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Chapitre 4/ Analyse Lexicale Quantitative

Une analyse quantitative du raisonnement économique des juges a seulement un intérêt limité aujourd’hui, après des décennies d’analyse économique du droit. Posner en 1972 reconnaissait déjà la pauvreté de l’approche quantitative dans l’analyse économique du droit, en l'illustrant par le domaine du droit de la responsabilité. Toujours dans cette Partie Introductive, nous proposons d’entreprendre une analyse quantitative du principe d’efficience économique dans la jurisprudence européenne et dans la jurisprudence fédérale américaine. Nous concluons dans cette analyse que, bien qu’étant d’un intérêt limité car les données sont collectées seulement d’un point de vue lexical, une tendance se dessine dans les deux jurisprudences. En effet, le juge européen semble être beaucoup plus enclin à invoquer l’efficience à partir des années 90, un phénomène qui peut être analysé comme illustrant la mise en place du programme du Marché Unique avec la ratification du Traité de Maastricht en 1992.

La récurrence du terme « efficiency » comme mot-clé dans la jurisprudence européenne est très bas : référé seulement neuf fois par la Cour de 1957 à 2010. De plus, parmi les affaires dans lesquelles « efficiency » est mentionné, 88% des affaires concernent la Politique Agricole Commune (PAC), « efficiency of the agricultural structures »106; une autre affaire concernant un litige de

106 Particulièrement, le Règlement 950/97 de 1997 invoqué dans C-78/07 [2008] Ispettorate Provinciale, I-01635; le Règlement 797/85 invoqué dans C-403/98 [2001] Azienda Agricola Monte Arocsu Srl, I-00193 et dans C-255/95 [1997] S. Agri

fonctionnaires107. En dépit du faible nombre de récurrences du mot-clé « efficience », nous

pouvons observer une évolution dans laquelle la récurrence est croissante.

Concernant la récurrence du terme « efficience » dans le corps des décisions judiciaires, le relevé est le suivant :

1950 1960 1970 1980 1990 2000 0 5 10 15 20 25 Years Recurrence

La ligne rouge représente la récurrence du terme « efficiency » dans les jugements de la Cour ; la ligne verte représente les opinions des Avocats Généraux ; la ligne bleue représente les jugements rendus par la Cour. Enfin, la ligne noire représente la moyenne calculée108 des

récurrences du terme « efficiency » dans les jugements de la Cour.

Plus précisément, l’expression « economic efficiency » apparaît beaucoup moins fréquemment comme représenté dans le graphique ci-dessous. Ce résultat peut ne pas surprendre étant donné que l’expression « economic efficiency » fait explicitement référence à une analyse économique dans le raisonnement du juge :

Cette tendance d’un accroissement à partir des années 90 de la fréquence du terme « efficiency » (ou de l’apparition de l’expression « economic efficiency ») se retrouve également dans les jurisprudences de la Cour Suprême américaine et des Cours fédérales de District. Le graphique ci- dessous représente l’occurrence de l’expression « economic efficiency » dans les jurisprudences de la Cour Suprême américaine et des Cours fédérales de District :

Ici, l’accroissement majeur se produit au tournant de la décennie 80. Ceci pourrait s’expliquer par l’émergence de l’analyse économique du droit dans la doctrine américaine dans les années 60, et la part croissante des considérations économiques dans la pratique du droit qui été rendue possible par le fait que les juristes ayant reçu une formation économiques ont accédé à des positions juridictionnelles dans les années 80.

Notre conclusion est concordante avec Landes et Posner (1993 : 386-387) affirmant que «judges are increasingly receptive to economic arguments-and only in part is this due to the fact that some judges appointed since 1980 are practitioners or former practitioners of economic analysis of law». Cependant, la fréquence de la récurrence de l’expression « economic efficiency » pour la seule Cour Suprême est très basse, similaire à celle de la CJUE :

Ces représentations sont d’un intérêt limité pour l’appréhension de l’importance d’un quelconque raisonnement économique dans les décisions judiciaires rendues par les juges, notamment du fait de la réduction de l’analyse quantitative à des termes lexicaux tels que « efficiency » ou « economic efficiency », et du fait du faible nombre de récurrences relevées. Cependant, deux nuances sont à formuler quant aux limitations de cette analyse.

Premièrement, si le volume des récurrences est faible, l’évolution est parlante en cela que la fin des années 80 semble être la période à partir de laquelle aussi bien la CJUE que la Cour Suprême (et les Cours de Districts) font référence pour la première fois ou de façon plus généralisée à l’efficience économique. Cette évolution constatée dans notre analyse concorde avec les observations de praticiens des deux côtés de l’Atlantique décrivant l’influence grandissante de l’analyse économique dans la formation des praticiens du droit (et des juges particulièrement).

Deuxièmement, la faible fréquence de termes tels que « efficiency » ou « economic efficiency » dans les jurisprudences étudiées ne saurait conclure au faible poids de l’analyse économique et de la pertinence économique des décisions judiciaires. En effet, l’analyse économique, parce que non réductible à ces seuls termes, englobe des notions plus vastes mais également parce que le

raisonnement économique peut souvent être implicite sans référence particulière à des concepts économiques.

Ainsi, si l’analyse quantitative révèle une évolution de la récurrence du principe d’efficience économique, cette analyse est largement insuffisante, c’est pourquoi l’analyse qualitative sera exclusivement l’approche que nous adopterons.

Annonce des deux Parties : Le raisonnement judiciaire européen procède d'une analyse économique qui, bien qu'impicite, reste sous-jacente. Cette résultante est le fruit de deux forces majeures. La première de ces forces consiste en la production par les acteurs institutionnels pertinents - en l'occurrence, les juges européens - de solutions jurisprudentielles (évolutionnairement) en conformité avec le principe d'efficience économique. Cette production (sciemment ou inconsciemment) recherchée résulte de préférences des juges ayant pour point d'accroche les lignes de jurisprudence dessinées au cours de l'évolution jurisprudentielle. L'étude de l'offre de justice produisant de l'efficience économique dans la jurisprudence européenne par les préférences exogènes des juges européens sera l'objet de notre Première Partie. D'autre part, si cette offre est certaine, elle se doit de rencontrer une demande dans ce marché de la production du droit. Ainsi, nous aborderons la demande de la part des parties au litige d'une efficience économique, comme condition nécessaire et complémentaire à l'offre jurisprudentielle d'efficience économique. Cette seconde perspective, opposée mais néanmoins complémentaire à la première perspective, sera l'objet de notre Seconde Partie.

Partie I/ L’Efficience Economique dans la