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b L’Efficience du Principe de Subsidiarité dans le Droit Primaire Européen

De façon préliminaire, on peut rappeler le contenu de l’Article 5.3 du TUE qui est le suivant :

« En vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l'Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu'au niveau régional et local, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union […] »

De cet Article, un double test est implicitement instauré pour l’application du principe de subsidiarité pour que l’UE puisse agir dans les domaines où celle-ci dispose d’une compétence non-exclusive. Cet article pose une présomption selon laquelle les Etats Membres (au niveau national ou régional selon l’article 5.3 du du TUE) disposent d’une priorité pour agir dans les domaines de compétences partagées avec l’UE, à moins que cette présomption ne soit renversée au bénéfice de l’action européenne si, et seulement si, ce double test est passé.

Ce double test comprend un test de suffisance : l’Article 5.3 du du TUE affirme que « l'Union intervient seulement si, et dans la mesure où les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu'au niveau régional et local ».

D’autre part, l’Article 5.3 du TUE comporte un test de la valeur ajoutée lorsque il énonce que les objectifs « peuvent […] être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action

envisagée, [atteints] au niveau de l'Union » (Estella 2005 : 93). Les deux tests sont cumulatifs155, et

le test de suffisance est la condition sine qua non au test de la valeur ajoutée.

Le test de suffisance est similaire à un test d’effectivité : l’UE n’intervient que si les actions entreprises par les Etats Membres sont, soient ineffectives, soient inexistantes en dépit du fait qu’il faille agir dans un domaine particulier. L’UE est autorisée à agir, à la double condition que cette action vienne répondre à l’ineffectivité des mesures au niveau des Etats Membres et que l’UE garantisse l’effectivité de sa propre action. Une action ineffective des Etats Membres ne saurait en aucun cas être remplacée par une action ineffective des institutions européennes, la décentralisation sera toujours préférée dans une situation où les deux sortes d’actions sont ineffectives. La logique, derrière ce double critère d’effectivité, est de garantir l’effectivité de l’intervention juridique, effectivité inhérente au test de suffisance.

Le test de la valeur ajoutée est similaire à un test d’efficience : l’UE n’intervient que si une telle action apporte des bénéfices nets supérieurs à ceux que d’aucuns auraient pu espérer par les différentes actions des Etats Membres. Ces bénéfices nets peuvent être plus importants du fait de l’ineffectivité de l’action des Etats Membres ou du fait de l’efficience moindre des mesures nationales, par rapport à l’efficience des potentielles actions des institutions européennes156. Une

analyse de l’efficience comparée est ainsi effectuée entre, d’une part, l’analyse coûts-bénéfices des

155 L’article 5 du Protocole sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, ajouté par le Traité d’Amsterdam énoncait : « Pour être justifiée, une action de la Communauté doit répondre aux deux aspects du principe de subsidiarité : les objectifs de l'action proposée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par l'action des États membres dans le cadre de leur système constitutionnel national et peuvent donc être mieux réalisés par une action de la Communauté ». 156 Lanaerts (1994) précisa que le test de subsidiarité de l’ancien Article 130r(4) exige « a comparative enquiry into the efficiency

of the community and the individual Member States in attaining the objectives of European environmental policy […] ». Plus

généralement, ce test peut être rapproché de l’analyse institutionelle comparée, dans laquelle les coûts des échecs de marchés sont mis en balance avec les coûts de centralisation (Demsetz 1969). Voir aussi Pennings (1993 : 160).

actions des Etats Membres et, d’autre part, l’analyse coûts-bénéfices des actions potentielles de l’UE. Le niveau de gouvernance maximisant les bénéfices nets est le niveau de gouvernance le plus approprié pour l’intervention juridique, et par là même, passe le test général de conformité de la mesure avec le principe de subsidiarité. Par conséquent, on peut résumer la substance même du principe de subsidiarité en affirmant que ce principe, inscrit dans les Traités européens, contient une logique économique intrinsèque par ce double test décrit.

Grâce à l’instauration de ce double test, le principe de subsidiarité comprend, en son sein, le principe d’efficience économique et contribue ainsi, à travers sa généralisation, à la promotion de l’efficience économique d’ensemble157.

