• Aucun résultat trouvé

Éléments d’adaptation

L

es espaces de vie des futurs atingidos de Foz do Chapecó, permettent d’avoir une idée précise du déroulement de la vie des populations proches du fleuve Uruguay. Pour mettre en lumière les différences de vie entre les deux moments de la migration (départ-arrivée), il faut aborder l’espace de vie des populations après leur réinstallation. Grâce à l'étude des atingidos de Machadinho nous observerons les modifications concrètes, les difficultés rencontrées et les adaptations nécessaires. Pour de nombreux aspects, des différences existent en bord de fleuve, entre les espaces de vie précédents et les nouveaux. Les bouleversements sont importants et les acclimatations plus ou moins aisées. Si les modifications apportées par le barrage ne sont pas perçues par tous les atingidos, après la migration, chaque famille doit construire un nouvel espace de vie et doit s’adapter au nouveau contexte.

N

ous avons pu observer les modifications rapides et impressionnantes du paysage avec la construction d’un barrage. Les familles atingidas subissent une modification paysagère avec leur changement de lieu de vie. À travers quelques exemples iconographiques, observons les modifications entre le précédent lieu de vie et l’actuel.

La première grande différence entre les deux paysages est morphologique. D’un paysage de pentes, en bord de fleuve, les atingidos passent à un paysage de plateaux. Les lieux de réinstallations des atingidos varient bien sûr selon leur choix d’indemnisation75,

mais majoritairement ce territoire reste très différent du précédent d’un point de vue morphologique, climatique, pédologique. Les différences structurelles influencent d’autres aspects constituant le lieu et le mode de vie, tels que : l’agriculture, la végétation, le point de vue, les déplacements, les loisirs, etc. Sur la photo suivante, nous constatons le relief plat observé par les atingidos du reassentamento collectif 2 de Barracão/RS, déterminant pour l’évolution de leur agriculture hier manuelle et vivrière vers une agriculture plus orientée vers la productivité et la mécanisation.

156

Les atingidos sont habitués à vivre en bord de fleuve, mais ne connaissent qu’approximativement le plateau qui se situe à quelques kilomètres en arrière. Ils doivent maintenant s’approprier leur nouveau milieu. L’adaptation au nouveau paysage, passe pour ces familles d’agriculteurs, par l’accoutumance à la nouvelle terre et aux nouvelles conditions pédoclimatiques de son exploitation. De la bonne adaptation et donc de l’utilisation de la terre dépend l’avenir des familles dans leur nouveau lieu de vie. Les agriculteurs atingidos avaient l’habitude d’exploiter de petites parcelles, souvent en pente et peu productives. Ils habitent maintenant sur un plateau, souvent sur des terres d’une ancienne fazenda et doivent modifier leurs pratiques agricoles pour utiliser aux mieux les nouvelles conditions du milieu physique. Pour faciliter la phase de transition entre ces deux milieux si distincts, l’entreprise (MAESA dans notre cas) offre aux atingidos, habitant les reassentamentos collectifs, une assistance technique. La MAESA délègue à l’entreprise LRP76 le soin de cette assistance sur une période

de cinq ans. L’entreprise, fixée à Barracão/RS, a pour mission d’accompagner et d’aider les familles à améliorer leur production agricole. Elle guide 213 familles dans les reassentamentos collectifs et individuels. Elle aide à l’obtention de crédits pour l’achat de machines ou de tracteurs. Il y a quelques exemples de tracteurs achetés à sept ou huit familles, mais il n’est pas toujours facile de partager investissements et crédits.

76. Nom complet : LRP Apoio Técnico Ltda.

Photo 2.56 - Fin de la retenue de Machadinho à Barracão/RS, ancien espace de vie des atingidos, le 27 août 2007, G. LETURCQ.

