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La classe à Paris : une vitrine culturelle destinée aux parents d’élèves

LES LOGIQUES DE CONSOMMATION DANS L’ECOLE DU 6 EME

I.1. L’image d’une école culturellement dynamique et le positionnement dans le marché éducatif et scolaire

I.1.1 Les représentations contradictoires des enseignants

1.1.2. La classe à Paris : une vitrine culturelle destinée aux parents d’élèves

La volonté de la directrice et de l’enseignante d’obtenir une « classe à Paris » quelle qu’elle soit et non pas un projet précis s’inscrit dans une recherche plus large de donner l’image d’une école dynamique offrant aux élèves qui la fréquentent un choix éducatif qui ne se limite pas aux apprentissages fondamentaux dispensés à l’école primaire. Il s’agit pour l’école de se positionner vis-à-vis des parents mais aussi des autres écoles primaires du quartier. Autrement dit, il s’agit de donner à voir une école qui offre des projets culturels et

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artistiques sur le temps scolaire. La « classe à Paris » fonctionne dans cette école comme une vitrine destinée au marché éducatif dont les interlocuteurs sont les parents mais aussi les autres établissements du quartier.

En effet, en garantissant aux élèves plus que des enseignements fondamentaux, l’école obtient une image valorisée auprès des parents – parce qu’elle est différente et dynamique- mais se distingue également des autres écoles du quartier et se trouve de ce fait mise en relief dans l’offre scolaire. L’immersion dans cette « classe à Paris » permet de mettre en relief les contradictions entre la notion d’ « école publique gratuite » inscrite dans le système éducatif national, définie dans les textes officiels et présentée dans le système éducatif français, et un marché scolaire qu’on peut définir autour des concepts économiques d’offre et de demande. D’un côté il y a l’offre : l’ensemble des écoles primaires publiques ou privées dispensant les savoirs fondamentaux – apprentissage de la lecture, de l’écriture, du calcul, respect des programmes scolaires nationaux. De l’autre côté il y a la demande des parents d’élèves. Ces derniers attendent de l’école qu’elle remplisse les engagements de respect des programmes nationaux mais valorisent aussi parfois les projets artistiques, culturels et sportifs des établissements scolaires. L’école du 6ème s’inscrit dans ce jeu de marché en tendant à proposer

une offre dynamique, culturelle, artistique, c'est-à-dire haut de gamme et distincte de la moyenne nationale, sur le marché éducatif de l’école primaire. L’école crée une image valorisée par les parents dans le marché scolaire. Le positionnement de cette école dans ce dernier se fait à l’échelle des parents et en fonction des autres écoles du quartier. Il vise à amener les parents à choisir cette école plutôt qu’une autre191 pour y scolariser leurs enfants.

La présence d’écoles privées dans l’arrondissement renforce peut-être la nécessité de l’école de se positionner sur le marché scolaire en menant une politique conduisant les parents à scolariser leurs enfants dans cette école publique du quartier.

Ce positionnement sur le marché de l’offre et de la demande de cette école du 6ème se

joue également au niveau de la Mairie de Paris. Lors de mon terrain à l’école, je participe à la création des décors d’une adaptation de la pièce de théâtre Les Trois Mousquetaires. Le projet est conduit par Judith, comédienne qui mène un atelier théâtre à l’école (cf. infra), et Marie l’enseignante de la classe de CM2. Il est soutenu par la directrice de l’établissement scolaire. C’est un projet annuel créé par Judith à la demande de Marie. Celle-ci s’appuie sur le projet pour approfondir son programme scolaire en français et en histoire notamment mais aussi

191. La fin de la carte scolaire donne aux parents le choix de scolariser leurs enfants où ils veulent

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pour donner à voir aux parents d’élèves comment elle amène ses élèves vers de la littérature classique. A la fin du projet, une représentation est organisée pour les parents d’élèves de la classe. Carole, de la Ville de Paris est également invitée par Judith, l’enseignante et la directrice de l’école et elle vient à la représentation. Les membres de l’école sont ravis de voir Carole dans leur école mais également anxieuse face à cette présence qui incarne, à leurs yeux, la présence de la Ville de Paris dans l’espace scolaire. Le fait que Carole vienne à la représentation est un avantage pour elles, parce que c’est un moyen de renforcer leurs contacts avec le bureau des « classes à Paris » mais aussi une source de peur. Dans le même temps, cette présence à la représentation permet de donner à voir à Carole l’image d’une école qui attache de l’importance à la « culture ». Là encore, le projet culturel et artistique mis en place par l’enseignante fonctionne comme un instrument de mise en valeur de l’école et des enseignants qui y travaillent devant la Ville de Paris.

Le projet théâtre et la représentation de fin d’année mettent en scène l’ensemble des figures de pouvoir qu’on trouve dans l’école du 6ème et qui s’inscrivent dans la logique de

marché présente dans la politique éducative de cette école. Toutes les figures de pouvoir sont présentes à la représentation : la Ville de Paris, la directrice de l’école, les parents d’élèves, les acteurs culturels. Pour la directrice et l’enseignante le projet théâtre est une occasion de mettre en valeur le dynamisme culturel de l’école devant les parents d’élèves, c'est-à-dire les consommateurs de l’école, la Ville de Paris, c'est-à-dire la hiérarchie et les pourvoyeurs de projets culturels, artistiques, sportifs intégralement financés. Pour les parents d’élèves, la représentation est un moyen d’attirer l’attention de l’enseignante et de la directrice de l’école sur leur enfant et son parcours scolaire. En effet, les parents sont enthousiastes face à la représentation. Ils sont nombreux à prendre des photos, à féliciter Judith mais aussi Marie. Cette dernière répond à chaque question des parents dont certains utilisent la fin de la représentation pour l’interroger sur les résultats scolaires de leurs enfants. Pour l’enseignante, la représentation est un moyen de valoriser son enseignement devant les parents et une façon de se construire une image positive devant eux. Pour la directrice, la représentation fonctionne comme une vitrine donnant à voir le dynamisme culturel de son école.

La représentation fait donc de l’objet culturel un moyen de positionnement de l’équipe enseignante et de l’école dans le marché scolaire et politique – qui s’incarnent respectivement dans les parents d’élèves et Carole- et s’inscrit donc dans une perspective utilitariste. Cette représentation montre aussi que, pour ces acteurs de l’école, l’essentiel –implicite et jamais explicité- dans les projets reste la plus-value qu’ils confèrent à l’école auprès des autres

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écoles, des parents d’élèves et de la Ville de Paris. C’est un moyen de renforcer l’offre de l’école dans le marché scolaire. Ce dernier est donc marqué, dans cette école et peut-être dans cet arrondissement, par une utilisation de la culture comme d’un instrument valorisé à l’intérieur du système scolaire qui devient un marché dans lequel il y a une offre et une demande qu’il convient de satisfaire.

Mon immersion dans la « classe à Paris » et dans le projet théâtre a mis en évidence les rapports contradictoires entre parents, enseignants, école, Ville de Paris qui se cristallisent autour de l’objet culturel. Les contradictions entre les discours récités et ceux informels révèle le rapport au 6ème et à la culture des acteurs de l’école. Les rencontres autour d’un projet culturel entre enseignante, directrice, parents, Ville de Paris fonctionnement comme une représentation des intérêts individuels masqués par le fait culturel qui, s’il rassemble les acteurs, leur permet d’abord – sans que cela soit dit ouvertement- de se positionner sur le marché éducatif. Pour les parents cependant, ce positionnement revêt un aspect qui peut être approfondi.

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I.2. Assurer l’avenir de son enfant dans le système scolaire publique

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