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Chapitre III Méthode

2. Portrait du vécu de Laurence

L’analyse de l’entrevue effectuée avec Laurence, jeune enseignante en musique ayant commencé sa carrière au secondaire pour ensuite bifurquer au primaire, a fait émerger 11 regroupements de thèmes constituant les dimensions expérientielles de son vécu. Comme mentionné dans la présentation des résultats de Simon, les regroupements seront présentés selon une logique partant de l’expérience vécue comme intérieure (ex. : émotions, impacts sur soi) vers ce que Laurence exprime par ses comportements et ses actions. Une vision globale des regroupements conclura cette présentation. Rappelons que les regroupements de thèmes se veulent une représentation la plus fidèle possible des dimensions expérientielles de trois expériences vécues (cas 4, 5 et 6) de l’enseignement de la musique aux élèves présentant des besoins particuliers en classe ordinaire par Laurence. L’Annexe K offre une synthèse graphique des dimensions expérientielles présentées ci-dessous.

Elle ressent des émotions désagréables. Ce regroupement réfère à des émotions désagréables, plus ou moins récurrentes et/ou temporaires, provoquées par l’expérience et par certaines conditions environnementales. L’émotion ressentie et exprimée sous forme de colère semble prédominer, suivie de près par l’impuissance et la déception : « ça m’fait pogner les nerfs/ça m’fâche25 », « j’savais pas tsé! », « j’me suis comme retrouvée un peu à bout de ressource là », « j’tais plutôt impuissante aussi un moment donné », « j’trouve ça poche ». Le regret, la culpabilité, le découragement, la rancœur, l’indignation, l’oppression et la surprise teintent également le vécu de Laurence.

Elle ressent des émotions agréables. Ce regroupement réfère à des émotions agréables ressenties et/ou exprimées dans deux des trois récits (cas 4 et 5). Quoiqu’étant étroitement entremêlés, la joie, le plaisir et l’affection semblent envelopper les deux expériences : « j’aime ça », « ça m’allume plus que ça m’fait peur », « c’t’un élève que j’apprécie beaucoup », « c’t’un tit coup d’cœur ». La

compassion, l’empathie, la fierté, le contentement, et la surprise colorent également, ici et là, le vécu de Laurence dans ces deux récits.

Elle écope d’impacts pénibles sur soi. Il s’agit ici de pensées (doute : « coup donc, qu’est-ce que j’ai fait de pas correct? »), de réactions (réaction émotive, perte de contrôle, stress : « ya une tension qui embarque… qui fait peut-êtr’ monter une certaine escalade ») et de conséquences pénibles générées globalement par l’expérience et affectant négativement, de façon plus ou moins prolongée, le vécu de Laurence (vécu difficile, échec, abandon : « ça vient très difficile », « j’ai pas réussi mon défi », « …j’voyais p’t-êt’ ça plus comme un échec [toc]. [C : Un échec…?] Personnel là, par rapport à l’intervention de Zac. [C : Ok, faique, toi-même…?] Que j’tais pas bonne là! [C : ok] J’pouvais me trouver pas bonne là. », « J’ai appris, à lâcher prise [s’exclaffe/rire nerveux] [C : ok]. C’est plate là. »).

Elle évoque des caractéristiques de sa personne. Il s’agit ici d’un regard que porte Laurence sur elle-même, sans référer à un portrait complètement intégré. Elle met en relief des qualités, des traits de personnalité, des façons d’agir et des défauts perçus. Ces éléments de connaissance de soi semblent illustrer une vision assez positive d’elle-même : « j’ai beaucoup d’intérêt », « ça me stimule », « j’très prime », « j’reste pas le mord aux dents »,« j’ai plutôt un œil euh assez aiguisé là-dessus », « j’ai quand même euh, une bonne expertise », « marchent au pas mes élèves! [rires] ».

Elle fait face à l’évocation d’expériences antérieures. Ce regroupement réfère à diverses expériences issues d’un passé lointain ou rapproché, touchant de près ou de loin Laurence et qui s’apparentent à des souvenirs déclenchés par l’expérience racontée. Laurence réfère à ses propres expériences d’enseignement (incluant divers collègues, élèves et parents), à des expériences et discussions de collègues et à un témoignage externe au contexte scolaire.

Elle agit selon ses convictions. Ce regroupement réfère à ce qui a de l’importance aux yeux de Laurence (valeurs, principes, croyances, buts) et qui influence autant ses réflexions que ses réactions, mais qui est particulièrement palpable dans ses actions. Bien qu’ayant toutes un poids relatif dans le vécu de l’expérience, les relations interpersonnelles (« la relation pour moi c’est la première chose »), l’aide (« j’fais pas ça souvent, mais j’trouvais que pour c’te cas-là, ça valait la peine »), l’investissement personnel (« j’ai établi ça sur un an là euh, pis m-, pis j’ai récolté aussi durant l’année pis l’année suivante ») et le respect (« je pars mes classes à zéro ») semblent des convictions particulièrement présentes et influentes chez Laurence.

