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Les contradictions entre les attentes des acteurs adultes et les préférences des élèves

domination sociale et scolaire

II.1. Les contradictions entre les attentes des acteurs adultes et les préférences des élèves

II.1.1 Le 6ème arrondissement plébiscité par les élèves

Les quatre sorties qui composent le projet visent à donner aux enfants un panorama de la ville en les faisant sortir du quartier où ils habitent. L’enseignante valorise ces sorties dans son discours sur les « classes à Paris ». Elle semble attacher une importance à ouvrir ses élèves à d’autres horizons, mais on peut se demander si cette ouverture ne peut avoir pour conséquence de montrer aux élèves combien ils sont favorisés d’habiter dans le 6ème

arrondissement. Dans ce cas, l’enjeu de ces sorties peut avoir l’effet inversé que celui mis en avant par la « classe à Paris » et l’enseignante. C'est-à-dire qu’au lieu d’ouvrir les élèves à apprécier d’autres quartiers, les visites les renforceraient dans leur appartenance à leur quartier d’origine. Pour sortir de cette vision adulte des effets de la classe d’urbanisme j’ai interrogé les élèves en entretien sur leur « sortie préférée ». L’idée était d’avoir un autre point de vue, pouvant être confronté à la construction imaginée par les adultes sur les possibilités offertes par les sorties et donc par le projet en matière d’ouverture territoriale et sociale à d’autres quartiers parisiens aux caractéristiques architecturales, socioprofessionnelles et socioculturelles différentes.

Sur vingt-et-uns élèves interrogés en entretien sur la sortie qu’ils ont préférée, la moitié répond avoir préféré celle dans le 6ème arrondissement. Les raisons invoquées sont liées à l’appartenance au quartier qui s’incarne dans l’utilisation du déterminant possessif « mon » dans les réponses : « mon quartier », mais également dans le fait que cette promenade leur a fait découvrir des endroits inconnus du lieu où ils vivent. Les autres promenades arrivent loin derrière celle du 6ème arrondissement dans le classement des enfants. Cinq élèves ont préféré

la visite dans le premier arrondissement, autour du Louvre. Les raisons évoquées sont principalement la beauté du quartier et la possibilité offerte d’habiller des lieux vides196 :

« c’était joli ». Arrivent ensuite à égalité les visites dans le 13ème arrondissement – préféré par deux élèves- et celle dans le 18ème autour de la Goutte d’Or. Une élève, Yollande, dit avoir apprécié toutes les visites dans les quartiers mais avoir moins aimé celle du 6ème

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arrondissement parce qu’elle le connaissait déjà. Ce qui donne un avantage aux visites, pour cette élève, est le fait de connaitre ou non les quartiers dans lesquels l’intervenante a amené les élèves. Pour Yollande, plus le quartier était connu, moins la visite a été appréciée. Les élèves ayant aimé le 13ème arrondissement ne justifient pas cette préférence. Tony est l’un d’entre eux.

II.1.2. Le renversement des attentes adultes

Cet enfant a des parents aux catégories socioprofessionnelles supérieures. Sa « mère

(…) est juriste et [s]on père il est chef d’entreprise. » Tony est bilingue et parle couramment

l’anglais américain : « Chez maman je parle tout le temps anglais et chez mon père français,

enfin parfois un petit peu anglais. (…) C’est anglais des Etats-Unis. Ma mère est américaine. Et en même temps j’apprends un peu le russe avec ma mère parce qu’elle est d’origine ukrainienne. » Avec ses parents, Tony va parfois au musée mais il n’y prête pas grande

attention. A la question, « Vas-tu souvent au musée ? Lesquels ? Avec qui ? » il répond, en entretien : « Jamais. Enfin j’aime pas le musée. Alors je sais même pas le nom…Je vais avec

l’école et avec mes parents je fais pas attention au musée. Par contre il y a des musées que j’aime bien comme le musée des jeux vidéo, ou des bonbons. » C’est un enfant qui a beaucoup

d’activités extrascolaires : « Moi je fais de la guitare, j’ai un violon mais je m’en sers pas. Je

joue au foot, du tennis, du golf, j’étais au conservatoire. Je fais du golf avec mon père. Je fais encore un peu de piano avec ma grand-mère à New-York. Moi tous les étés je dois aller à New-York, je suis obligé. » En revanche, il n’aime « pas lire parce que ça fait mal aux yeux. A force de lire ça fait mal aux yeux. Et moi il y a peut-être un seul type de livres que j’aime : c’est les BD. Sinon je trouve que c’est trop long ». Tony n’explique pas pourquoi sa sortie

préférée a été celle du 13ème arrondissement mais son portrait nous invite à replacer son choix dans un contexte familial favorisé dans lequel les voyages et la culture – qui transparait par la mention du musée et de la musique- est présente.

Guizmo quant à lui est l’un des deux élèves ayant beaucoup aimé la promenade dans le 18ème arrondissement car elle lui a permis de comparer cet arrondissement à celui dans lequel

il vit :

« Moi [j’ai préféré] le 18ème parce que je me rendais compte que le 6ème c’est un quartier riche et le 18ème je me suis un peu rendu compte de la différence de richesse.

