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b Positivisme juridique

Le positivisme juridique correspond à un changement paradigmatique en philosophie du droit de la conception du Droit défini selon la doctrine du droit naturel à une conception du Droit selon la conception positiviste67. Le Droit selon la vision du droit naturel faire réfèrence au latin Ius

(de Iurare qui signifie « jurer ») connotant « un lien », « une connexion », sans cependant avoir de

66 En ce sens, la loi accorde des droits qui sont juridiques parce que moraux. Cette confusion se retrouve au niveau étymologique : en effet, le mot Dharma en Sanskrit signifiant le droit est connoté à la fois juridiquement et moralement (Ratnapala 2009 : 125), dont sont dérivés (et tout autant connotés) le latin Ius, l'anglais Right, l'allemand Recht, l'italien Diritto, l'espagnol Derecho, le Slavonic Pravo (Vinogradoff 1927 : 1).

connotation de lien physique. La proclamation est pour ainsi dire réciproque, avec un haut degré de symbolisme, d’où sa connotation morale. Le Ius crée ainsi une relation juridique horizontale entre semblables, engagés par des liens contractuels, rassemblés au sein d’une société.

Pour les Romains, le Ius est le « lien social » ce qui conduit à l’expression « Ubi societas, Ibi Ius » (« Là où il y a une société, il y a du droit »). Par opposition, le Droit compris comme une traduction du latin Lex (du nom Dilectus qui signifie « la levée d’une armée », et rattaché au verbe Legere signifiant « collecter », « choisir », « voler ») correspond davantage à la vision positiviste de la notion de Droit. Ici, le Droit connote le droit comme pouvoir (right-as-might), le pouvoir exercé sur les êtres humains dans une relation juridique de nature verticale. Ainsi, le décideur (Rex) doit être au-dessus des individus présents dans la société pour les régir, d'où le nécessaire rapport de force et d'autorité (du latin auctoritas venant du verbe augere qui signifie précisément «élever», «augmenter», et qui est le fait d’un auctor dépositaire de cette faculté d’élever le droit pour que celui- ci s’impose aux individus). Ce rapport d'autorité et de contrainte du droit positif (Lex) s'oppose radicalement au rapport d'égalité et de consensualisme du droit d'inspiration naturelle (Ius).

Ainsi, le positivisme juridique dès lors affirme que la loi est une construction sociale comprenant un corps de normes décidées par les autorités compétentes (que celles-ci soient la législature, le gouvernement ou le pouvoir judiciaire). Si le Ius fait réfèrence à la licéité (lawfulness) et le Lex fait réfèrence à la légalité (legality), nous pouvons suggérer qu’une loi est légale d’un point de vue positiviste dès lors qu’une autorité compétente s’est prononcée ainsi et que cette loi est compatible avec d’autres lois positives de rangs juridiques plus élevés. Néanmoins, cette loi peut ne pas être licite en cela qu’elle violerait les prescriptions du droit naturel. Selon le positivisme juridique, le souverain n’est plus seulement un énonciateur du droit (law-teller) dans lequel le droit serait fixe, exogène, incontrôlable et gouvernant les relations entre êtres humains et devant seulement être découvert. Au lieu de cela, le souverain devient dans la doctrine du positivisme juridique un législateur (law-maker) où le droit est compris pouvant être façonnable, et gouvernant

les relations entre l’Etat et ses citoyens. Ainsi, le positivisme juridique comprend le Droit principalement dans le sens de Lex.

Le positivisme juridique cherche à distinguer la nécessaire étude scientifique du droit – ce que le droit est – d’une approche non-scientifique et morale, ce que le droit devrait être (la dichotomie Is/ought présent dans la philosophie du droit fait écho à la même dichotomie que l’on trouve en philosophie en général depuis les travaux de Hume). L’approche positiviste du droit (le domaine du is) ne doit pas présupposer des conclusions normatives (le domaine du ought).

La séparation du droit et de la morale remonte au juriste Bodin. Bodin est au droit ce que Machiavel est à la politique : la volonté de séparer le droit de la morale souligné par le premier correspond à la volonté pour le second de distinguer la morale de la politique (Friedrich 1963 : 61). Les considérations morales peuvent être comprises dans le droit si et seulement si l’autorité officielle en décide ainsi. Alors, est fortuite mais non conceptuelle la corrélation entre le droit et la morale dans le positivisme juridique. Dans la même veine, Hart affirme que « the simple contention that it is in no sense a necessary truth that laws reproduce or satisfy certain demands of morality, though in fact they have often done so » (1997 : 185).

