• Aucun résultat trouvé

92 énormément varier C’est dans ce contexte que des échos sont émis sur des possibles cas de détournements, comme lors d’entretiens dans le municipe de Maximiliano de Almeida/RS, dans

le Sud du Brésil.

L

’illustration des aspects sociaux entourant la construction de barrage s’inscrit bien souvent dans des descriptions et des analyses des nombreux effets négatifs, occultant les aspects positifs. Alors que les barrages sont effectivement très perturbateurs socialement, certaines familles affectées par les barrages n’y voient que du positif.

Au Brésil, pour de nombreuses familles déplacées, la possibilité d’améliorer la qualité de leur vie en divers aspects est le principal point positif de l’arrivée d’un barrage. Le lieu d’habitation, parfois précaire, peut passablement être revalorisé, évoluant d’une maison « en bois » à une construction plus durable. Il y a aussi une facilité et une amélioration de l’accès à l’eau potable et à l’électricité. Les familles peuvent disposer de conditions de vie meilleures : avec des axes de circulations plus proches, un accès aux biens de consommation plus facile, etc. Même si ces évolutions ne sont pas systématiques, elles se produisent souvent et offrent à un grand nombre de familles des améliorations notables. La qualité de vie au quotidien peut profiter à une population, parfois en attente de ces occasions.

Chaque individu ou famille peut voir le déplacement forcé à cause d’un ouvrage hydroélectrique comme une opportunité, c’est-à-dire une chance de recommencer quelque chose ailleurs. De nombreuses familles rencontrées dans le Sud du Brésil affirment voir la migration comme la possibilité de refaire leur vie. Elles comparent leur départ avec la situation «  d’avoir gagné au loto  ». La migration peut donc être vécue positivement et considérée comme une nouvelle chance qui se présente. L’impression de pouvoir accéder à quelque chose de meilleur explique notamment les migrations spontanées qui se produisent autour du chantier d’un barrage. Des personnes imaginent pouvoir trouver des occasions de travailler, d’améliorer leur vie et viennent ainsi s’installer temporairement dans la région autour de la construction d’un barrage.

Les déplacements de familles victimes du barrage aboutissent à des réinstallations dans divers lieux ou à des aides financières permettant aux familles de migrer librement. Si elles décident d’aller vivre en ville, leur insertion se fera dans un large ensemble urbain, sans que leur particularité d’atingido ne soit remarquée. Par contre, dans le cas d’une réinstallation dans des zones rurales, des conditions peuvent permettre aux familles de créer de nouvelles communautés. Le groupement de familles victimes d’un barrage dans un espace rural peut permettre à ce dernier de connaître un nouveau dynamisme et d’y voir la constitution d’une communauté. Les conditions à réunir peuvent être rencontrées dans les reassentamentos collectifs, que l’on trouve au Brésil. Cette structure, issue de l’achat d’une grande propriété terrienne, se divise en lots pour les familles, accueille des infrastructures collectives (école, église, etc.) et des services aux familles (téléphone, routes, etc.). Les reassentamentos collectifs leur offrent la possibilité de s’intégrer rapidement dans leur nouvel environnement et peuvent ainsi lancer un nouveau dynamisme dans des campagnes parfois isolées et stagnantes en terme de population. Le cas extrême du barrage des Trois Gorges en Chine aboutit à la création de treize villes et plusieurs dizaines de villages le long des 660 kilomètres de la retenue. Un certain nombre de points viennent contrebalancer les aspects positifs vus précédemment. Pendant très longtemps les impacts sociaux des grands barrages n’étaient pas pris en compte par les gouvernements et entreprises responsables des ouvrages. L’importance croissante de l’intégration des effets néfastes des barrages sur l’environnement a ensuite fait prendre conscience que les populations aussi subissaient un certain nombre d’effets négatifs dont il fallait s’importer.