Dès lors, et en opposition aux critiques selon lesquelles il pourrait bloquer la concurrence institutionnelle (Kirchner 1997 : 80), l’Article 5.3 du TUE, et plus généralement le principe de subsidiarité, permet l’élaborer une analyse de l’efficience comparée, entre la concurrence régulatrice par la décentralisation et l’harmonisation juridique par la standardisation. Afin de mettre en place le principe de subsidiarité, on doit établir si un acte juridique donné passe le test d’efficience inhérent à l’Article 5.3 TUE. La dimension prescriptive du principe de subsidiarité (ou subsidiarité négative) énonce que l’autorité centrale est empêchée d’intervenir en absence d’efficience comparée pour une telle intervention. Aussi, une autre dimension du principe de subsidiarité touche à la dimension prescriptive de ce principe (ou subsidiarité positive), qui affirme que l’autorité centrale doit intervenir lorsque cette intervention est comparativement efficiente158.

157 Précisément, Pelkmans (2005 : 43) ajoute : « [T]he efficiency function of the EU is by far the most important one for application of

the subsidiarity principle ».

158 Voir, en ce sens, Endo (1994 : 2054) et Dehousse (1994 : 10) pour une discussion concernant la subsidiarité positive et négative.

En saisissant le principe de subsidiarité comme un principe économique, les juristes et décideurs politiques peuvent avoir de meilleures lignes de conduite quant à leur compréhension de ce principe, à première vue, abstrait. Ce principe peut et se doit d’être traduit en termes économiques pratiques et concrets159. Si le principe de subsidiarité peut difficilement être assimilé à

un principe juridique ordinaire, il ne saurait être un principe simplement politique : le principe de subsidiarité est un principe d’efficience qui a été interprété comme tel par la CJUE, comme nous le démontrons dès à présent160.

159 Oostlander affirme que la logique d’efficience, sous-jacente au principe de subsidiarité, ne doit pas être la seule logique de ce principe : une justification morale doit prévaloir la justification d’efficience. En effet, Oostlander affirme que « the first

mistake being made concerns the neglect of the moral contents of the concept. Many think that subsidiarity is only about the allocation of competence according to the criterion of efficiency […] Accepting the touchstone of efficiency only conceals the moral issue. For efficiency itself should have a purpose […] Political practice insufficiently acknowledges that subsidiarity is intimately linked with social personalism »

(Oostlander cité et traduit par Van Kersbergen et Verbeek, 1994 : 224) Oostlander défend ici une interprétation communément admise du principe de subsidiarité correspondant à la doctrine sociale de l’Eglise Catholique d’où ce principe est originaire. Ajouter une justification morale au principe de subsidiarité n’est pas éclairante pour une meilleure compréhension de la jurisprudence européenne, étant donné que la CJUE ne se réfère jamais à une justification morale dans les affaires touchant au principe de subsidiarité, comme nous allons le voir. De plus, cette approche moraliste affaiblit l’importance de la logique de l’efficience du principe de subsidiarité, alors même que c’est cette même logique (à la fois le principe et la jurisprudence correspondante) qui a permis d’être acceptée par tous les Etats Membres.

160 Il est important de préciser, à ce niveau de notre étude, que définir le principe de subsidiarité, ni comme un principe juridique, ni comme un principe politique, mais plutôt comme un principe économique comprenant l’efficience économique, ne doit pas conduire le lecteur à conclure que il peut aisément être défini relativement à ses conséquences. En effet, c’est précisément le contraire que nous avons voulu démontrer dans cette section du fait des effets économiques ambivalents du principe de subsidiarité (créant soit des gains soit des pertes d’efficience). Ainsi, il nous semble juste de rejoindre Blichner et Sangolt (1994 : 291-292) quand ces auteurs affirment que les tentatives de définir le principe de subsidiarité, en incluant « goals, choice of the best alternative and […] the expected effect of alternative actions [might be counter-productive] […] A serious effort to

3. Le principe de subsidiarité comme principe d’efficience

économique dans la jurisprudence européenne

Nous allons analyser, dans cette section, la jurisprudence concernant le principe de subsidiarité élaborée par la CJUE. Cette jurisprudence révèle que la Cour interprète ce principe très timidement en adoptant une position de justice déléguée. La jurisprudence européenne s’illustre par un contrôle juridictionnel de la subsidiarité entendue d’un point de vue procédural (a), tandis que le contrôle juridictionnel de la subsidiarité entendue d’un point de vue plus substantiel est caractérisé par la retenue (b). Ces deux approches seront analysées dans une perspective de l’efficience économique, au regard de ce qui aura été avancé précédemment sur l’imbrication naturelle de l’efficience dans la subsidiarité.

a. L’efficience du contrôle de pleine juridiction de la subsidiarité