Par ailleurs, dans la conception hobbesienne de la figure du juge, le juge est dénué de pouvoir véritable et tient son autorité seulement grâce à la volonté du souverain, le juge est le simple exécutant du droit du souverain. Dans le positivisme juridique plus souple incarné par Hart, les juges sont parfois autorisés à décider avec des considérations morales bien que cette faculté doit être strictement accessoire (Hart 1997 : 254). Par ailleurs, le positivisme de Raz (1979 : 49) se distingue de celui de Hart en cela que Raz oppose d’un côté, l’activité judiciaire qui se doit d’être l’application du droit dans lequel aucun jugement moral ne doit être impliqué, et d’autre part, l’activité législative dans laquelle l’élaboration du droit implique nécessairement des considérations morales. Ces considérations-là sont souhaitables seulement en ce qui concerne la normativité du

droit ; une fois la loi établie, aucune tergiversation morale ne saurait empêcher la pleine application du droit car le droit doit être affirmé sans ambiguïté et l’autorité prononçant le droit doit jouir de la reconnaissance de son autorité et de sa légitimité (Raz 1979 : 51). Pour sa part, Kelsen (1967) élabore une théorie pure du droit dans laquelle la loi se voit émancipée non seulement de la morale, mais également des faits, d’où sa prétention à une théorie « pure » du droit.

La morale diffère le plus souvent du principe d’efficience économique. Cette affirmation, qui aurait pu être de Posner, est formulée par Hart. Lorsque celui-ci critique la théorie morale du droit de Fuller, Hart affirme que les principes moraux énumérés par ce dernier (Fuller 1964) ne sont pas des principes moraux mais plutôt des caractéristiques du principe d’efficience. En effet, Fuller proposa huit vertus formant « the internal morality of law », qui sont : (1) generality, (2) publicity, (3) prospectivity, (4) clarity, (5) consistency, (6) possibility of compliance, (7) constancy, and (8) faithful administration of law . Hart affirme que ces attributs sont éthiquement neutres étant donné que le pouvoir législatif peut se conformer à tous ces attributs tout en pouvant produire cependant des lois injustes. Dès lors, ces attributs se rattachent à l’efficience, sans constituer cette « internal morality of law » :

« to call the principles of the poisoner’s art « the morality of poisoning » would simply blur the distinction between the notion of efficiency for a purpose and those final judgments about activities and purposes with which morality in its various forms is concerned » (Hart 1965 : 1286).

Par ailleurs, Dworkin (1977 ; 1998) développa également une théorie morale du droit aux confins entre positivisme juridique et tradition du droit naturel dans laquelle le formalisme juridique est plaidé au moyen de notions juridiques telles que les « Rights » et « Principles of law ». Le raisonnement juridique, pour Dworkin, se doit d’être neutre, sans connotation politique, et cet objectif peut être atteint seulement si le droit nous dit qu’elle est la «bonne» réponse dans une

affaire particulière, une réponse précise qui peut nous être donnée précisément par le recours aux notions de droits et de principes généraux du droit. Mais, derrière cette naïveté de principes juridiques censés être neutres et de droits juridiques évidents s’imposant sans connotation politique qui permettraient de rendre les décisions judiciaires sans que le juge ne crée le droit, la théorie (morale) du droit proposée par Dworkin n'écarte pas la politique du droit mais est cachée subrepticement derrière la formalisation d’une théorie du droit. Nous reviendrons plus loin à la critique de cette vision du droit lorsque nous aborderons la philosophie du droit telle que pensée par l’opposant principal à la théorie dworkinienne du droit, le juge Richard Posner.

Quoiqu’il en soit, les différentes perspectives inhérentes au positivisme juridique ne devraient pas conduire à une conclusion hâtive consistant à dénier le fait que le positivisme juridique est le paradigme juridique actuellement dominant à partir duquel ont émergé différents courants de la philosophie du droit et qui nous intéressent particulièrement pour notre étude, principalement, le réalisme juridique et l’analyse économique du droit.

2. Du réalisme juridique à l’analyse économique du droit