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Hypoth` eses sur les effets de l’´ evolution des interd´ e-

3.1 La cohorte comme configuration

3.1.2 Hypoth` eses sur les effets de l’´ evolution des interd´ e-

egalement des individus plus vuln´erables : les transitions qui rythment le parcours de vie modifient les interd´ependances des individus et d´eterminent l’acquisition de nouveaux cadres. Ce moment peut ainsi marquer les inter-d´ependances de l’individu selon les contraintes qu’il subit ou les soutiens dont il dispose. Les effets de cohorte sont donc `a mettre en relation avec des exp´eriences collectives que les individus ont v´ecues `a un moment particulier de leur parcours de vie.

3.1.2 Hypoth`eses sur les effets de l’´evolution des interd´ epen-dances sur la confiance

C’est en nous r´ef´erant aux analyses de Ronald Inglehart (Inglehart, 1977, 1990 ; Inglehart et Welzel, 2005) et Robert Putnam (Putnam, 1993, 2000) sur le changement social, que l’on peut introduire des explications de l’´ evo-lution de la confiance li´ee au cohort replacement. En se r´ef´erant surtout au cas des Etat-Unis et des pays occidentaux entre les ann´ees 1970 et 2000, les deux auteurs expliquent en effet la diminution des niveaux de confiance par le fait que les nouvelles cohortes sont en moyenne moins confiantes que les anciennes. D’une part, bien qu’il interpr`ete les niveaux de la confiance interpersonnelle dans diff´erents pays en tant qu’indicateurs stables de com-portements culturels, Inglehart explique sa diminution pas le passage `a une culture post-mat´erialiste des cohortes plus jeunes. D’autre part, malgr´e la diffusion, aux Etats-Unis dans l’apr`es-guerre, d’une culture post-mat´erialiste qui promeut la confiance, Putnam d´enonce le d´eclin du capital social, ´etudi´e via la participation aux r´eseaux associatifs et les niveaux de confiance aux Etats-Unis (Putnam, 2000, pp. 139-142) et souligne le danger auquel le lien social pourrait ˆetre soumis par un d´eficit de confiance. Les deux auteurs donnent une place centrale `a la confiance interpersonnelle dans les soci´et´es occidentales : elle fait partie de la culture post-mat´erialiste et constitue le fondement de l’ethos d´emocratique permettant aux soci´et´es occidentales de fonctionner.

En d´epit de l’importance attribu´ee `a la confiance par ces deux auteurs, le traitement th´eorique qu’ils en font n’est que peu d´evelopp´e et ambigu : il s’agit en mˆeme temps d’un trait culturel stable et d’une composante du capital social issue directement des interactions entre les individus.

La perspective configurationnelle privil´egie quant `a elle une approche inscrivant la confiance dans une configuration sociale form´ee d’interd´ epen-dances multiples (concurrence, solidarit´e, reconnaissance) `a travers lesquelles les individus participent `a une structure sociale plus large. Des interd´ epen-dances diff´erentes produisent des niveaux de confiance diff´erents (Alesina et La Ferrara, 2002 ; Gustavsson et Jordahl, 2008). La confiance interper-sonnelle et la confiance institutionnelle ne sont pas des attributs stables des cohortes, fig´es dans la socialisation primaire, mais elles d´ependent de l’en-semble des interd´ependances d´evelopp´ees par une cohorte et des caract´ eris-tiques des p´eriodes historiques auxquelles les individus se trouvent confron-t´es. Dans l’explication des valeurs, des normes et des attitudes, l’interaction entre effets de cohorte et effets de p´eriode, ainsi que le poids des liens sociaux et des imp´eratifs dict´es par les conditions de vie collective tout au long de la vie des individus assument une grande importance. Ces mˆemes ´el´ements sont donc centraux pour la compr´ehension des conditions de possibilit´e de la confiance.

