empruntant une d´emarche id´eal-typique de d´efinition des configurations (Ducret, 2011), la diff´erenciation analytique entre ´epoques pr´emoderne, mo-derne et postmomo-derne ouvre l’approche configurationnelle `a une g´en´ erali-sation qui permet de d´epasser les ancrages culturels et historiques de la d´efinition ´eliassienne de la configuration.

Les formules, comme combinaison de cadres de l’exp´erience, correspondent

`

a des formes de sociation et vice-versa. Nous avons donc `a disposition un outil analytique qui d´ecrivant des types de structurations qui permettent de se r´ef´erer de mani`ere pertinente aux ´etudes sur le changement social (Pescosolido et Rubin, 2000) et de comprendre les ancrages macrosociolo-giques des interpr´etations conscientes ou inconscientes des situations sociales

que les individus peuvent mettre en œuvre afin d’agir et faire confiance. La th´eorie sociohistorique des situations sociales conduit donc `a l’analyse des conditions d’´emergence de la confiance en consid´erant les formes de socia-tion pr´emoderne, moderne et postmoderne comme les cl´es d’interpr´etation ultimes des situations d’interaction dans lesquelles les individus naissent et se retrouvent `a ´evoluer tout au long de la vie.

Dans l’approche configurationnelle, sans mettre en avant le besoin d’au-tonomie individuelle face `a l’incertitude des soci´et´es postmodernes, dans lesquelles l’individu fait confiance afin d’agir plus efficacement et s’´ eman-ciper des contraintes structurelles, nous proposons d’analyser la confiance comme un ph´enom`ene ancr´e dans les trois formes de sociation `a la fois. Le contexte social ne tend donc pas `a disparaˆıtre, mais au contraire, il est consi-d´er´e comme ´etant de plus en plus complexe dans son fonctionnement : il a un effet de soutien et de contrainte de l’agir des individus en mˆeme temps et il influence non seulement l’action des individus, mais aussi leur identit´e.

C’est `a travers l’analyse des interd´ependances et du concept de configura-tion (ou, autrement dit, `a travers l’int´egration de l’ordre de l’interaction) que cette complexit´e peut ˆetre ´etudi´ee et appr´ehend´ee au mieux.

Nous proposons donc une ´etude de la confiance qui voit la soci´et´e non comme atomis´ee et n´ecessitant plus de confiance `a cause de l’´ emancipa-tion de l’individu par rapport `a ses structures, mais comme caract´eris´ee par une composante interactionnelle plus importante dans la d´ etermina-tion des acetermina-tions individuelles et collectives. Finalement, parmi les modes de coordination sociale, les rituels typiques des ordres sociaux traditionnels ou les routines des syst`emes rationalis´es modernes laissent plus de place `a l’interaction situ´ee dans des chaˆınes d’interd´ependances longues et multidi-mensionnelles, `a mˆeme de constituer une base solide pour le d´eveloppement de la confiance.

En accord avec la d´efinition de la configuration selon Norbert Elias (1991), le concept de configuration que nous d´eveloppons dans cette th`ese a un caract`ere dynamique, puisque la configuration se compose d’indivi-dus qui agissent et, en mˆeme temps, un caract`ere structurant, puisque la configuration influence l’agir des individus membres de la configuration en question. Ni l’individu ni le social existent comme r´ealit´es disjointes (Elias, 1991 ; Emirbayer et Goodwin, 1994) : au centre de la d´efinition de toutlien social, on trouve l’id´ee de chaˆıne d’interd´ependances qui relient les actions individuelles (rationnelles ou irrationnelles) `a la structure sociale et sa re-production. De ce point de vue, la confiance est une interd´ependance qui s’alimente `a tous les niveaux de la r´ealit´e sociale en mˆeme temps.

D`es lors, Goffman (1991 [1974]) fournit les outils conceptuels qui per-mettent de relier, `a partir du point de vue de l’individu, des formes macro-sociologiques `a des actions individuelles. Les cadres de l’exp´erience et les

formules permettent de voir le fond structurel (ou macrosociologique) de l’action individuelle `a travers un ordre explicatif interm´ediaire, situ´e entre l’individu et la structure sociale. L’individu n’est pas `a voir comme lib´er´e des structures sociales, mais comme faisant confiance dans les interactions soutenues par les structures. Caract´eristiques sp´ecifiques aux configurations, la transmission et l’apprentissage social de symboles17(Elias, 2009) sont les processus qui cr´eent les liens entre le niveau micro et le niveau macro de la r´ealit´e sociale. D’une part, les m´ecanismes de structuration interviennent `a travers l’interpr´etation de symboles, et, d’autre part, les individus, dans la dynamique des actions, contribuent `a des nouvelles structurations quand ils transmettent leur repr´esentation des structures.

Prenons l’exemple de la confiance dans les classes sup´erieures. En g´en´ e-ral, les niveaux de confiance aux institutions et aux autres sont syst´ ema-tiquement plus ´elev´es pour les individus aux hauts revenus et niveaux de formation (Alesina et La Ferrara, 2002 ; Borgonovi, 2012 ; Brehm et Rahn, 1997 ; Schyns et Koop, 2010). Quels cadres de l’exp´erience permettent le d´eveloppement de la confiance dans ces cas ? D’abord, dans nos soci´et´es, un individu avec plus de ressources r´ealise plus facilement des changements et des bifurcations `a travers diff´erentes sph`eres de sociation ; les cadres de l’exp´erience qu’il mobilise pour interpr´eter ces transitions sont ainsi carac-t´eris´es par plus d’autonomie par rapport aux individus d´efavoris´es sur ces dimensions. Cet avantage lui permet une plus grande souplesse et davantage de participation dans la co-construction des cadres structurant ses propres exp´eriences. De ce fait, on peut faire l’hypoth`ese qu’il accordera une plus grande confiance aux interd´ependances `a la fois institutionnelles et inter-personnelles dans lesquelles il s’inscrit.

Plus g´en´eralement, il s’agit l`a d’une r´ealit´esui generis (Goffman, 1983) qui se construit `a partir d’explications relationnelles ou transactionnelles et non pas `a partir d’attributions syst´emiques ou dispositionnelles. Au centre de l’explication du lien social se trouvent donc des ´echanges entre indivi-dus et institutions. Dans une logique de production continue et simultan´ee de culture et de structure (Tilly, 2000, 2005 ; Zelizer, 2010, cf. ´egalement section 2.2, p. 43), les interd´ependances ne se r´eduisent ni `a la conscience individuelle ni `a de simples composantes des structures sociales. Finalement, dans cette situation, l’ambivalence peut ˆetre pr´esente et caract´eriser la confi-guration d’interd´ependances des individus. Elle peut ˆetre cependant r´esolue par les formules complexes que ceux-ci d´eveloppent.

17. Elias parle dans ce cas de figurations puisqu’elles sont compos´ees exclusivement d’ˆetres humains.