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b L’analyse économique du droit

L’analyse économique du droit dans son acception contemporaine a émergé en 1958 avec le premier numéro du Journal of Law and Economics, et avec la publication dans les années 60 des articles fondateurs qu’ont été l’article de Coase (1960) et de Calabresi et Melamed (1961)68.

L’approche « moderne » de l’analyse économique du droit (l’approche comparable précédente s’étend des Physiocrates, d’Adam Smith jusqu’à l’école Autrichienne avec notamment Von Mises et Hayek)69 appartient au positivisme juridique (encore, par opposition à la doctrine du droit

naturel). L’analyse économique du droit a pu émerger grâce à l’évolution au sein de la philosophie

68 Notre propos n’est pas ici de faire un historique de ce courant qu’est l’analyse économique du droit. Toutefois, pour une explication étoffée de la naissance et le développement de l’analyse économique du droit, nous renvoyons seulement à l’étude historique de Mackaay écrite pour l’ « Encyclopedia of Law and Economics », disponible à : http://encyclo.findlaw.com/0200book.pdf

69 Par exemple, la théorie du juste prix développé par l’école de Salamanque avec notamment Molina (1596) De iustitia et iure. Cette théorie du juste prix enfanta à la fois des juristes tels que Grotius et Pufendorf, et des économistes tels que Adam Smith. Sur ce point, voir Mattei (1997 : 41).

du droit opéré par les courants juridiques précités tels que Libre Recherche Scientifique et le Legal Realism.

La logique commune à cette évolution est l’intention d’objectiver le droit par une compréhension démystifiée et améliorée du droit (Ostas 1998 : 196). De tous temps, les juristes ont essayé de rendre leur jugement concernant le droit le plus neutre possible, précédemment au moyen de la philosophie du droit, aujourd’hui principalement au moyen des sciences économiques70. Dans cette perspective, l’analyse économique du droit est l’étape supplémentaire

dans une plus grande rationalisation du droit en tant que discipline non-autonome des sciences sociales.

L’analyse économique du droit est devenue le nouveau et (quasi) dominant paradigme du droit, un paradigme qui renforce la volonté d’étudier le droit à partir de la rationalité scientifique plutôt que par l’exégèse (c’est-à-dire l'étude des sources du droit). L’analyse économique du droit (law and economics) est originaire des Etats-Unis, sans pour autant que l’Europe n'ait été insensible à cette approche, encore que les Européens n’ont malheureusement pas (encore) développé une école européenne pouvant se différencier de l’approche américaine de l’analyse économique du droit71.

L’analyse économique du droit utilise les outils développés par les sciences économiques pour approcher le droit. Cette approche explique et critique le droit en termes économiques, c’est-

70 Pour un argument similaire, voir Mattei (1997 : 25).

71 La réception en Europe de l’analyse économique du droit n’a pas pour autant débouché sur l’émergence d’un style européen dans l’analyse économique du droit. En effet, Mattei affirme que « European scholars have not yet been able so far to

develop a European style of law and economics that can compete in quality with the American one. As previously mentioned, the reason for this shortcoming can be detected in the lack of comparative skills » (Mattei 1997 : 90). En cela, notre étude entend prendre en

à-dire principalement en étudiant les coûts sociaux induits par les différentes règles juridiques. La forme actuelle de l’analyse économique du droit a cette particularité d’appréhender tout domaine du droit non seulement le droit des affaires ou le droit économique) à travers le prisme des sciences économiques, précisément, le droit des contrats, le droit de propriété, le droit de la responsabilité, le droit de l’environnement, le droit de la famille, le droit international, etc. De façon générale, les économistes du droit cherchent à minimiser dans leurs recherches les coûts sociaux (et donc maximiser la richesse sociale) en imitant le marché qui aurait pu prendre place si les coûts de transactions n’avaient pas été prohibitifs (approche normative). L’analyse économique du droit permet également d’avoir une meilleure compréhension des règles juridiques édictées et les enjeux que celles-ci impliquent d’un point de vue économique (approche positive). La distinction entre l’approche positive et l’approche normative au sein même de l’analyse économique du droit constitue la base pour une appréhension par l'efficience économique du droit, comme Mattei affirma :

« Efficiency would still be a good, prestigious technique of argument until the challenges to the distinction between the is and the ought succeeded in making economics lose its leadership among the

social sciences, which seems unlikely to happen in near future » (Mattei 1997 : 11).

