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3.2 La famille comme configuration

4.1.1 La confiance interpersonnelle

Wrightsman (1991) r´epertorie des ´echelles qui mesurent soit directement la confiance interpersonnelle, soit des concepts qui lui sont strictement re-li´es comme les attitudes par rapport `a la nature humaine (attitudes towards human nature). Si trois ´echelles r´epertori´ees prennent en compte la mesure de la confiance en tant que dimension d’une attitude plus large, cinq repr´ e-sentent des mesures directes. Parmi ces derni`eres, trois s’orientent sur la me-sure de la confiance envers les autres personnes non sp´ecifi´ees («les autres», ou«autrui g´en´eralis´e»), et deux sur la mesure de relations interpersonnelles sp´ecifiques (souvent des individus proches sur le plan ´emotionnel). D’autres

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echelles non r´epertori´ees par Wrightsman (1991) pourraient ˆetre cit´ees : la Dyadic Trust Scale (Larzelere et Huston, 1980) pour la confiance entre par-tenaires en couple ou laIndividualized Trust Scale(Wheeless et Grotz, 1977) souvent appliqu´ee pour la mesure de la confiance entre ´el`eve et enseignant dans le champ des sciences de l’´education.

L’indicateur de confiance interpersonnelle trouve ses origines en Alle-mangne en 1948. Elisabeth Noelle-Neumann l’a formul´e dans le cadre des

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etudes qu’elle a men´ees `a l’Institut f¨ur Demoskopie d’Allensbach1 (Zmerli, Newton et Montero, 2007).

L’indicateur a ´et´e ensuite repris et r´e´elabor´e dans laFaith in People Scale con¸cue par Morris Rosenberg et ses collaborateurs au d´ebut des ann´ees 1950 (Rosenberg, 1956). Une ´echelle de Guttman2 a ´et´e cr´e´ee pour ´etudier les attitudes de philanthropie et de misanthropie. L’intention des chercheurs

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etait de comprendre le lien entre ces attitudes et les orientations politiques.

L’hypoth`ese de base pr´evoyait que les attitudes envers la nature humaine les plus r´epandues dans un syst`eme politique donn´e, telles que la «foi dans les autres», impliquent des principes de conduite, des pratiques et des politiques (policies) coh´erentes.

1. L’institut fond´e par la politologue Elisabeth Noelle-Neumann en 1947, propri´et´e de la fondation homonyme, est le plus vieil institut d’´etude de l’opinion publique en Allemagne.

2. Dans une ´echelle de type Guttman, les items sont distribu´es selon l’intensit´e du concept mesur´e : l’acceptation du dernier item pr´esuppose l’acceptation des items pr´ec´ e-dents. Par exemple, dans la mesure de distance sociale par rapport `a un groupe social tel que les immigr´es (cf. Bogardus, 1947), accepter l’item«je permettrai qu’un immigr´e ma-rie mon enfant»pr´esuppose l’acceptation de l’item«je serais d’accord que des nouveaux immigr´es s’installent dans ma communaut´e». Dans laFaith in People Scale, l’acceptation de la proposition extrˆeme«la nature humaine est fondamentalement coop´erative»pr´edit un niveau de confiance plus ´elev´e que le rejet de la proposition«la majorit´e des personnes tendent `a aider les autres».

La «foi dans les autres»´etait mesur´ee par cinq items :

1. Some people can be trusted. Others say you can’t be too careful in your dealing with people. How do you feel about it ?

2. Would you say that most people are more inclined to help others or more inclined to look out for themselves ?

3. If you don’t watch yourself, people will take advantage of you.

4. No one is going to care much what happens to you, when you get right down to it.

5. Human nature is fundamentally cooperative.

Dans la construction de la Faith in People Scale, les r´eponses sont en-registr´ees et ensuite additionn´ees : d´eclarer «most people can be trust »,

«people are more inclined to help others », se d´eclarer en d´esaccord avec les items trois et quatre ou accepter le cinqui`eme item attribue un point ; les r´eponses inverses donnent -1 ; et les r´eponses interm´ediaires 0 point. Les r´epondants sont ainsi class´es en trois groupes selon leur niveau de foi dans les autres personnes. Ceux qui ont un total compris entre +2 et +5, ceux avec un total compris entre –2 et +1 et ceux qui totalisent un score entre –5 et –3. La coh´erence interne de l’´echelle est tr`es ´elev´ee3 (Wrightsman, 1991).

