• Aucun résultat trouvé

Chapitre III Méthode

3. Portrait du vécu de Marie

L’analyse de l’entrevue effectuée avec Marie, enseignante d’expérience en musique au primaire, a fait émerger 11 regroupements de thèmes constituant les dimensions expérientielles de son

vécu. Comme mentionné aux présentations des résultats de Simon et Laurence, les regroupements seront présentés selon une logique partant de l’expérience vécue comme intérieure (ex. : émotions, impacts sur soi) vers ce que Marie exprime par ses comportements et ses actions. Une vision globale des regroupements conclura cette présentation. Rappelons que les regroupements de thèmes se veulent une représentation la plus fidèle possible des dimensions expérientielles de trois expériences vécues (cas 7, 8 et 9) de l’enseignement de la musique aux élèves présentant des besoins particuliers en classe ordinaire par Marie. L’Annexe K offre une synthèse graphique des dimensions expérientielles présentées ci-dessous.

Elle ressent des émotions désagréables. Ce regroupement réfère à des émotions désagréables, plus ou moins récurrentes et/ou temporaires, ressenties et exprimées principalement sous forme de colère, de tristesse et de déception : « Ben…, tsé? L’intégration là, j’ai ben[accent] d’la misère. Beaucoup d’misère26 », « sss’t’épouvantable », « cé triste là », « tu peux pas toutes les r’tenir, dommage ». L’impuissance semble également teinter assez fortement le vécu de Marie qui ne se sent « pas à la hauteur ». L’inquiétude, le regret et le découragement parsèment également l’expérience vécue.

Elle ressent des émotions agréables. Ce regroupement réfère à des émotions agréables ressenties et exprimées principalement sous forme de compassion et d’empathie : « ça m’touche », « ça m’interpelle beaucoup », « moi j’te dis ça pis, [rire – larmes aux yeux] j’ai ben d’l’émotion là ». Le vécu semble également teinté du sentiment de contrôle et de satisfaction. Le plaisir, l’amusement, la fierté et la tendresse se rencontrent de façon plutôt sporadique chez Marie.

Elle écope d’impacts pénibles sur soi. Il s’agit de conséquences physiques (épuisement, fatigue) et psychologiques (pensées désagréables, conflits internes, stress, échecs, abandon) pénibles provoquées par divers éléments de l’expérience vécue. Le vécu difficile et le désaccord semblent des impacts particulièrement présents et persistants chez Marie : « c’tait vraiment vraiment l’enfer », « j’trouve pas ça correct, j’trouve vraiment pas ça correct ».

Elle évoque des caractéristiques de sa personne. Il s’agit ici d’un regard que porte Marie sur elle-même, sans référer à un portrait complètement intégré, lors du premier récit et référant à quelques

éléments de connaissance de soi touchant des devoirs, rôles, qualités et capacités, dont la capacité à « t’nir les cordeaux » d’un groupe.

Elle fait face au rappel de souvenirs et d’évènements anticipés. Il s’agit ici de souvenirs et d’anticipations principalement désagréables qui semblent être en lien ou même provoqués par le vécu de Marie qui se projette dans le passé et dans le futur. Les souvenirs concernent des expériences de l’enfance, d’enseignement et des discussions. L’anticipation concerne plutôt de futures expériences d’enseignement. L’objet des souvenirs est parfois elle-même, parfois des collègues qui ont « vécu plein de frustration » et parfois un parent ou un élève. Certains souvenirs l’ont « troublée terriblement » et l’amènent à dire que « la réalité dépasse la fiction ».

Elle se réfère à sa vision de la musique et de l’éducation musicale. Ce regroupement dépeint certains aspects de la conception de la musique et de l’éducation musicale qui semblent être des convictions profondément enracinées chez Marie. Ainsi, la musique est « quas’ment psychothérapeutique », un « refuge », et « peut sauver des vies ». Ces éléments colorent fortement le discours dans son ensemble, que ce soit par des segments explicites, des allusions ponctuelles ou dans la façon globale d’être et d’agir de Marie.

Elle agit selon ses convictions. Ce regroupement englobe des valeurs, principes, croyances, buts et opinions émergeant du récit de Marie et semblant avoir une influence certaine sur ses réflexions, ses réactions et surtout sur ses actions de par leur importance à ses yeux. L’aide (« j’dis : bon quel truc, que j’peux utiliser pour ramasser l’plus de monde possible pour pas qu’j’en oublie un ou deux »), la relation (« j’ai établi un beau lien avant tout avec lui »), la compréhension, l’ajustement (« j’évalue au fur et à mesure les choses, j’évalue le le… les situations en contexte, je m’ajuste ») et la volonté de faire aimer la musique (« c’est pas normal d’am’ner des humains à détester la musique ») semblent des convictions particulièrement centrales et perceptibles dans le discours verbal et non verbal de Marie.