Photo 2.57 - Plateau vallonné de Curitibanos/SC, lieu d’un reassentamento pour atingidos de Machadinho, le

157

L’entreprise assiste aussi les paysans pour le choix de la culture, des semences, du semis, la mise en place de la production de lait, etc. Dans les reassentamentos, on produit surtout du soja et du maïs. La production de soja est d’environ trente sacs77 par hectare et cent dix sacs par hectare78

pour le maïs. Ces deux grandes productions ne suffisant pas, elles sont complétées par des cultures et élevages annexes : lait, tabac, cochons, bovins, avoine, etc. Les cultures sont produites par un système en semis direct la plupart du temps. Toutes les familles n’adoptent pas les productions nécessitant une mécanisation et des connaissances nouvelles. Certaines s’adaptent mal aux nouvelles techniques et n’arrivent pas à produire sur leurs terres. José Carlos Michalowski79

explique que l’adaptation diffère beaucoup selon les familles et leurs origines. Les reassentamentos de Barracão/RS sont composés de beaucoup de caboclos, d’italiens et de quelques allemands. Les familles d’origine allemande et italienne s’adaptent plus rapidement à ses yeux. Il explique aussi que la production agricole est plus fructueuse dans le Santa Catarina car le réseau de collecte des marchandises y est plus important. Le réseau de villes étant plus dense, il pense qu’il y est plus facile de commercialiser les produits.

L’accueil, par les atingidos, de l’entreprise (LRP) et de ses employés est mitigé. Certains, notamment ceux de Barracão/RS, jugent parfaite l’aide fournie par la LRP, alors que d’autres familles, plus souvent du Santa Catarina en attendent davantage ou ne souhaitent même plus en entendre parler. Des familles pensent que la présence de l’entreprise n’est que politique et n’a pas vraiment d’utilité. Les avis semblent donc partagés et on peut imaginer que l’entreprise est plus disponible pour les atingidos habitant à proximité de son siège.

77. Le sac est une mesure souvent utilisée au Brésil. Un sac représente soixante kilos.

78. Il s’agit d’une productivité élevée. Les records dans le RS datent de 2010 pour le maïs, avec des régions à 125 sacs par hectare. Pour le soja, la moyenne en 2008 pour le RS était de 29 sacs par hectare.

79. Directeur de LRP, entretien le 17 août 2006, Barracão/RS.

Photo 2.58 - Agriculture sur le plateau du reassentamento Barracão 2, Barracão/RS, le 22 août 2007, G. LETURCQ.

158

Le lait est la production agricole la plus régulière et la plus viable pour les atingidos. Elle permet souvent aux familles de subvenir à leurs besoins car elle apporte un revenu quasiment constant. Ce critère est déterminant pour les agriculteurs au début de leur réinstallation. Beaucoup d’atingidos interrogés expriment leurs difficultés face à l’inévitable utilisation de nouvelles pratiques agricoles. Les familles pensent qu’il est difficile d’apprendre ces pratiques et parallèlement d’investir. Par exemple, elles n’ont pas les connaissances concernant l’utilisation des engrais et des produits phytosanitaires, ni celles utiles à l’usage de machines agricoles. Elles ne cultivent pas non plus les mêmes produits que lorsqu’elles habitaient en bord de fleuve. Ainsi, l’assimilation de ces changements prend du temps pour les familles.

Parfois, les atingidos n’arrivent pas ou ne souhaitent pas apprendre de nouvelles techniques pour adapter leur production. Ils se mettent en danger car ils n’ont pas d’autres revenus que ceux issus de l’agriculture. La solution la plus viable à leurs yeux est la vente de leur propriété. Il s’avère rapidement que cette solution est illégale (clause d’établissement pour dix ans sur la propriété) et n’est pas aisée. Pour Yolanda80, directrice de l’entreprise SSI (Serviço Social Integrado)81, qui a

suivi certaines familles migrantes, « environ 30 % des familles ont vendu ou abandonné les terres ». Elle estime que la précarité est la principale cause des défections. Après des situations d’échec de mise en exploitation des terres, il peut découler des ventes de lots intégrés aux reassentamentos. Malgré l’illégalité, des rachats existent et sont le fait d’autres reassentados, de membres de la famille ou d’agriculteurs voisins du reassentamento. On a pu observer la famille d’un cousin d’atingido habitant dans un reassentamento de Barracão/RS, ou d’un petit agriculteur de São José do Ouro/ RS qui a acheté des terres à des reassentados de Barracão/RS, à quelques kilomètres de chez lui. Le marché des propriétés des reassentamentos, bien qu’interdit par l’entreprise, existe et les familles atingidas, qui n’arrivent pas à utiliser la terre ou à s’adapter, y voient une solution de secours. A contrario, lorsque les familles s’adaptent et arrivent à produire, elles constatent bien souvent une croissance de leurs revenus. Certaines familles voient à travers la migration et les changements, une manière d’apprendre et de progresser. Beaucoup d’atingidos investissent dans des tracteurs, des machines et apprennent à les utiliser pour valoriser au mieux leurs nouvelles terres. Avec des productions sollicitées par la demande, les familles entrent sur le marché agricole et peuvent vendre aux nombreuses coopératives de la région. Une réelle amélioration de la qualité de vie peut découler de cette bonne adaptation.