93

Si dans certaines conditions de nouvelles communautés voient le jour, plus nombreuses sont celles qui disparaissent. La retenue des usines hydroélectriques inonde souvent des terres, dans des secteurs plus ou moins densément peuplés. Avec de très grands barrages ou de larges retenues, des villes entières peuvent être submergées. Ainsi, le barrage des Trois Gorges, en Chine, submerge plusieurs zones urbaines, dont une de plus de 23 000 habitants. Au milieu du XXe siècle, le barrage

de Tignes inonde un village et déplace environ 400 habitants. Le nouveau village des Boisses est construit à proximité pour y réinstaller les familles, mais la disparition du village marque les familles, à tel point qu’elles procèdent à une commémoration sur leur ancien lieu de vie, tous les dix ans, lorsque le barrage est vidé. Au Chili, ce sont des terres sacrées des indiens Pehuenches qui sont inondées par les retenues sur la rivière BíoBío, détruisant leurs habitats et leurs lieux de cultes ancestraux. On estime à 10 000 le nombre de familles déplacées par ces barrages chiliens. Au Mali, de nombreuses communautés, en aval du Sélingué sur le fleuve Niger, sont affectées par ce dernier, notamment leur lien économique avec la rivière (principalement la pêche). Les exemples se multiplient sur tous les continents et rares sont les barrages qui ne détruisent pas des communautés rurales, voire urbaines. Le nombre de familles déplacées est très aléatoire selon les barrages et dépend de beaucoup de facteurs.

Le processus de migration forcée, difficilement accepté par les familles, est parfois totalement refusé débouchant à des dépressions ou des décès. Des personnes peuvent décider de ne pas quitter leur lieu d’habitation et ainsi se laisser inonder par la montée des eaux. Cette situation est souvent racontée par des familles du Nordeste ayant vécu l’implantation du barrage de Sobradinho. C’est un exemple ancien, car aujourd’hui, il n’est plus accepté de laisser des personnes ainsi. Elles sont obligées de partir, notamment avec l’intervention des forces de l’ordre. Par contre, il existe des cas de dépressions et de morts indirectes. Des personnes, n’acceptant pas leur sort et leur migration, se morfondent et vont même jusqu’à se laisser mourir. D’autres familles atingidas racontent ces situations pour le barrage de Machadinho178. Bien qu’il n’existe pas d’informations quantifiables, il

est possible de croire en de telles situations. Les dépressions nerveuses sont fort possibles sans un suivi psychologique et un accompagnement des familles. Nous pouvons penser que le phénomène se répand pour les personnes fragiles et particulièrement enracinées sur leur lieu de vie179. Dans

un rapport alarmiste, le CIMI (Conselho Indigenista Missionário)180 établit un rapprochement

entre l’augmentation du taux de suicide chez des indiens vivants en Amazonie et l’augmentation du nombre d’usines hydroélectriques, notamment dans l’état de Rondônia à cause des usines sur la rivière Madeira (CIMI, 2008). Les auteurs du rapport font état de morts directes ou indirectes liées à la construction d’usines hydroélectriques. Le rapport parle aussi des répercussions psychologiques que peuvent provoquer les barrages sur les populations locales. Si les résultats ne sont évidemment pas toujours aussi extrêmes, il existe de forts effets psychologiques pour un grand nombre de familles : « Il a fallu près de 50 ans pour que la population s’approprie cette eau longtemps symbole de souffrance et de déchirement » souligne Christophe Piana181, dans le cas du

barrage de Tignes182.

178. Au cours des entretiens avec les familles victimes du barrage de Machadinho, le sujet des dépressions de personnes âgées revient parfois.

179. « Le déracinement pour l’être humain est une frustration qui, d’une manière ou d’une autre, atrophie la clarté de son âme. » Pablo Neruda.

180. Traduction : CIMI – Conseils Indien Missionnaire.

181. C. Piana est directeur du syndicat mixte en charge de l’aménagement du lac de Tignes. 182. Sources : <www.romandie.com/infos/news2/100619074410.4x3bf4lc.asp>.

Outline

Documents relatifs