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Diversification de la sociologie de l’éducation et recherches qualitatives

I. 1.2 à l’école comme institution reproductrice des inégalités

I.2 Diversification de la sociologie de l’éducation et recherches qualitatives

I.2.1 Sociologues de l’éducation en Afrique et dans le système global

Certains sociologues s’interrogent sur les systèmes éducatifs en Afrique en s’appuyant sur la sociologie de l’éducation. C’est le cas par exemple de Jean-Yves Martin et de Marie- France Lange.

Jean-Yves Martin est sociologue de l’éducation. Il mène des recherches en Afrique pendant plusieurs années. A partir d’un long travail de terrain, il questionne le système scolaire dans plusieurs pays d’Afrique en même temps que la notion d’inégalités. Dans son article, « Les écoles spontanées en Afrique subsaharienne »46 par exemple, il distingue les

notions d’éducation et de scolarisation. Il montre cependant que les deux notions sont des objets politiques qui font l’objet de « stratégies ». Il interroge plus précisément ce concept de « stratégie éducative » dans l’ouvrage, Les stratégies éducatives en Afrique subsaharienne (cf.

infra) et met en relief la spécificité de chaque stratégie en montrant comment elle est une

« démarche conjoncturelle » et non pas quelque chose de toujours fixe. Il aborde également la question des inégalités entre les élèves dans l’ouvrage, Inégalités régionales et inégalités

sociales : l’enseignement secondaire au Cameroun septentrional47. A partir d’une recherche

sociologique mais aussi historique, il donne un « cadre d’analyse » à cette notion. Ses recherches sont nouvelles en sociologie de l’éducation et permettent de penser des concepts et des notions dans des territoires autres que ceux habituellement étudiés dans ce domaine.

Marie-France Lange est une sociologue de l’éducation qui travaille aussi en Afrique. Son approche est fondée sur des enquêtes de terrain couplées avec des statistiques et l’utilisation de données issues d’autres domaines de recherche, l’économie par exemple pour comprendre le budget des familles.

Comme elle l’explique dans l’article, Vers de nouvelles recherches en éducation48, mener des

recherches sur le système éducatif en Afrique est récent : « les premières recherches sur l’enseignement en Afrique ont vu le jour vers les années 1920, mais c’est surtout après les

46. MARTIN J-Y., Les écoles spontanées en Afrique subsaharienne, Cahiers d'études africaines, 2003,

1, n° 169-170, p. 19-40

47. MARTIN J-Y., Inégalités régionales et inégalités sociales : L'enseignement secondaire au

Cameroun septentrional, Revue française de sociologie, 1975 (juil.-sep.), 16, n°3, p. 317-334

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indépendances qu’elles se sont développées. Elles émanent principalement d’une discipline, la sociologie (…). Cependant, la sociologie de l’éducation, à l’opposé de certaines branches de la recherche africaniste (anthropologie sociale, économique, historique...) est demeurée très marginale et n’a guère bénéficié que de recherches individuelles dont l’isolement n’a pas permis la reconnaissance ni la création des courants d’idées suscitant la confrontation et l’émulation scientifiques, comme l’atteste le faible nombre de publications. »49 Ces premières

recherches menées sur les systèmes éducatifs africains voient le jour entre les années 1950- 1970 et « il faut attendre les années 1990 pour assister au développement réel de ce champ d’étude. L’émergence de nouvelles recherches africanistes en éducation est donc relativement récente. Elle se caractérise à la fois par la diversité des approches, des terrains et des thématiques, et par l’arrivée de nouvelles disciplines, même si les travaux de sociologie de l’éducation demeurent dominants, tant en nombre qu’en influence. »50.

