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Le poids du territoire dans le système scolaire et sa domination

domination sociale et scolaire

II.3. Le poids du territoire dans le système scolaire et sa domination

Les élèves interrogés en entretien à l’école vivent presque tous dans le quartier. Un élève, Victor, vit à Bobigny, en Seine Saint Denis. Ses parents ont décidé de le scolariser, comme son frère aîné quelques années auparavant, dans le 6ème arrondissement.

II.3.1 Victor, un élève issu des classes moyennes

Victor est un bon élève de la classe de CM2 de l’école du 6ème. A la différence de ses

camarades, il n’habite pas dans le quartier de l’école mais à Bobigny. Ses parents sont issus de la classe moyenne : son « père est prof de s.v.t200 (…) et [s]a mère elle travaille dans une boîte…pour des produits d’hygiène comme des savons, des trucs comme ça ». Les parents de

Victor appartiennent aux classes moyennes inférieures. Les parents de Victor vivent en banlieue parisienne mais choisissent de ne pas scolariser leur enfant dans cet espace mais dans un territoire apte à conforter leur désir d’ascension sociale. Lors de l’entretien, Victor explique qu’il vient à Paris en dehors des jours d’école mais qu’il est aussi attaché à son quartier de Bobigny :

Je me balade souvent dans Paris avec mes parents pour aller au musée pour des activités…Parfois je vais faire de la trottinette…Je vais plutôt autour du 6ème et parfois je vais dans le 16ème. (…) Je me promène aussi beaucoup à Bobigny, à l’espace vert il y a un très beau jardin.

Victor ne connait pas très bien Paris, y compris le quartier dans lequel est située l’école : moi,

enfin je connaissais pas bien l’arrondissement et même tous les arrondissements qu’on avait visités. C’était sympa et j’ai bien aimé.

La famille va peu au musée mais Victor a un goût pour les sorties culturelles qu’il ne partage pas toujours avec sa famille. Quand c’est le cas, il en parle comme d’un très bon souvenir :

Je suis parti dans plusieurs musées. Enfin seulement deux musées : le musée du Louvre et celui du Quai Branly. Et c’était avec mes parents et on a passé un super bon moment. (…) Parce que je vais pas tellement au musée. [Ce n’était] pas exceptionnel « exceptionnel » mais quand même (…) je voulais y aller. »

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C’est un élève qui pratique des activités extrascolaires : du judo, (…) du handball et qui a apprécié la « classe à Paris » :

Moi j’ai beaucoup aimé la classe à Paris parce que quand on avait visité les arrondissements j’ai bien aimé mais pas complètement mais les photos montages j’ai beaucoup aimé, les maquettes aussi même si on a beaucoup trainé dessus pour le projet mais ça pouvait le faire et on a pu y arriver. (…) J’ai appris beaucoup de choses parce que même quand on était parti, je crois que c’était dans le 18ème, il y avait beaucoup de dents creuses201 mais l’arrondissement était en rénovation et ça devient de plus en plus beau et on voit progresser la ville donc c’est sympathique.

II.3.2 La scolarisation hors du quartier pour intégrer une sphère scolaire dominante

Les parents de Victor font un choix dans l’éducation de leur enfant qui consiste à éloigner Victor de son lieu d’habitation –Bobigny- pour le scolariser dans un arrondissement où les parents d’élèves font partie des catégories socioprofessionnelles supérieures. Les enseignants ne semblent pas très favorables à cette démarche. Alors que je parle avec eux, pendant une récréation dans la salle des professeurs, en leur expliquant que j’ignorais que Victor venait de Bobigny et qu’il faisait le trajet tous les jours, ils m’expliquent que c’est « le choix » des parents et qu’ils doivent assumer ce temps de trajet long et la fatigue que cela peut occasionner pour leur enfant.

La réaction des enseignants met en relief le fait qu’ils réprouvent la stratégie des parents de Victor. S’ils tolèrent la présence d’élèves extérieurs au quartier dans l’école, ils ne prennent pas en compte l’impact que le trajet peut avoir sur l’enfant. La présence de Victor dans l’école, associée au fait que son père est enseignant, met en évidence le fait que sa scolarisation dans l’école est le résultat d’une stratégie éducative visant à fuir son lieu de vie - qui aurait dû conduire à une scolarisation en Seine Saint Denis- pour insérer son enfant dans un quartier aux caractéristiques différentes et dont les établissements sont d’abord réservés aux enfants y résidant, comme pour utiliser l’ascenseur social. Selon les données de 2012 de l’INSEE, le salaire horaire net moyen est presque trois fois plus élevé dans le 6ème

arrondissement (30,1 €) qu’à Bobigny (11,1€). La scolarisation de Victor dans l’école du 6ème

arrondissement lui permet également de pouvoir fréquenter le collège du quartier. Celui-ci amène les collégiens au lycée Fénelon, réputé comme un grand lycée parisien.

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L’entretien avec Victor laisse entrevoir le poids que l’école primaire peut avoir dans la construction d’un parcours scolaire permettant d’accéder aux grands lycées parisiens. La scolarisation dans cette école semble être, pour les parents de Victor, un moyen d’assurer une scolarité valorisée dans le système scolaire à leur enfant et révèle la différence entre la représentation de l’école primaire à Bobigny et le 6ème arrondissement de Paris. La

scolarisation dans ce dernier fonctionne comme un moyen de maitriser le système scolaire en s’y insérant par le biais d’une école publique située dans un quartier favorisé de Paris. Par ailleurs, cette rupture entre espace de vie et espace scolaire met en évidence les inégalités qui existent – tout au moins dans la représentation qu’ont les parents de Victor du système scolaire- entre les établissements scolaires en France. L’entretien avec Victor met donc en relief le lien entre scolarisation dans cette école du 6ème arrondissement et domination du système scolaire. Appartenir à cette école, c’est entrer dans un groupe social dominant et s’assurer d’avoir accès aux établissements scolaires parisiens les mieux classés dans le système éducatif. L’école du 6ème est donc un espace permettant aux élèves d’intégrer le

système scolaire secondaire par les sphères dominantes.

Les entretiens avec les élèves permettent d’avoir un regard sur la « classe à Paris » qui s’éloigne des constructions adultes inhérentes au projet d’urbanisme. Ce qui ressort des entretiens, c’est le renforcement de l’attachement des élèves pour leur arrondissement d’origine, après la mise en contact avec d’autres arrondissements. Par ailleurs, les entretiens révèlent que, pour certains élèves, le 6ème fonctionne comme un groupe social construit sur une association identitaire entre territoire et individu dont les caractéristiques sont celles d’une domination, sur les autres groupes sociaux, mais également au sein du système scolaire. Les élèves sont pris dans des rapports de classe qu’ils véhiculent dans leurs propos et leurs actions. Outre cette domination, le fait culturel est associé à un phénomène de « consumérisme », pour les élèves de cette école.

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III. L’opposition entre deux définitions de la culture et la prévalence d’une

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