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94 Les populations affectées par les barrages se trouvent dans une situation de migration obligatoire Aujourd’hui, toutes les populations vivant sur le lieu de la prochaine retenue doivent obligatoirement

migrer. L’entreprise qui construit le barrage peut forcer de manière coercitive (par le biais de la police) des populations réticentes. Le seul choix dont disposent la plupart des familles réside dans la destination de la migration. L’idée d’obligation dans ce type de migration n’est pas toujours acceptée, mais beaucoup de chercheurs l’utilisent. F. Padovani explique que « Les migrations forcées présentent la particularité d’être sans retour possible » (PADOVANI, 2004). Le terme de réfugié peut aussi être utilisé par les ONG et organismes de défense des droits de l’Homme. On associe parfois les migrants des barrages aux réfugiés environnementaux. Le parallèle peut notamment se faire à travers cette notion d’obligation de migration, soit face à un événement climatique, soit face à la construction d’un ouvrage dit de « développement ». C. Vainer, un sociologue brésilien, aborde le sujet en terme de deslocamento compulsório, c’est-à-dire de migration obligatoire, imposée, contrainte, etc. (VAINER, 2003). Les populations locales peuvent lutter contre la construction de barrages, mais une fois cette dernière commencée, les familles n’ont plus d’autre choix que de quitter leur lieu de vie.

L’abandon des espaces de vie des familles s’accompagne de pertes historiques pour l’ensemble d’entre elles. Il existe toujours la présence d’un capital historique dans les villages et espaces ruraux inondés. Lorsque le barrage inonde une région habitée, c’est tous les repères historiques qui disparaissent. L’histoire des hommes s’inscrit sur des dizaines de milliers d’années, ainsi les barrages recouvrent parfois des vestiges archéologiques importants : en Turquie, le barrage d’Ilisu, sur le Tigre, qui est prévu depuis les années 1980, doit inonder des « sites archéologiques uniques, notamment la cité d’Hasankeyf, vieille de 10 000 ans » (IRN, 2002) ; le barrage d’Assouan est probablement le plus connu en terme d’effets sur l’histoire et la culture, car il s’est implanté sur la vallée du Nil, très riche en vestiges archéologiques de l’Égypte antique. Une opération de sauvetage, mis en place par l’UNESCO183, a permis le sauvetage des vingt principaux sites

(intégrant les fameux temples nubiens d’Abou Simbel). Les entreprises de construction de barrage tentent parfois de réduire l’impact auprès des populations en créant des musées ou en laissant des marques de l’histoire, le plus souvent les clochers d’églises inondées184. La WCD reconnaît que

les barrages ont « eu des effets négatifs significatifs sur l’héritage culturel des communautés rurales, du fait de la perte des ressources culturelles, de la submersion et de la dégradation des vestiges végétaux et animaux, de nécropoles et de monuments archéologiques » (IRN, 2002). Les pertes historiques sont parfois minimisées car elles ne présentent pas toujours des aspects particuliers ou spectaculaires, mais elles accompagnent toutes les disparitions de territoires.

Les migrations de population issues des barrages peuvent avoir un effet aggravant sur le développement de maladies. Certaines maladies se développent dans ce contexte migratoire : une situation sociale complexe avec une mixité de population peut favoriser le développement du sida185 ;

la concentration de mercure, lors du remplissage du lac, empoisonne les poissons et indirectement les hommes, etc. Des exemples existent : pour plusieurs usines hydroélectriques (Tucuruí, Santo Antônio, Estreito, etc.), les entreprises responsables et des ONG ont réalisé des programmes de prévention et d’attention contre le sida ; au Ghana, autour du barrage d’Akosombo, des études

183. UNESCO – Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture. 184. cf. Annexe 1.17.

185. Une ONG se déplace parfois au Brésil sur les lieux de construction de barrages afin de prévenir du sida auprès des ouvriers de l’ouvrage et de la population locale.

