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Discussion liée au vécu des enseignants de musique en lien avec l’intégration d’élèves

Chapitre V – Discussion générale des résultats

2. Discussion liée au vécu des enseignants de musique en lien avec l’intégration d’élèves

Le premier objectif consistait à décrire en profondeur l’expérience vécue d’enseignants spécialistes en musique de l’intégration d’élèves HDAA en classe ordinaire. Nous référerons principalement à la littérature anglophone en éducation musicale qui nous a permis de mettre en lumière plusieurs éléments liés au vécu de l’enseignement de la musique, aux élèves HDAA dans un contexte de classe ordinaire au chapitre II. Bien que la seconde section de notre cadre s’intéresse aux facteurs facilitants l’intégration, nous avons tout de même mis en évidence quelques éléments liés au vécu des enseignants en général de l’intégration en classe ordinaire dans cette littérature québécoise, éléments auxquels nous nous référerons dans la seconde section de cette discussion.

2.1 Liens avec la littérature anglophone en éducation musicale. En raison de l’orientation de notre guide d’entrevue et du choix de l’IPA comme méthode d’analyse, nos résultats ont mis en lumière une dimension affective importante dans le vécu de l’enseignement de la musique aux élèves HDAA intégrés en classe ordinaire par le fait de ressentir des émotions qui ont des impacts sur eux. On retrouve à quelques reprises dans la littérature anglophone en éducation musicale la présence de ces dimensions chez les participants. Frisque et al. (1994) soulignent que les enseignants éprouvent des sentiments de réussite et d’accomplissement de soi dans un contexte d’enseignement avec intégration des élèves présentant des besoins particuliers en classe ordinaire, tandis que Darrow (1999) expose des inquiétudes liées notamment à la gestion de la grande variété d’habiletés des élèves. Hammel (2001a) soulève que malgré la volonté d’offrir le meilleur enseignement possible, un sentiment de frustration, d’incompétence et de non-efficacité face à l’intégration des élèves HDAA est ressenti chez les enseignants de musique. Ils éprouvent des inquiétudes liées à la gestion des problèmes de comportements et au manque d’habiletés nécessaires à la gestion d’une classe intégrée.

On observe également dans la littérature anglophone en éducation musicale que les attitudes des enseignants de musique face à l’intégration d’élèves présentant des besoins particuliers varient de positive à négative, en fonction de divers facteurs, tout comme les attitudes des participants de notre étude. Frisque et al. (1994) exposent que les enseignants semblent avoir une attitude généralement positive face à l’intégration d’élèves présentant des besoins particuliers, tant qu’ils ne sont pas perçus

comme nuisant au groupe. Il semblerait que plus le besoin est complexe ou dérangeant, moins ils se sentent préparés à s’adapter à leurs besoins. Jones (2014) expose que les enseignants rapportent un inconfort à travailler avec des élèves présentant des besoins particuliers et que cet inconfort est plus manifeste devant l’intégration d’élèves présentant un polyhandicap ou des comportements dérangeants. Les attitudes observées chez les participants de notre étude vont dans ce sens : ils soulignent autant les caractéristiques négatives et désagréables que positives et agréables des élèves ayant des besoins particuliers. Cependant, les participants semblent chercher à justifier principalement les comportements perturbateurs, les attitudes désagréables et les difficultés de ceux-ci. C’est pourquoi ils exposent divers facteurs qu’ils perçoivent comme ayant un impact sur les comportements négatifs ou désagréables des élèves ayant des besoins particuliers.