Elle pose de nombreuses actions en classe et hors classe. Ce regroupement réfère principalement aux gestes posés en classe et à leur impact sur les élèves. L’aide, la gestion de comportements et l’analyse constituent les actions posées tandis que des résultats majoritairement positifs constituent les impacts : « j’ai ciblé différents problèmes pis j’ai essayé d’amener des solutions », « les interventions m’ont permis de vraiment de de tisser un beau lien avec lui ». Ce regroupement expose aussi quelques résultats « pas du tout fructueux », des facteurs ayant un impact négatif sur sa capacité à aider les élèves et expose une action posée hors classe, soit la recherche d’information par rapport aux élèves ayant des besoins particuliers.

Elle nourrit une réflexion personnelle. Il s’agit ici d’un aperçu de pensées composant la réflexion de Laurence sur l’expérience vécue et principalement exprimées sous forme de désaccord (« pédagogiquement, je suis pas d’accord »). L’incompréhension, l’interrogation, l’inconscience teintent également fortement les pensées tandis que la compréhension ponctue légèrement la réflexion (« je sais pas », « j’ai réalisé que…»). Cette réflexion personnelle semble avoir une influence sur ses actions.

Elle décrit la situation à partir de caractéristiques attribuées à l’élève ayant des besoins particuliers. Ce regroupement réfère à la représentation des trois élèves ayant des besoins particuliers présents au cœur des trois récits de vie. Ces portraits se dessinent de manière complexe, interactive et équilibrée entre les caractéristiques plutôt négatives et plutôt positives de l’élève dépeintes par Laurence et ayant des conséquences visibles en classe. Du côté plutôt négatif, elle réfère aux attitudes, aux réactions, aux comportements, aux difficultés, aux troubles, au rapport à l’école et au rejet des pairs : « boqué/pompé », « explose/ça pète », « garde son masque », « bon gros cas » « genre de cas qui est très criant », « s’mettait à faire une catastrophe », « y’avait d’l’air d’halluciner un peu des choses dans sa tête ». Du côté plutôt positif, elle réfère aux qualités, aux talents, à la réussite et au bien-être : « y’avait un bon potentiel », « y trippait », « j’trouvais que qu’était… très créatif ». Ces portraits, dessinés avec autant de bienveillance que de frustration, intègrent également le niveau scolaire et les besoins de l’élève perçus par Laurence.

Elle dresse quelques caractéristiques générales des élèves présentant des besoins particuliers. Il s’agit ici d’une représentation plutôt éclatée des élèves présentant des besoins particuliers, effectuée uniquement lors du deuxième récit. Laurence perçoit les cas comme étant des défis stimulants (« plus sont différents, plus j’les aime », « s’comme un puzzle que j’essaye de

résoudre »), expose une problématique fréquente et réfère au processus d’évaluation psychologique comme étant « toute une machine ».

Elle se réfère à un état de situation de l’environnement scolaire. Ce regroupement réfère à quelques facettes de l’environnement exposées par Laurence qui semble dresser un état de situation alarmant en référant à de nombreux problèmes vécus, liés au temps (« on a juste soixante minutes, une fois semaine, donc cé pas évident »), au soutien (« tu d’débrouilles là-d’dans »), au nombre d’élèves, aux élèves HDAA (« on est rendu au détriment des autres élèves »), au partage de l’environnement physique (« on s’sent même pu dans un local de musique »), au désintérêt (« le genre de de de prof qui s’en fout un peu pas mal »), à la surcharge et aux préjugés des enseignants (« on part avec une strike »), à l’information qui « ne tombe pas du ciel » et à la formation (« on connaît pas ça dans nos études »). Laurence réfère également à quelques éléments bénéfiques liés à l’information, à la collaboration et à l’expérience d’enseignement et met en lumière les rôles centraux des techniciennes en éducation spécialisée, du temps, de la modalité de placement et de la matière enseignée.

Synthèse des 11 regroupements constituant les dimensions expérientielles du vécu de Laurence. L’expérience vécue de Laurence de l’enseignement de la musique aux élèves présentant des besoins particuliers s’apparente à un casse-tête qu’elle cherche à résoudre. En effet, ce casse-tête pique la curiosité de Laurence. Il entraine autant d’émotions désagréables qu’agréables et, lorsqu’il s’avère compliqué ou qu’il ne peut être résolu par elle-même, il peut entrainer des impacts pénibles sur soi. Le « fascinant puzzle » peut également amener Laurence à porter un regard sur soi et susciter le rappel d’expériences antérieures. Afin de réussir « son défi », elle agit selon ses convictions, pose de nombreuses actions, porte un regard réflexif sur son vécu et tente de comprendre le casse-tête en décrivant ses caractéristiques, autant générales que spécifiques. Enfin, Laurence dresse un état de situation plutôt alarmant de l’environnement dans lequel se retrouve le casse-tête : elle expose plusieurs problématiques liées de près ou de loin au casse-tête et ayant une influence plus ou moins directe sur celui-ci et sur sa résolution. Bref, l’expérience de Laurence peut se résumer ainsi : « s’comme un puzzle que j’essaie de résoudre ».