164 Guizmo : Les immeubles, les voitures, les magasins, les gens. Et je me suis rendu compte de la différence et j’ai bien aimé parce que souvent on dit que c’est bien d’habiter dans les quartiers riches, souvent on dit ça mais ils ont jamais habité dans les quartiers riches et souvent ils ne sont jamais allés dans les quartiers pauvres et c’est bien de voir la différence. »

Guizmo a des parents politisés aux professions artistiques : « Moi mon père il est écrivain et

éditeur et ma mère elle est peintre et adjointe au maire ». De ce fait, les parents de Guizmo

l’emmènent souvent dans des lieux culturels. Ces sorties sont justifiées par l’enfant par la catégorie socioprofessionnelle de ses parents : « Moi je suis allé à pleins de musées parce que

ma mère est artiste. Je suis allé au musée du Louvre, du Quai Branly, pleins d’autres dont j’ai oublié le nom. Souvent c’était ma mère qui avait envie d’y aller et parfois moi. » De même,

Guizmo porte un intérêt particulier à la lecture. Il justifie cette attirance par la profession de son père : « Moi j’aime bien lire parce que mon père est écrivain, il m’a acheté plein de

livres, enfin plein de collections. J’aime bien lire un seul manga c’est…Death Note. C’est le seul manga que j’aime bien. Après il y a des B.D : Astérix des trucs comme ça ; plein de B.D. Et comme livre je lis…plein de livres.

E. : Et qu’est-ce qui te plaît quand tu lis ?

Guizmo : C’est que, par exemple, il y a une demi-heure devant soi, je lis et comme ça c’est passé vite. »

Guizmo est aussi un élève qui arrive à justifier ses réponses lors de l’entretien avec ses camarades et lui. A la question, « Selon toi, quel était le but de la classe à Paris ? », il répond :

« On a appris à voir…Parce que mon beau-père est architecte et on a fait plusieurs maquettes et moi je pensais que c’était plutôt facile et en en faisant je me suis rendu compte qu’en fait c’est pas si facile que ça. Et donc le but c’était ça et c’était aussi découvrir un peu Paris parce qu’on savait tous qu’il y a 20 arrondissements, et non pas 14 et moi j’en connaissais trois : mes grands-parents dans le 15ème, mon père dans le 6ème et ma mère dans le 19ème et le but c’était de voir un peu ce qui se passait dans les autres arrondissements, la culture, tout ce qui est pour les enfants… »

La réponse de Guizmo est en adéquation avec l’une des premières attentes formulée par l’enseignante, Marie. Pour lui, la « classe à Paris » a permis d’entrer dans l’urbanisme mais aussi de découvrir sa ville en sortant de ses habitudes territoriales. Cependant, cet enfant justifie cette capacité à comprendre le but de la « classe à Paris » par la catégorie

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socioprofessionnelle à laquelle appartient son père. L’entretien avec Guizmo éclaire son contexte familial en mettant en évidence la place des arts et de la culture (picturale et littéraire en particulier) de son éducation. La visite du 18ème arrondissement est pour Guizmo un moyen de rencontrer une autre société, dont il s’écarte cependant en employant les pronoms personnels « on » et « ils ». Sa préférence pour le 18ème arrondissement met en relief la distinction qu’il revendique entre ces habitants des « quartiers pauvres » et ceux de son quartier : « les quartiers riches ». C’est la différence de revenus entre les deux arrondissements qui est au centre de la comparaison de Guizmo que la sortie de la « classe à Paris » a permis d’expérimenter. Pour cet élève, la « classe » est une expérience permettant

« de voir », c'est-à-dire de porter un regard sur des quartiers et des gens radicalement

différents de lui-même. C’est donc une expérimentation qui lui donne à voir un groupe social différent, groupe social dont il se considère comme radicalement extérieur.

La majorité des élèves interrogés n’a donc pas été attirée par les autres quartiers découverts. Les sorties ont souvent fonctionné à l’inverse. Elles ont conforté les élèves dans la vision qu’ils avaient de leur quartier. Autrement dit, sortir du quartier avec la « classe à Paris » a été une ouverture spatiale vers d’autres territoires parisiens renforçant les élèves dans l’appréciation de leur quartier en même temps que leur sentiment d’appartenance au territoire et à ce qu’il implique. Cette dernière s’est vue doublée d’une valorisation : valorisation de la beauté du quartier et de sa propreté pour certains.

Les sorties n’ont pas fonctionné comme un moyen de rompre les barrières entre l’appartenance territoriale des élèves et les autres quartiers parisiens, contrairement au désir formulé par les acteurs adultes de la « classe à Paris ». La réaction majoritaire des élèves à ces sorties a été un attachement renforcé au 6ème arrondissement qui renforce un enfermement de classe. S’intéresser à l’appréciation des sorties par les différents acteurs de la « classe » en sortant de ce que J. Delalande qualifie d’ « adultocentrisme » au moyen des entretiens avec les élèves, a révélé des oppositions entre les attentes adultes et les réactions des élèves face au territoire parisien du 6ème arrondissement. Ce dernier s’est trouvé valorisé par les élèves lorsque ceux-ci ont eu en main des données leur permettant de comparer leur quartier avec d’autres quartiers parisiens. C’est le cas de Steev qui, en entretien, laisse entrevoir comment le fait d’habiter dans le 6ème est pour lui le symbole d’une domination sociale revendiquée.

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II.2 Une domination sociale revendiquée et justifiée par l’appartenance au

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