Plusieurs aspects touchant la formation initiale et continue, le soutien pédagogique et le niveau de confiance en soi sont identifiés comme étant problématiques dans les écrits retenus en éducation musicale. Plusieurs auteurs soulèvent que la formation initiale à l’enseignement de la musique en contexte d’intégration est non adéquate et que peu ou pas de cours spécifiques sont offerts, et ce, malgré les besoins exprimés. Les répondants de l’étude de McCord et Watts (2010) déclarent à 91 % ne pas être compétents dans l’adaptation de l’enseignement aux élèves présentant des besoins particuliers. Les participants de notre étude ont également mentionné la formation initiale et continue comme étant problématique et ont exprimé se sentir parfois impuissants et à bout de ressources. Hammel (2001a) émet l’hypothèse que des sentiments de frustration, d’incompétence et de non-efficacité face à l’intégration des élèves HDAA ressentis par les enseignants pourraient être liés au déficit de formation. Nous observons que les sentiments et perceptions soulevés dans l’étude de Hammel font écho aux émotions désagréables et impacts pénibles vécus par les participants de notre étude. Plusieurs études ont d’ailleurs montré l’impact positif d’une formation initiale comportant une portion de stage sur le sentiment de préparation (VanWeelden et Whipple, 2007), la volonté et la capacité à enseigner aux élèves HDAA en contexte de classe ordinaire (VanWeelden et Whipple, 2005b), le sentiment d’efficacité (Bartolome, 2013), la confiance en soi (Hourigan, 2007a, 2007b), ainsi que sur les attitudes (VanWeelden et Whipple, 2005b) et les croyances des enseignants de musique (Bartolome, 2013) à l’égard des élèves présentant des besoins particuliers. L’hypothèse causale émise par Hammel (2001a) entre formation et perception de sentiments désagréables semble une piste intéressante qui mériterait exploration.

Tout comme l’illustrent nos résultats, plusieurs aspects du soutien pédagogique sont nommés comme étant problématiques dans la littérature anglophone en éducation musicale. VanWeelden et Whipple (2014a, 2014b) soulignent le temps, la formation, le soutien pédagogique et la consultation

comme étant inadéquats, tout comme le font Simon, Laurence et Marie. Le besoin de soutien exprimé par Marie est souligné à plusieurs reprises dans la littérature. Darrow (1999) souligne que la collaboration constitue l’aspect du soutien le plus important mentionné par les enseignants. Cet aspect est d’ailleurs identifié par les participants de notre étude comme étant important et comme ayant un impact positif sur leur vécu. Dans le même ordre d’idées, Gfeller et al. (1990) démontrent une corrélation positive entre le succès de l’intégration et l’étendue du soutien pédagogique et Gardner (2010) montre que le soutien est un facteur pouvant influencer la rétention des enseignants de musique dans leur profession. Bref, malgré l’impact important que le soutien pédagogique semble avoir sur le vécu des enseignants de musique, il apparaît déficient sur plusieurs plans, dans notre étude comme dans la littérature en éducation musicale.

En somme, les constats découlant de notre étude rejoignent des constats semblables observés dans la littérature en éducation musicale. Cependant, étant donné que le vécu de l’intégration est un sujet traité dans la littérature en éducation musicale depuis 1975, des études sont en mesure d’apporter des éléments de compréhension aux constats observés dans la présente étude. Les pistes pouvant contribuer à améliorer le vécu de l’enseignement de la musique aux élèves HDAA émises par certains auteurs dont Hammel (2001a) pourraient aider à orienter la recherche future dans ce domaine au Québec. Bref, les résultats de l’étude vont dans le sens de VanWeelden et Whipple (2014) qui mentionnent qu’encore aujourd’hui davantage doit être fait afin de soutenir et d’aider les enseignants de musique à se préparer à travailler avec des élèves présentant des besoins particuliers.

2.2 Liens avec la littérature québécoise. Nos résultats semblent concorder avec des écrits issus de la littérature québécoise qui soulèvent des problèmes liés au vécu, aux perceptions et aux attitudes des enseignants en général face à l’intégration d’élèves HDAA en classe ordinaire. Les répondants de l’étude de Parent, Fortier et Boisvert (1993) semblent insatisfaits du soutien qui leur est accordé en classe, tout comme les participants de notre étude. La formation est un aspect problématique souligné par les participants de notre étude, qui se joignent aux participants de l’étude de Lépine (2008). Ces derniers considèrent que l’adaptation de l’enseignement aux besoins particuliers des élèves intégrés en classe ordinaire devrait être priorisée dans leur formation. Même constat de Beauregard et Trépanier (2010) qui mentionnent que les enseignants des classes ordinaires ressentent un manque de formation. Un sentiment d’impuissance est exprimé à plusieurs reprises par les participants de notre étude. Ce sentiment est également relevé par Beauregard et Trépanier (2010). Le trop grand nombre d’élèves HDAA intégrés, l’épuisement, le stress, le manque de formation, le manque de temps ainsi que le manque d’aide et de ressources sont tous des aspects problématiques soulignés à la fois par les participants de notre étude et par les écrits de Boutin et Bessette (2009).

