• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1/ Le Principe de Subsidiarité comme Principe d’Efficience Economique

Le principe de subsidiarité – selon lequel une compétence dite partagée entre l’UE et les Etats Membres est exercée au niveau approprié de gouvernance le plus proche des citoyens – est un principe général de droit de l’UE dont la valeur a été largement discutée. La valeur juridique du principe de subsidiarité a été critiquée au nom de la valeur intrinsèquement politique qu’aurait ce principe. Cependant, cette approche ne permet pas d’apporter la nécessaire explication de l'importance qui est celle du principe de subsidiarité à la fois dans les Traités Européens et dans la jurisprudence européenne. Que renferme le principe de subsidiarité en son sein et quelle valeur ce principe pourrait-il se voir accorder ?

Nous démontrerons que le principe de subsidiarité se voit légitimé et expliqué d’une façon renouvelée dès lors que d’aucuns adoptent une approche économique pour l’étude de ce principe. Il sera avancé que le principe de subsidiarité incorpore intrinsèquement le principe d’efficience économique, voire se résume à ce dernier principe. Ainsi, non seulement l’image utilisée « subsidiarité comme efficience » permet de mieux rendre compte du droit de l’UE concernant la subsidiarité tel qu’inscrit dans les Traités Européens, mais surtout cette image éclaire l’observateur d’une meilleure compréhension de toute la jurisprudence européenne touchant au principe de subsidiarité.

Nous aborderons ce chapitre par une discussion tenant aux notions essentielles du principe européen de subsidiarité (1), avant de d’expliciter la rationalité économique inhérente au principe de subsidiarité (2). Alors, notre propos s’orientera davantage sur l’analyse jurisprudentielle proprement dite où il sera aisément souligné que le principe de subsidiarité, comme interprété par la CJUE, s’articule exclusivement autour du principe d’efficience économique (3), faisant de la jurisprudence européenne sur le principe de subsidiarité un corpus juridique économiquement rationnel où le principe d’efficience économique se voit promu par le biais du principe de subsidiarité (4).

1. Introduction

Le principe de subsidiarité est l’un de ces principes récents et controversés de l’UE. Suscitant un grand intérêt à la fois au sein du monde académique et dans la presse, le principe de subsidiarité est toutefois d’origine ancienne car emprunté à la fois à la philosophie grecque, aux écrits de Saint Thomas d’Aquin, aux corporations allemandes du XVIIème siècle et surtout à la doctrine sociale de l’Eglise Catholique120 (Estella 2005 : 76). Le principe de subsidiarité se réfère à

la notion de gouvernance à plusieurs niveaux (multi-level governance)121 dans un vocabulaire de

politistes, ou de concurrence régulatrice (regulatory competition)122 dans un vocabulaire de juristes. La

120 Voir plus généralement, Million-Delsol (1992) et Clergerie (1997).

121 Pour une approche générale de la gouvernance multi-niveaux, voir Hooghe et Marks (2001).

122 A noter que le principe de subsidiarité, poussé à son extrême, est la régulation privée, autrement dit la plus grande des subsidiarités est la décentralisation au niveau privé de régulation. Cette remise en cause par la subsidiarité de la régulation publique au bénéfice d’une auto-régulation du marché est ce que MacCormick (1997 : 350) appelle « la subsidiarité par le

dimension humaniste du principe de subsidiarité tient principalement à la protection de la dignité humaine et à la protection de la diversité politique grâce à ce principe de subsidiarité qui est dit être « structural principle of international human rights law » (Carozza 2003 : 40).

Le principe de subsidiarité fonctionne comme un principe opérant dans deux directions à la fois (« le caractère bidirectionnel » du principe de subsidiarité, voir Alberti et al. 2005 : 103). En effet, le principe de subsidiarité peut justifier davantage de centralisation car sa définition comprend la notion de niveau de gouvernance le plus adéquat pour entreprendre les activités envisagées, un niveau de gouvernance qui peut légitimement être le niveau supranational ou fédéral (Leanerts et Ypersele 1994). D’autre part, le principe de subsidiarité peut justifier des choix anti- intégrationnistes où la décentralisation est préservée ou renforcée, alors les échelons nationaux et/ou locaux sont présumés être les niveaux de gouvernance les plus appropriés123. Néanmoins,

comme le sens commun du principe de subsidiarité l’entend, nous utiliserons le principe de subsidiarité comme synonyme de la décentralisation au sein de l’UE, que cette décentralisation soit nationale ou régionale124.