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ont noté le développement de maladies parasitaires telles que la bilharziose186 ; le développement

du mercure dans l’eau qui se répercute sur les poissons puis qui empoisonne ensuite indirectement les hommes est un exemple rencontré au Canada (LASSERRE, 2009). L’eau stagnante offre souvent des conditions favorables au développement de maladies et la WCD reconnaît là encore que les barrages ont « des conséquences négatives significatives sur la santé des populations rurales et des communautés de l’aval » (IRN, 2002).

Les migrations forcées provoquent, parmi les diverses conséquences, un éparpillement des populations. Dans la plupart des espaces ruraux, les familles se regroupent en communautés ou petits villages, formant des groupes liés par des interrelations. Le barrage intervient et bouleverse ces dernières et vient même à les rompre, car les familles migrent dans diverses régions. L’intensité des pertes des liens sociaux dépend d’abord de la quantité de familles déplacées. En Chine, pour le barrage des Trois Gorges entre 1,2 et 1,9 million de personnes ont migré. L’importance des pertes de liens est aussi la conséquence des politiques de réinstallations mises en place par les entreprises de construction. De nombreuses études sont menées depuis plus de vingt ans pour évaluer et réduire les effets négatifs des migrations et notamment la perte de liens sociaux. Résultant de ces études, des politiques de réinstallations sont créées et des mesures d’incitation sont appliquées. La Banque Mondiale a mis en place toute une série de recommandations (IRR – Impoverishment Risks and Reconstruction187, de M. Cernea). Mais il ne tient qu’aux seules entreprises de les appliquer.

Ce modèle aide, entre autres, à minimiser la perte des liens et reconnaît qu’ « il est difficile de reconstruire les réseaux sociaux qui réunissaient autrefois les gens » (CERNEA, 2008). Les barrages symbolisent beaucoup de souffrances pour les familles et les liens entre les populations ne sont pas faciles à recréer ou à reconstruire.

La localisation des barrages dans les espaces ruraux a tendance à toucher des populations originales. Ce sont des espaces où des groupes ethniques affichent des spécificités uniques et de plus en plus rares. Les indiens sont souvent des populations affectées par les barrages et sont parfois utilisés comme exemple pour illustrer les effets négatifs des barrages. On retrouve des populations particulières et fragiles sur tous les continents et dans tous les pays qui construisent des usines hydroélectriques. Par exemple, au Canada les ouvrages affectent les populations autochtones Inuits et Cris188, qui sont d’anciens nomades de l’ouest du Canada. Ils sont marqués par la construction

des barrages notamment dans leur mode de vie, devant réduire leur consommation de poissons, à cause d’empoissonnements au mercure. Au Brésil, de nombreuses populations spécifiques sont affectées par les barrages : les indiens, les caboclos, les quilombolos189, etc.

La construction d’un barrage nécessite un nombre d’employés importants et de ce fait une gestion de ce personnel est nécessaire. Il est rarement indiqué combien de personnes travaillent sur un chantier Pour indication on estime à plus de 5 000 le nombre de personnes travaillant sur le barrage de Sobradinho (MOREIRA, 2009). Pour le barrage des Trois Gorges, les chiffres de 35 000 chinois sont avancés, travaillant 24h sur 24h et tous les jours de la semaine (SANJUAN, BÉREAU, 2001). L’arrivée de population extérieure dans des espaces ruraux apporte une perturbation, économique, sociale, culturelle, etc. Lors de la construction du barrage de Sobradinho, dans le Nordeste du Brésil,

186. Sources : <info.k4health.org/pr/prf/fm14/fm14chap5_2.shtml>. 187. Traduction : IRR – Risques d’appauvrissement et reconstruction. 188. Sources : <fig-st-die.education.fr/actes/actes_2003/lasserre/article.htm>.

189. Les quilombolos sont à l’origine des esclaves noirs qui s’évadèrent et trouvèrent refuge à l’intérieur des terres. On compte aujourd’hui environ 2 000 communauté de quilombolos dans tout le Brésil.

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