Les r´esultats des analyses effectu´ees par Rosenberg (1956) en utilisant un ´echantillon d’´etudiants montrent que l’´echelle est associ´ee `a plusieurs di-mensions des attitudes politiques : le sentiment de comp´etence des citoyens

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electeurs, l’impression que les ´elus sont vraiement concern´es par les pro-bl`emes du citoyen moyen (plutˆot que des pions dans les mains de minorit´es influentes), le positionnement par rapport `a la libert´e d’exprimer sa propre opinion et de la manifester, sur le rˆole de l’Etat en tant que limitateur de la libert´e d’opinion et sur la faisabilit´e d’un syst`eme d´emocratique fond´e sur cette libert´e, ainsi que l’opinion sur la libert´e de religion et de participation politique. Les r´esultats montrent en g´en´eral des positions conservatrices et autoritaires des misanthropes. Ces derniers s’expriment par exemple plus facilement en faveur de l’isolement et de la r´epression de groupes et d’indi-vidus avec des opinions ou des pratiques d´eviantes dans le domaine politique ou religieux. L’absence defoi envers les autres individus a pour Morris Ro-senberg (1956) des implications claires sur la doctrine politique r´eglant le rapport `a la libert´e, mais ´egalement dans d’autres domaines de la vie tels que les relations interpersonnelles avec le risque de difficult´es d’´etablir des liens intimes, d’amiti´e ou de collaboration, et les relations avec les institu-tions. Ces ´etudes montrent donc que des faibles niveaux de confiance envers les autres sont associ´es `a des attitudes antisociales et antid´emocratiques.

En 1969, leSurvey Research Center de l’Universit´e du Michigan publia

3. Mesur´ee par un coefficient de reproductibilit´e de 0.92, sur les donn´ees originales de Rosenberg (cf. Wrightsman, 1991, p. 404).

le 1964 Election Study dans lequel l’´echelle de Faith in People Scale a ´et´e r´eadapt´ee. Elle devient laTrust in People Scale et reprend en les modifiant les trois premiers items de l’´echelle Rosenberg :

1. Generally speaking, would you say that most people can be trusted or that you can’t be too careful in dealing with people ?

2. Would you say that most of the time, people try to be helpful, or thath they are mostly just looking out for themselves ?

3. Do you think that most people would try to take advantage of you if they got the chance or would they try to be fair ?

Les r´eponses pour ces trois items sont enregistr´ees sur des ´echelles di-chotomiques (0 correspondant `a la r´eponse«most people can be trusted/to help others/take advantage »et 1 `a«can’t be too careful/look out for them-selves/try to be fair ») et additionn´ees. Pour ce qui concerne le test de la coh´erence interne, une forte et stable corr´elation des trois items a ´et´e en-registr´ee dans les Election Study de 1964 et de 1968 `a l’int´erieur du mˆeme niveau de formation.

Ces trois items repr´esentent la mesure de la confiance la plus utilis´ee dans les enquˆetes sociologiques. Dans une partie des grandes enquˆetes inter-nationales, seulement le premier item est retenu, devenant l’unique question mesurant la confiance de mani`ere tr`es directe. La question standard« Ge-nerally speaking, would you say that most people can be trusted or that you can’t be too careful in dealing with people ? »est ainsi tr`es r´epandue.

Les travaux qui essaient de comprendre ce qui est mesur´e en posant cette question sont ´egalement nombreux. Nous voulons souligner deux contro-verses autour de cet indicateur. La premi`ere est celle relative au «radius of trust »(Delhey, Newton et Welzel, 2011 ; Welch et al., 2005 ; Welch, Sikkink et Loveland, 2007) : quelle est l’ampleur du cercle de personnes inclues dans l’expression most of people? Si l’interpr´etation la plus r´epandue reste li´ee `a l’id´ee d’autrui g´en´eralis´e, certaines ´etudes montrent que, selon les pays et les cultures, ces autruis peuvent correspondre `a des personnes plus ou moins proches g´eographiquement et socialement.

La seconde controverse autour de la mesure de la confiance sur laquelle nous attirons l’attention concerne le fait que la question en tant que telle ne mesure pas directement un comportement de confiance. La r´eponse corres-pond en effet `a une ´elaboration d’exp´eriences et de comportements adopt´es (et qui seraient adopt´es) de la part du r´epondant dans des situations qui comportent du risque. On a ainsi `a prendre en compte le fait que la r´eponse

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a la question est ´egalement une mesure indirecte de pr´ef´erences et de pr´ e-dispositions individuelles `a la confiance qui ne correspondent pas forc´ement

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a des comportements de confiance (Fehr, 2009).

L’ambigu¨ıt´e de l’indicateur trouve son origine dans l’´echelle de r´eponses.

Elle propose en effet une opposition entre confiance (Most people can be trusted), en tant qu’attente par rapport aux autres, et un comportement de prudence (Can’t be too careful) (Miller et Mitamura, 2003). Miller et Mitamura (2003) montrent d’ailleurs qu’on peut adh´erer en mˆeme temps aux deux extrˆemes propos´es par l’´echelle de r´eponses et qu’une ´echelle uni-dimensionnelle comportant `a un extrˆeme «aucune confiance» et `a l’autre

«pleine confiance»est une mesure non ambigu¨e de la confiance.