En nous fondant sur l’id´ee d’un individu ins´er´e dans un ensemble d’inter-d´ependances qui le lient `a diff´erentes sph`eres de sociation et le positionnent dans une hi´erarchie g´en´erale de la soci´et´e (Levy et al., 1997), nous ´emettons l’hypoth`ese que les changements des niveaux de confiance d’une cohorte `a l’autre sont li´es `a l’´evolution des interd´ependances des individus appartenant aux diff´erentes cohortes.

Premi`erement, nous nous int´eresserons `a l’interd´ependance repr´esent´ee par l’´education. Le niveau d’´education d’un individu est un indicateur de position hi´erarchique dans un syst`eme social complexe, puisqu’il correspond

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a des avantages dans les interd´ependances avec les institutions et les autres individus. Dans des syst`emes abstraits, autrement dit dans les m´ecanismes complexes qui caract´erisent la modernit´e avanc´ee, du capital culturel est n´ecessaire pour participer au syst`eme social et pour maˆıtriser les ´echanges interpersonnels. Sur le plan cognitif, l’´elaboration et l’acceptation de la com-plexit´e sera plus facile pour des individus plus form´es puisqu’ils ont plus d’as-surance dans l’utilisation des savoirs. Ils seront par cons´equent plus aptes

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a produire et `a b´en´eficier des ressources de l’organisation sociale, en dimi-nuant ainsi leurs d´ependances. L’approche configurationnelle sugg`ere que cet avantage est dˆue, d’une part, `a la plus grande probabilit´e d’apprentis-sage de nouveaux cadres de l’exp´erience utiles `a l’interpr´etation des situa-tions sociales et, d’autre part, `a la capacit´e accrue d’utiliser et d’´elaborer l’information grˆace `a des combinaisons complexes de cadres. L’augmenta-tion de l’informaL’augmenta-tion et de la connaissance g´en´erale explique le fait celle-ci et le capital culturel exercent une influence sur la confiance dans les sys-t`emes complexes de la modernit´e (Newton, 1999, 2001). L’individu, pour faire confiance aux autres, doit ˆetre «socialement intelligent»(Yamagishi,

2001), c’est-`a-dire qu’il doit ˆetre capable de s´electionner correctement l’in-formation sur laquelle fonder sa confiance dans son environnement social.

La mˆeme hypoth`ese peut ˆetre faite par rapport au d´eveloppement de la confiance dans les institutions. L’augmentation moyenne du niveau d’´ edu-cation des jeunes cohortes (Helliwell et Putnam, 1999) sugg`ere ainsi des effets de cohorte(cohort replacement)sur la confiance interpersonnelle et la confiance institutionnelle : nous nous attendons `a des niveaux plus ´elev´es pour les jeunes g´en´erations.

Comme la majorit´e des pays industrialis´es, la Suisse a d’ailleurs connu une augmentation du niveau d’´education g´en´eral de la population pendant le dernier si`ecle (OECD, 2010). En 2007, environ un tiers de la cohorte n´ee entre 1973 et 1982 atteint un niveau d’´education tertiaire alors que moins d’un quart de la cohorte 1943-1942 et seulement un dixi`eme des individus n´es avant 1932 ont atteint ce niveau d’´education. Autrement dit, moins d’une personne sur sept n´ees entre 1973 et 1982 n’a pas atteint le niveau d’´education post-obligatoire contre un quart de la cohorte n´ee entre 1943 et 1952, et `a peu pr`es la moiti´e des personnes n´ees avant 1932 (OFS, 2007).

Deuxi`emement, les effets de la cohorte de naissance sur la confiance sont

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egalement g´en´er´es par des interd´ependances de type familial :«Families and kinship networks will differ in their capacity to invoke common norms and levels of trust, commitment, attachment, and exchange that produce a sense of mutual obligations among their members » (Furstenberg, 2005, p. 811).