Dans le cadre de ce mouvement académique qu’est l’analyse économique du droit, le principe d’efficience économique constitue l’idée centrale (Coleman 1980 : 222). L’utilisation de l’analyse économique fournit à ceux participant à l’élaboration du droit un éclairage sur les différents coûts sociaux impliqués par les différentes alternatives juridiques. Chaque fois que le droit concerne des sujets touchant à l’allocation efficiente des ressources, alors l’analyse économique du droit a une expertise pertinente à apporter à la question soulevée.

L’analyse économique du droit dans son acception principale (mainstream law and economics) – dans laquelle nous nous situons – considère les individus comme étant rationnels. Ceci signifie que les individus maximisent leurs utilités, le bonheur et tout autre élément qu’ils valorisent, par chacun des choix qu’ils opèrent72. Nous comprenons la rationalité humaine comme les choix appropriés

faits par les individus concernant les moyens considérant les fins désirées et établies par ces mêmes individus, les intérêts sont ainsi maximisés73. La rationalité ne signifie pas, selon nous, l’égoïsme.

En effet, l’altruisme peut parfaitement être justifié d’un point de vue rationnel : l’accroissement de l’utilité d’un individu est souvent fonction de l’accroissement de l’utilité d’autres individus.

Par conséquence, nous affirmons à l’instar de Schäefer et Ott (2004 : 53) que « rationality is simply the axiomatization of maximizing behaviour ». Ainsi, la rationalité humaine est ici comprise de manière générale, avec des traits subtils qu’un observateur extérieur peut difficilement, la rationalité humaine suppose que les individus soient si complexes qu’ils sont vus par l’aphorisme de la « black box ». Le concept de rationalité biaisée (« bounded rationality »)74 est une notion ignorant les coûts de

transactions extrêmement importants, et plus particulièrement les coûts informationnels. Ces coûts limitent le nombre de choix disponibles pour les individus qui, du fait de contraintes cognitives et

72 Bentham considère que la Nature a placé l’humanité sous deux affects – la souffrance (« pain ») et le plaisir (« pleasure ») pour lesquels les hommes déterminent eurs choix selon un calcul inconscient entre la souffrance et le plaisir. Et Posner de rajouter : « Another name for pain, as I have said, is cost ; and for pleasure, benefit ; so Bentham is claiming that people, all the time, in all

their activities, base their actions (and words, and thoughts) on cost-benefit analysis » (Posner 2001 : 55).

73 La rationalité suppose la transitivité (c’est-à-dire une personne préférant la situation a à b et la situation b à c, préfère a à c) ; la réflexivité (c’est-à-dire toute situation préférée est aussi désirée qu’une situation équivalente) ; la complétude (c’est-à-dire une personne établit des priorités entre les différentes alternatives connues et choisit la plus préférable) ; l’indépendance (c’est- à-dire a est préféré à b que l’on introduise une troisième alternative ou pas).

74 Voir notamment le courant de la « Behavioural Law and Economics » (ou approche comportementale de l’analyse économique du droit) dont l’article de Jolls et al. (1998) en est le fondement.

du fait de coûts informationnels importants lors des actions des individus, empêchent les individus de faire des choix dits «rationnels» selon tout observateur extérieur. Mais, cette rationalité supposée de l’observateur extérieur, à l’opposé de l’irrationalité supposée de l’agent, ignore la réalité qui est que l’observateur extérieur juge avec davantage d’informations, davantage de temps, a posteriori comparé au jugement a priori et immédiat de l’agent. Ainsi, l’irrationalité de l’agent n’est autre qu’une rationalité dans le temps de l’action de l’agent. En bref, rationalité ne signifie pas non plus omniscience75. Ainsi, la rationalité humaine est largement acceptée – bien qu’également contestée –

comme supposition sous-jacente à l’analyse économique du droit. Notre étude se focalisera sur le versant positif de l’analyse économique comparée des jurisprudences76, encore que le versant

normatif soit possiblement apprécié comme déduction de notre étude empirique, ce que Rubin (2007 : 668) appelle l’analyse micro-économique de l’efficience juridique (« the "micro" argument for legal efficiency »).