Marie-France Lange mène des recherches en Afrique francophone et s’intéresse au rapport des familles au système scolaire ainsi qu’aux liens entre territoire et éducation en Afrique. Avec Jean-Yves Martin par exemple, elle interroge les « stratégies éducatives » des familles dans l’ouvrage, Les stratégies éducatives des familles en Afrique subsaharienne. Pour expliquer comment définir ces « stratégies éducatives » les sociologues mènent des enquêtes de terrain qu’ils mettent en relation avec des données issues d’autres méthodologies. Comme le montre Raymond Lalliz, ils expliquent alors que « la stratégie emprunte les contours d’une démarche conjoncturelle, induite par des événements ponctuels et aléatoires, les décisions et les comportements étant ajustés en fonction de l’offre scolaire mais aussi de contraintes extrascolaires et de données familiales culturelles et sociales. »51 Marie-France Lange questionne également la notion d’« espace scolaire » dans l’article, Espaces scolaires en

Afrique francophone52. Mais, à l’heure actuelle, pour la sociologue, l’enjeu des recherches en

sociologie de l’éducation en Afrique est de comprendre les processus d’uniformisation et les différences : « les logiques d’uniformisation des systèmes scolaires africains (…) et ce qui

49. Ibid. p. 7 50. Ibid. p. 9

51. LALLEZ R. Résumé LANGE M-F, MARTIN J-Y., Les stratégies éducatives en Afrique

subsaharienne, Revue française de pédagogie, Année 1997, 118, n°1, p.168

52. LANGE M-F., Espaces scolaires en Afrique francophone, Ethnologie française, 2007, 4, n° 37, p.

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engendre des logiques de différenciation »53. C’est ce qu’elle s’attache à faire dans son article,

Ecole et mondialisation. Vers un nouvel ordre scolaire ?

Dans cet article, elle tente de comprendre la diffusion des normes dominantes dans le système globalisé. Elle invite à penser le système éducatif dans un contexte plus large que celui de la France et interroge les normes dominantes. Elle montre en effet qu’en Afrique, le système scolaire connait aujourd’hui une période dans laquelle les Etats mènent des politiques éducatives dépendantes des financements extérieurs, c'est-à-dire de ceux qu’elle désigne comme les « bailleurs de fond ». Ces derniers financent des projets éducatifs par étape. Chaque étape remplie débloque ou reconduit des fonds pour la suivante. De ce fait, les Etats mènent ces politiques dans les lieux où les chances qu’elles soient réussies sont les plus importantes, c'est-à-dire dans les lieux déjà favorisés. Ces politiques semblent donc renforcer les inégalités entre les élèves. Dans le même temps, la sociologue montre que ces politiques sont menées à une échelle internationale sans prendre en compte les conceptions symboliques des familles à l’égard de l’Ecole : « Le droit à l’éducation pour tous (Unesco 2000) affirmé lors de la Conférence de Jomtien a obtenu un large consensus de la part des Etats africains, mais, paradoxalement, les populations ne semblent guère avoir été consultées. »54 Or, pour la

sociologue, les représentations des familles, qu’elle a étudiées pendant plusieurs années (cf.

supra), sont un élément essentiel de compréhension des systèmes éducatifs puisqu’elles créent

des « stratégies éducatives » diverses : « Les représentations familiales de l'Ecole dépendent donc étroitement des relations qui s'instaurent entre les familles et l'Ecole (Henriot-Van Zanten 1988). Ces relations famille-Ecole relèvent de deux sphères principales qui dépendent l'une de la participation individuelle, l'autre de la participation collective. La première renvoie au degré d'articulation entre le processus de socialisation initié par la famille et celui mis en œuvre par l'Ecole, d'une part, et aux différentes modalités de l'accompagnement familial de la scolarité, d'autre part. La seconde est celle de la participation collective des familles au fonctionnement des établissements scolaires, notamment à travers leurs représentants associatifs (associations de parents d'élèves, comités de gestion de l'école...). Le degré d'articulation entre le processus de socialisation initié par la famille et celui mis en œuvre dans la scolarisation d'un enfant dépend en grande partie de la proximité culturelle que la famille entretient avec. Cette proximité est liée à l'histoire scolaire et sociale de chaque

53. LANGE M-F., Vers de nouvelles recherches en éducation, op. cit., p. 11

54. LANGE M-F., École et mondialisation Vers un nouvel ordre scolaire ?, Cahiers d'Études

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famille (…) »55 La prise en compte du rôle de la famille dans l’analyse du rapport entre enfant

et institution scolaire est essentielle pour la sociologue. Or, l’instauration de normes globales éducatives, en Afrique notamment, s’oppose à cette prise en compte du rapport familial au système éducatif. La sociologie de l’éducation doit, pour elle, s’intéresser à ce décalage, en Afrique, tout en s’inscrivant dans un cadre global.