L’importance croissante de la famille dans la diff´erenciation des sources de sociabilit´e des individus (DiPrete, Gelman, McCormick, Teitler et Zheng, 2011) met en ´evidence l’utilit´e de l’approche configurationnelle. La famille fournit des cadres d’exp´erience vari´es. Certaines configurations familiales sont aujourd’hui des formules qui combinent le cadre personne-rˆole et rˆ ole-personnage de mani`ere complexe, et fondent ainsi la confiance interperson-nelle g´en´eralis´ee et la confiance institutionnelle en mˆeme temps. D’autres familles repr´esentent des cadres qui soutiennent seulement la confiance insti-tutionnelle, d’autres configurations familiales sont des cadres qui admettent plus facilement la confiance interpersonnelle particularis´ee3.

Il est ainsi probable que l’augmentation des cohabitions entre partenaires en dehors du mariage dans les cohortes r´ecentes a provoqu´e une baisse de la confiance institutionnelle, puisque ces couples sont moins engag´es et proches des institutions, dont le mariage fait partie (Kellerhals et Widmer, 2007).

La propagation du divorce `a partir de la cohorte des babyboomers et dans les cohortes r´ecentes, ainsi que l’apparition de nouvelles formes familiales, peuvent en revanche renforcer la confiance interpersonnelle : expos´ees `a

3. Dans le chapitre 6, `a l’aide de donn´ees con¸cues explicitement dans une approche configurationnelle, nous ´etudierons de mani`ere plus d´etaill´ee et approfondie le cas de la famille.

moins de contraintes du point de vue des obligations familiales et de l’atta-chement entre les membres de la famille, les nouvelles cohortes apprennent

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a faire plus facilement confiance aux autres grˆace la diversit´e des cadres de l’exp´erience qu’elles exp´erimentent dans le contexte familial. Un contexte familial plus traditionnel, dans le cadre du mariage et de la parentalit´e peut au contraire amener `a d´evelopper de la confiance envers les institutions qui soutiennent la famille en tant qu’entre-soi s´ecuris´e.

Troisi`emement, une autre explication de la variation de nature de la confiance est `a imputer aux changements des interd´ependances repr´esent´ees par le monde associatif, et de ses modes de participation dans les cinquante derni`eres ann´ees (Skocpol et Fiorina, 1999 ; Stolle et Rochon, 1998). Les associations ont vu leur structure organisationnelle ´evoluer pour seconder les nouveaux styles de vie de la classe moyenne (Kriesi et Baglioni, 2003).

Les associations politiques, les grands syndicats et les association religieuses ont donn´ee lieu `a un grand ´eventail de formes associatives qui op`erent moins dans le cadre institutionnel et plus dans les domaines du d´eveloppement per-sonnel ou de la d´efense des int´erˆets directs de leurs membres (Putnam, 2000 ; Wuthnow, 1998). Ces nouvelles associations partagent le mˆeme ensemble de valeurs post-mat´erialistes, se sp´ecialisent dans des activit´es d’advocacy telles que la d´efense des droits humains ou de l’environnement (Baglioni, 2004) et sont souvent des lieux de sociabilit´e o`u les individus cherchent l’´ epanouisse-ment personnel.

La participation `a des associations g´en`ere des interd´ependances interper-sonnelles sp´ecifiques. Les configurations dans lesquelles les individus sont in-s´er´es s’ils participent `a des organisations traditionnelles sont tr`es diff´erentes de celles d´evelopp´ees par des individus qui participent `a des associations

«nouvelles». Alors que des cadres de l’exp´erience centr´es sur une distribu-tion hi´erarchique du pouvoir et sur un syst`eme de rˆoles institutionnels rigide s’appliquent `a la vie des individus membres d’un parti ou d’un syndicat, des cadres plus ax´es sur l’interpr´etation des rˆoles, l’affirmation du caract`ere et la construction identitaire, sont d´eploy´es par les individus membres des autres associations.

On peut donc faire l’hypoth`ese que les changements de participation associative caract´erisant les interd´ependances des cohortes r´ecentes ont un impact sur la confiance que ces cohortes d´eveloppent : la confiance inter-personnelle deviendrait donc un ´el´ement indispensable au fonctionnement des nouvelles associations alors que la confiance institutionnelle perdrait sa raison d’ˆetre.