Le principe de subsidiarité est un principe gouvernant le caractère approprié des interventions européennes seulement dans le domaine des compétences partagées, comme décrit

marché » (market subsidiarity), par opposition à la « subsidarité législative rationnelle » (rational legislative subsidiarity, 1997 : 352).

123 Voir De Burca (2000 : 15-20). Le principe de subsidiarité ne s’applique pas aux décisions de la CJUE elles-mêmes mais seulement à la législation européenne. Dès lors, la crédibilité de la CJUE ne semble pas entamée avec l’introduction du principe de subsidiarité dans le corpus juridique européen. Jacques Delors affirmait ainsi, en ce qui concerne cette crédibilité de la CJUE, que « subsidiarity is unfortunately a principle which one applies to others and not to oneself » (Delors 1991 : 10).

124 Voir le Préambule du Protocole N°2 sur l’Application des Principes de Subsidiarité et de Proportionalité annexé au Traité de Lisbonne qui adopte cette conception décentralisatrice du principe de subsidiarité.

par les Traités européens125. Ce principe ne dit pas, comme il a pu être erronément avancé126, si

l’UE est compétente ou pas pour agir dans le cadre d’une politique particulière. Il n’est jamais approprié pour l’UE d’agir quand celle-ci ne dispose pas de compétence, alors qu’il n’est pas toujours approprié pour l’UE d’agir quand bien même celle-ci disposerait de compétence partagée dans le domaine d’intervention. Toutefois, lorsque que l’UE dispose d’une compétence partagée pour intervenir dans un domaine, l’UE ne peut agir qu’à la condition de respecter le principe de subsidiarité. Lorsque que l’UE ne dispose pas d’une compétence pour intervenir dans un domaine, elle doit systématiquement s’abstenir à agir dans ce domaine sous peine d’illégalité des actions entreprises.

Inscrit dès le Traité de Maastricht127 au droit primaire européen (et réaffirmé avec le Traité

de Lisbonne), le principe de subsidiarité a principalement été conçu pour répondre à l’inquiétude qu’a pu susciter la généralisation du vote à la majorité au sein du Conseil dès l’Acte Unique Européen de 1986128. Le principe de subsidiarité est inscrit dans le droit positif à l’Article 5.3 du

125 Titre 1 de la Partie 1 du TFUE. Le principe de subisidarité s’applique à tous les domaines de compétences de l’UE à l’exception des compétences exclusives, précisément (i) l’union douanière, (ii) la politique de concurrence, (iii) la politique monétaire de la zone Euro, (iv) la politique commune de la pêche, (iv) la politique commerciale commune.

126 La littérature concernant le principe de subsidiarité est abondante. Pour quelques exemples d’écrits concernant le principe européen de subsidiarité, voir Schafer (1991), qui le décrit comme étant « basically an empty shell devoid of concrete substance » ; Cass (1992) critique ce principe d’un point de vue plus optimiste ; Emiliou (1992) ; Toth (1992) ; Van Kersbergen et Verbeek (1994) ; Constantinesco (1992) ; Gonzalez (1995) ; Bermann (1994a).

127 Article 3b. Le principe de subsidiarité a été incorporé au Protocole N°30 du Traité d'Amsterdam de 1996.

128 La première référence communautaire à la subsidiarité fut en 1975. Voir Commission, Rapport sur les Communautés

Européennes, 8 EC Bulletin, n°6 (1975). Le principe de subsidiarité, bien qu’il est été officiellement proclamé dans les Traités

européens, peut être retracé avant 1992 avec, entre autres, la notion même de directive qui laisse aux Etats Membres le choix de la forme et des méthodes de transposition ou encore avec la nouvelle approche d’harmonisation de 1985 (Bermann 1994). Les négociations politiques qui précédèrent la consécration du principe de subsidiarité dans le droit furent cruciales car ce

TUE aux côtés du principe de proportionnalité, faisant de ces deux principes généraux de droit européen des principes de gouvernance européenne. L’UE aborde ces deux principes sous le même Article et sous le même Protocole, Protocole N°2 sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité129. Tous deux participent à l’encadrement de l’exercice des

compétences européennes.

Bien que présent dans les Traités Européens, le principe de subsidiarité n’y est jamais défini clairement. En effet, la disposition touchant au plus près le principe de subsidiarité, l’Article 5.3 du TUE, y est seulement référé pour expliquer les conditions requises afin que le principe de subsidiarité devienne opérant sans que, cependant, une définition in abstracto soit présente du principe de subsidiarité. Ainsi, une telle définition fait défaut dans les Traités européens.