Les résultats de notre étude semblent également être en accord avec ceux de l’étude de Boutin, Bessette et Dridi (2015), première étude québécoise publiée à traiter du vécu de l’intégration des élèves HDAA en classe ordinaire. L’analyse qualitative et quantitative du vécu des enseignants de classes ordinaires interrogés par les auteurs semble en effet illustrer la présence d’éléments s’apparentant fortement aux huit dimensions du vécu des participants de notre étude : on retrouve le fait de ressentir des émotions désagréables parmi les constats les plus souvent évoqués par les enseignants des classes ordinaires. De plus, les enseignants ressentent de la satisfaction lorsque l’élève réussit ou lorsqu’il peut réussir et qu’ils font preuve de compassion envers les élèves qui ne reçoivent pas l’aide dont ils ont besoin. Puis, les enseignants écopent visiblement d’impacts pénibles sur eux : ils sont préoccupés, s’inquiètent, doutent et disent vivre sous tension. Les auteurs observent également l’épuisement professionnel de nombreux enseignants dû à une surcharge de travail qui conduit à rendre leur tâche d’enseignement très lourde et à la pression ressentie provenant du milieu. D’un autre côté, Boutin et al. (2015) soulignent que « les enseignants se montrent particulièrement sensibles aux problèmes que rencontrent les élèves en difficulté et tentent, par tous les moyens, de leur venir en aide » (p. 27); mais, les moyens et stratégies auxquels ils recourent sont limités, et ce, bien qu’ils consultent des personnels de soutien pédagogique afin d’obtenir de l’information et de trouver des solutions. Enfin, les participants soulignent, à plusieurs reprises, les conditions de travail difficiles en contexte d’intégration scolaire en se basant sur leurs observations et leurs expériences. Ils émettent de nombreuses critiques et rapportent le vécu d’expériences souvent pénibles. Ils dressent un état de situation alarmant au sujet des modalités de placement des élèves, au temps, au soutien pédagogique, au nombre d’élèves intégrés, aux comportements, à la diversité, à l’écart de niveau entre les élèves, au désintérêt, à la surcharge et aux préjugés des enseignants, à l’information et à la formation. Les besoins de soutien, de collaboration avec l’équipe-école et d’information sont soulignés à plusieurs reprises. Quoiqu’étant nommés comme étant manquants ou problématiques par les participants, ces aspects font partie de leurs recommandations, soulignant ainsi le rôle essentiel de ces aspects dans l’intégration scolaire perçu par les enseignants. Les résultats ci-dessus concordent tous avec nos propres résultats, ce qui est en convergence avec l’étude de Boutin et al. (2015).

Enfin, en éducation musicale, rappelons que certains participants de l’étude de Peters et Pierre- Vaillancourt (2011) soulignent le temps d’enseignement comme étant un aspect problématique de leurs conditions de travail tandis que certains expriment vivre des émotions désagréables tels l’humiliation, l’impuissance, l’indignation, la vulnérabilité et l’isolement relativement à leurs conditions de travail dans l’étude de Peters, Pierre-Vaillancourt et Grenier (2016). Les participants rapportent également écoper d’impacts pénibles : ils exposent la sensation de devoir se battre constamment, parfois jusqu’au

détriment de leur santé. Ces aspects liés au vécu de l’enseignement de la musique se retrouvent dans nos résultats, bien que dans notre étude, ils soient spécifiques au vécu de l’enseignement de la musique aux élèves HDAA en contexte de classe ordinaire.

En somme, les résultats issus de notre analyse phénoménologique interprétative semblent converger à bien des égards avec ceux de plusieurs auteurs québécois. Tout en tenant compte de l’orientation donnée à notre guide d’entrevue et de la méthode d’analyse choisie, soulignons à nouveau la présence importante d’émotions désagréables et d’impacts pénibles dans les dimensions expérientielles des participants de notre étude. Boutin et al. (2015) mentionnent que le « rôle de la dimension affective [est] trop peu pris en compte » (p. 26) et que cette dimension expérientielle est « très peu souvent abordée quand il s’agit de la mise en place d’un processus professionnel » (p. 105). Explorer davantage cette dimension, son rôle et ses impacts serait une suite intéressante à donner à la présente étude.

3. Discussion liée à la manifestation dans l’expérience vécue des facteurs