Une étude de toute jurisprudence et du raisonnement judiciaire soulève la question suivante : qu’est-ce que les juges maximisent ? Cette question a été explicitement posée par Posner (1993 ; 2008). Les juges ne maximisent pas leurs pouvoirs personnels de la même manière que d’autres décideurs peuvent le faire. Au lieu de cela, les juges maximisent principalement leur

75 Bien sûr, les individus ne sont pas, comme le prétend la critique du modèle de la rationalité des comportements humains, hyper-rationnels dans le sens où ils seraient froidement calculateurs, égoïstes, disposant de toutes les informations qui seraient analysées sans coûts (voir Posner 2001 : 256-263). Mais si les individus ne sont pas hyper-rationnels, ils ne sont pas pour autant hypo-rationnels, leur rationalité comprend seulement les limites informationnelles, cognitives, les émotions inhérentes à la vie sociale.

76 L’analyse positive sera fidèle donc à l’analyse économique du droit au sens strict en ce que cette approche est la moins controversée, tandis que l’analyse normative se rapprochera du pragmatisme juridique. Voir Posner (2001 : 95-144) qui recommande une analyse économique normative du droit empreinte de pragmatisme juridique comme nouveau paradigme dans le mouvement académique de l’analyse économique du droit.

prestige par le biais de la maximisation de leur utilité. Cette utilité comprend des éléments tels que « money income, leisure, power, prestige, reputation, self-respect, the intrinsic pleasure (challenge, stimulation) of the work, and the other satisfactions that people seek in a job » (Posner 2008 : 36).

Les juges ne sont pas seulement mûs par leurs positions politiques, encore que les décisions judiciaires soient nécessairement connotées politiquement. La vision attitudinale du raisonnement judiciaire consiste à affirmer que les juges sont biaisés idéologiquement et tranchent les affaires selon leurs croyances politiques77. Les contraintes juridiques, selon le point de vue

attitudinal, sont soit très faibles, soit totalement absentes étant donné que les décisions judiciaires sont en conformité avec les croyances idéologiques des juges délibérants78.

Nous n’adhérons pas entièrement à l’explication attitudinale de l’élaboration de la décision judiciaire79, bien que nous reconnaissons l’importance de considérations politiques (conscientes ou

non) dans les décisions judiciaires. Ainsi, la vision attitudinale doit être nuancée, complétée plutôt que contredite par notre approche : les juges font des choix politiques lorsque ceux-ci décident d’affaires car les choix juridiques sont nécessairement entremêlés avec des choix politiques, mais

77 Voir notamment, pour le système fédéral américain, Pinello (1999).

78 Voir Segal et Spaeth (2002) qui revendiquent pouvoir prédire plus de 70% des décisions des juges de la Cour Suprême lorsque les idéologies des juges est prise en considération. Pour une critique de l’importance du modèle attitudinal, voir Gillman (2001).

79 La politisation des décisions judiciaires dans le système judiciaire fédéral américain est exacerbée par la nomination (politisée) des juges et la possibilité d’opinions dissidentes dans lesquelles les juges révèlent leurs idéologies : voir Epstein et Segal (2005). Cette caractéristique du système fédéral américain ne se retrouve évidemment pas dans le système judiciaire européen du fait du consensualisme des nominations, de l’absence d’auditions préalables, de l’absence de partis réellement européens pour lesquels les juges seraient affiliés, et du fait de l’impossibilité d’opinions dissidentes dans les jugements. Ainsi, si la conception attitudinale est éclairante bien qu’à nuancer du côté américain, cette conception-là n’est quasiment d’aucune utilité pour déchiffrer la jurisprudence européenne.

ceci ne veut pas pour autant dire que les juges décident politiquement en accord avec la ligne de partis politiques.

3. De l’utilitarisme Benthamien à l’utilitarisme Posnérien

a. Le critère de la maximisation de l’utilité ou l’utilitarisme