Elle pose des actions en classe et hors classe. Ce regroupement réfère principalement à des actions posées en classe pour aider à comprendre et gérer les comportements des élèves (« quel truc, là vite vite », « c’t’un truc que j’ai trouvé qui t’aide »), ainsi que les résultats de ces actions, qui, pour la plupart, « porte[nt] fruit ». Ce regroupement touche également l’évaluation d’actions posées par Marie (mention d’échec) ainsi que d’actions posées hors classe, soit la recherche de solutions et d’informations.

Elle décrit la situation à partir de caractéristiques attribuées à l’élève ayant des besoins particuliers. Ce regroupement réfère à la représentation des trois élèves ayant des besoins particuliers présents au cœur des trois récits de vie. Ces portraits sont entremêlés de plusieurs caractéristiques désagréables et/ou nuisibles pour soi ou pour l’élève (attitude, estime, comportements, problématiques, difficultés, troubles, incapacités, impact de l’élève, échec). Le langage de Marie devient très imagé lorsqu’elle évoque les élèves (« tit robot », « clown », « p’tit pit »), certains comportements (« boque/rigide/trop pogné/pétait sa coche/sautait », « ça tilte, ça tilte dans sa tête ») et leur relation à la musique : « c’est comme si y’ont des bobos et qu’tu vas jouer d’dans ». Marie évoque également quelques caractéristiques agréables et/ou positives de l’élève (comportements, qualités, progrès, réussites, sentiments agréables, relation) : « pas du tout méchant pis rebelle », « sympathique », « y travaillait fort », « y s’en est sorti », « ah! là y’était content ».

Ce portrait comporte également des facteurs tels le niveau scolaire, le physique, la fratrie et les besoins des élèves permettant à Marie de justifier principalement les comportements perturbateurs, les attitudes désagréables et les difficultés des élèves. La forme interrogative est utilisée fréquemment par Marie pour référer à ces facteurs : « ya ti passé la nuit sur la corde à linge? » « coudonc t’as-tu bu trois cafés avant d’t’en v'nir? ». La justification du choix de ces élèves fait également partie de chaque portrait : ce sont tous des « cas majeurs ».

Elle critique l’environnement scolaire. Ce regroupement touche plusieurs éléments se retrouvant dans l’environnement scolaire et ayant un rôle certain dans l’expérience vécue de Marie qui émet une opinion critique et met de l’avant certaines problématiques vécues concernant : la formation (« y faut l’dév’lopper sur le tas »), le soutien aux enseignants, les modalités de placement des élèves (« l’intégration là, j’ai ben[accent] d’la misère »), le nombre d’élèves, le nombre de besoins particuliers (« si on veut équilibrer son enseig’ment euuh, standardiser ou quoi qu’ce soit, on peut pas »), le temps, l’absence (« deux heures cycle… si l’jeune est malade un bout d’temps ou une fille ou si toi t’es pas là pendant un mois ou deux [C : unhun], y perd le fil »), les comportements (« y’a bousillé mon cours »), l’intérêt et la diversité (« leur profil les met en situation d’échec dans une classe régulière »). Marie expose également certains besoins, dont le besoin de soutien. Quelques éléments positifs touchant l’information et les élèves, semblent parsemer son vécu.

Elle se réfère au rôle de l’environnement social. Ce regroupement met en lumière quelques sphères sociales ayant un impact plus ou moins direct sur Marie et sur les élèves au cœur des

expériences vécues, soit les contextes socio-économique, culturel, familial et technologique : « ouh! on ‘n entendait d’tou’ ‘es couleurs... ». Marie semble accorder un poids certain au milieu familial dans son influence autant positive que négative sur les élèves : « ça vient jouer là », « à part à moins zéro là ».

Synthèse des 11 regroupements constituant les dimensions expérientielles du vécu de Marie. L’expérience vécue de Marie en est une d’impuissance et de lassitude. Malgré son empathie, sa compassion, une vision forte des bienfaits que peut procurer la musique et de nombreuses actions posées en adéquation avec ses convictions et son désir d’aider les élèves ayant des besoins particuliers, Marie ressent un mélange d’émotions désagréables et écope d’impacts pénibles sur soi, ayant conduit à du découragement (lassitude/impuissance) au fil du temps. Sa réflexion sur son vécu se fait principalement par une description de la situation à partir de caractéristiques attribuées à l’élève ayant des besoins particuliers (cas), auquel elle réfère généralement avec affection ou compassion, malgré le caractère désagréable et/ou nuisible de la plupart des comportements exposés. Les situations sont également comparées ou mises en relation avec des souvenirs ou des évènements anticipés. Sa réflexion devient critique lorsqu’elle se reporte à certains aspects de l’environnement scolaire perçus comme étant problématiques. Marie réfère également au rôle de l’environnement social, perçu comme ayant un pouvoir d’influence autant positif que négatif sur les élèves et sur elle-même. Le ton, les silences et les soupirs de Marie semblent exprimer ce qui n’a pourtant été dit qu’une seule fois : « j’me sens pas à la hauteur de répondre à ces enfants-là, pis j’trouve ça ben triste ».