Les travaux menés par Marie-France Lange ouvrent la sociologie de l’éducation à d’autres terrains d’étude, notamment des terrains autres que Français. Dans le même temps, ils questionnent les liens entre éducation et monde global et la diffusion de normes éducatives globalisées et font donc écho aux questionnements actuels des systèmes éducatifs. La sociologie de l’éducation s’est donc peu à peu ouverte à des recherches sur d’autres systèmes scolaires. Aujourd’hui, on assiste également à une modification de la méthodologie employée par les sociologues de l’éducation.

I.2.2 De la sociologie de l’éducation quantitative à la sociologie qualitative et du questionnement du rapport entre genre et éducation

Actuellement, il semble qu’il y ait un rapprochement entre la sociologie de l’éducation et les méthodologies qualitatives issues de domaines des sciences sociales comme l’anthropologie.

Julie Pagis est sociologue. Dans sa thèse, Les incidences biographiques du

militantisme en Mai 68. Une enquête sur deux générations familiales : des "soixante-huitards " et leurs enfants scolarisés dans deux écoles expérimentales, elle s’intéresse à deux écoles

alternatives fréquentées notamment par des enfants dont les parents ont fait mai 68. Son approche sociologique est à la fois quantitative et qualitative. Elle mène en effet des entretiens avec les différents acteurs de sa recherche, s’appuie sur des récits de vie et analyse sa propre expérience d’enfant de parents soixante-huitards pour comprendre son objet de recherche. Elle tente d’abord de comprendre les raisons qui ont poussé les parents des enfants scolarisés dans les écoles expérimentales à entrer dans les événements de mai 68. Les récits de vie sont un matériau important de cette première partie de la thèse. Dans un second temps, la sociologue « étudie les conséquences biographiques du militantisme en Mai 68 sur les

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trajectoires parentales »56. La troisième partie s’attache davantage aux enfants ayant été

scolarisés dans les deux écoles alternatives qui sont son terrain d’étude afin de comprendre, à partir d’entretiens et de questionnaires, quelle a été leur posture à l’égard de cette scolarisation. La recherche de Julie Pagis met en relief une approche différente de l’étude de la scolarisation en sociologie. La chercheuse s’appuie en effet sur une méthodologie ainsi qu’une sociologie plurielles qui soulignent l’actuelle porosité entre les disciplines de sciences sociales quand il s’agit de questionner la socialisation et l’éducation. Par ailleurs, l’ouverture de la sociologie de l’éducation à une approche qualitative s’accompagne aujourd’hui d’une articulation entre genre et scolarisation.

L’ouvrage de Julie Deville, Filles, garçons et pratiques scolaires. Des lycéens à

l'accompagnement scolaire, renforce ce propos. Sociologue et anthropologue, Julie Deville

est aujourd’hui maîtresse de conférences en sciences de l’éducation. A partir d’une enquête de terrain dans une association de soutien scolaire, la chercheuse tente de comprendre les différences de pratiques scolaires entre les filles et les garçons. Son immersion dans l’association et ses entretiens avec les élèves lui permettent d’aborder les différentes pratiques scolaires entre les filles et les garçons (quelles matières sont valorisées selon le sexe par exemple) en même temps que les attentes de la part de ceux qui donnent les cours de soutien et les présupposés liés au sexe des élèves. Ainsi, cette recherche met en évidence le lien actuel entre recherche sur les pratiques éducatives et le genre.

Les travaux menés aujourd’hui en sociologie de l’éducation ouvrent les recherches à une articulation de cette dernière aux méthodologies qualitatives. Par ailleurs, les recherches en sociologie de l’éducation interrogent le rapport de genre dans l’institution scolaire. Mais certains sociologues de l’éducation se tournent également vers un autre domaine de recherche en sciences sociales, quand il s’agit de penser l’école et les systèmes éducatifs : les sciences de l’éducation.

56. PAGIS J. Résumés de la thèse, référence disponible à l’adresse suivante : http://www.afsp.msh-

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