80. Entretien le 14 septembre 2006, Passo Fundo/RS. 81. Traduction : SSI – Service Social Intégré.

Photos 2.59 et 2.60 - Tracteur d’un atingido du reassentamento Bela Vista, Curitibanos/SC, le 5 septembre 2007 et atingido devant ses cuves de lait à Barracão/RS, le 22 août 2007, G. LETURCQ.

159

L

es effets de la migration et des modifications paysagères sont nombreux. Les populations atingidas regrettent certains aspects de leur ancienne vie et notent les différences entre les lieux. Lors des entretiens avec les atingidos de Machadinho, à la question des barrages sur l’environnement82, les réponses spontanées portaient plus sur les regrets, les manques et les

modifications perçues. Une dizaine d’atingidos font référence aux changements climatiques induits par la construction du barrage. Mais les atingidos ne vivent plus à proximité du fleuve Uruguay, certains vivant même à plus de cent kilomètres. Ainsi, il est paradoxal de leur part de parler des modifications climatiques, en lien direct avec la construction du barrage alors qu’ils ne peuvent en juger concrètement. La principale modification climatique perçue, par les habitants proches du barrage, est la présence accrue de nuages et de brume, illustrant une humidité plus élevée. Mais les atingidos interrogés ne perçoivent pas ces variations et doivent surtout s’habituer à un climat de plateau et non plus de plaine.

L’autre manque des atingidos concerne la végétation et notamment les fruits. Huit familles remarquent que dans leur nouveau lieu de vie, elles n’ont pas les mêmes fruits que précédemment et n’en disposent pas à leur guise. En bord de fleuve, les familles vivaient avec les ressources naturelles proches et bien souvent l’on trouvait des vergers composés de bananiers, d’orangers, de poiriers, etc. Sur le plateau, elles n’ont plus ces arbres fruitiers à proximité. Le nouvel emplacement est souvent une ancienne grande propriété dont l’usage unique se limitait à l’agriculture, n’accueillant pas d’habitants. La modification des climats et sols ne permet pas non plus aux atingidos de planter des arbres. Toute la végétation est différente entre les plateaux et les pentes du fleuve Uruguay. L’agriculture a progressivement fait disparaître les anciennes forêts des plateaux et il ne reste plus que des bribes de végétation originelle. Les familles n’ont donc pas les mêmes ressources offertes par la nature à leur disposition dans ce nouvel espace de vie. Les conséquences économiques de ce manque existent aussi car dès lors les familles doivent acheter leurs fruits et donc dépenser une part de leur revenu pour un produit qu’elles avaient auparavant gratuitement.

Le fleuve, en tant qu’élément physique, est une perte exprimée par les atingidos. Sur leur nouvel espace de vie, les familles ne retrouvent pas de cours d'eau dans le paysage. Ainsi, des atingidos remarquent que non seulement la présence même du fleuve leur manque, mais aussi les activités qui l’accompagnent. Une femme remarque que l’eau qui coule lui manque et qu’elle aimait regarder le fleuve. On note une pointe de nostalgie par rapport au fleuve, comme une présence qui aurait disparu.

Les loisirs liés au fleuve sont aussi cités comme des regrets. Derrière cette carence s’expriment trois idées distinctes :

• Le manque du divertissement lié à la baignade, à la pêche et aux activités sur le fleuve que pouvaient pratiquer les familles ;

• le déficit du lien social que pouvait créer le fleuve à travers des activités comme la pêche avec des amis ou des voisins ;

• la pénurie que certains atingidos expriment plus clairement est celle des poissons. Les familles avaient l’habitude de pêcher pour manger des poissons. Elles doivent maintenant les acheter. Mais certaines familles ne ressentent pas du tout ce manque de fleuve, préférant au contraire en être éloignées. Elles parlent de la peur des inondations et de la peur de l’eau. Des familles, très proches du fleuve, n’avaient pas la même relation avec leur environnement et ont développé des craintes. Elles se sentent maintenant soulagées de vivre loin d’un cours d’eau.

Outline

Documents relatifs