Tandis que le principe de subsidiarité a été incorporé dans le droit primaire européen, et qu’ainsi il a une « juridicité » devant la Cour130, il peut difficilement être considéré comme un principe

principe émergea comme compromis entre les puissants Etats Membres. En effet, Van Kersbergen et Verbeek (1994 : 220) affirment que « subsidiarity has primarily served to reconcile the conflicting interests of principal actors affected by the consequences of the

common market: the United Kingdom, Germany, and the European Commission. The United Kingdom feared that the completion of the European market would slowly eat away portions of national sovereignty. The German federal government, as well as the European Commission, had met strong resistance from the German Länder, who feared that the completion of the Internal Market, based on the negotiations between Bonn and Brussels, would actually lead to the shrinking of their regional competences. The European Commission, of course, was predominantly interested in playing down the impression that the “1992 programme” would lead to ever growing power-wielding by Brussels ».

129 Ce Protocole trouve son origine dans les Conclusions du Conseil Européen d’Edinbourg de 1992 ; Accord Inter- institutionnel concernant les procédures pour la mise en place du principe de subsidiarité, ([1993] O.J.C 329/132).

130 Article 8 du Protocole N°2 du Traité de Lisbonne. Le Parlement Européen s’est prononcé en faveur de la juridicité devant la Cour du principe de subsidiarité : European Parliament Committee on Institutional Affairs, Report on the Principle of Subsidiarity, A3- 267/90. Par ailleurs, l’ancien Président de la Cour Lord Mackenzie-Stuart est opposé à la juridicité du principe de subsidiarité (cité dans Bermann 1994).

juridique à part entière. Il sera démontré que l’imprécision juridique caractéristique du principe de subsidiarité est principalement due à l’ambivalence des conséquences économiques de ce principe. La valeur juridique controversable et controversée du principe de subsidiarité se résume à la complexité de prédire sans ambiguïté l’économie inhérente du principe de subsidiarité131. En effet,

il sera avancé que le principe de subsidiarité suppose des conséquences tenant à l’efficience diverse, soit des gains d’efficience, soit des pertes d’efficience132. Il ne saurait y avoir une prétention de

connaître ex ante les conséquences économiques de davantage de subsidiarité ou de davantage de centralisation pour une politique particulière. Ainsi, parce que les effets économiques sont largement inconnus ex ante, seule une approche casuistique permet de définir le principe de subsidiarité. En d’autres termes, le principe de subsidiarité n’est pas neutre vis-à-vis du principe d’efficience économique, ce second principe permettant précisément de mieux appréhender le premier principe.

Il convient désormais d’aborder l’image que nous proposons de « subsidiarité comme efficience » afin de préciser les conséquences économiques complexes, mais bien réelles, du principe de subsidiarité en vue de souligner sa rationalité d’efficience.

131 D’un point de vue plus politique, Bermann (1994a : 340-344) détaille les vertus politiques attachées au principe de subsidiarité, dont l’auteur distingue les suivantes: l’auto-détermination et la redevabilité, la liberté politique, la flexibilité, la préservation des identités locales, la diversité et le respect des divisions internes des Etats non-unitaires.

132 Davies (2005) fait référence à cette notion sans néanmoins davantage de précisions quand il affime que « subsidiarity thus

offers the choice between centraliation and co-option. This choice may have efficiency implications which could lead in either direction ». Plus

généralement, cet auteur prône pour une meilleure compréhension du principe de subsidiarité par une étude plus précise que ce qui est actuellement proposé par la doctrine.

2. Le principe de subsidiarité comme principe d’efficience

économique

L’étude du principe de subsidiarité par le principe d’efficience économique permet de mieux apprécier son contenu et sa portée. Ainsi, l’apport d’une étude économique du principe de subsidiarité peut être mis en opposition par rapport à des études juridiques ou politiques dans lesquelles seule l’opacité et non la rationalité de ce principe est soulignée. La théorie économique offre des pistes de réflexions intéressantes pour l’analyse des relations qu’entretiennent les principes de subsidiarité et d’efficience économique entre eux.

Nous affirmerons que le principe de subsidiarité est simplement un principe de gouvernance133 impliquant en son sein le principe d’efficience économique. Alors que le principe

de subsidiarité comporte des conséquences en termes de gains et de pertes d’efficience (a), les Traités européens établissent un test d’efficience comparée afin d’appliquer le principe européen de subsidiarité, entremêlant ainsi les deux principes de telle sorte que le principe de subsidiarité est précisé et souhaitable par le biais du principe d’efficience économique (b).