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I. 1.2 à l’école comme institution reproductrice des inégalités

II.2 Paradoxes et enjeux de l’anthropologie de l’enfant

II.2.1 Paradoxes

Bien que l’anthropologie de l’enfant se diffuse en sciences sociales aujourd’hui, certains chercheurs notent qu’elle n’est pas très diffusée alors même qu’elle est en lien avec un questionnement sur la culture.

Dans un article au titre provocateur : « Pourquoi les anthropologues n’aiment-ils pas les enfants ? », L. Hirschfeld met en relief le paradoxe induit par le manque de recherches en anthropologie de l’enfant : alors que l’anthropologie considère la culture comme un élément acquis et non inné, peu d’anthropologues s’intéressent aux enfants. Or, pour le chercheur, l’anthropologie de l’enfance est nécessaire pour comprendre les enjeux culturels : « j’affirme ici que la culture ne peut être comprise autrement qu’à travers l’architecture cognitive des enfants, laquelle a évidemment partie liée avec celle des adultes »72. Il inverse ici ce que le sens commun pense : « les enfants ne deviennent pas ce que sont leurs aînés, ce sont plutôt leurs aînés qui deviennent ce que les enfants – ou plus exactement l’architecture de la pensée enfantine- leur permettent de devenir (…) »73 Ainsi, « peut-être [les anthropologues] n’aiment-ils pas les enfants, mais c’est à tort. »74. La thèse de L. Hirschfeld, si elle peut être

réfutée, postule l’importance, et même la nécessité, de s’intéresser aux enfants quand on aborde les questions culturelles. L’anthropologue articule donc la recherche en anthropologie culturelle à l’anthropologie de l’enfant. Il se demande par ailleurs pourquoi il y a un désintérêt pour les enfants comme objet d’étude anthropologique. Pour l’anthropologue, il y a plusieurs raisons.

D’abord, cela vient du fait que les enfants sont considérés comme des individus ayant peu de culture. Ensuite, dans la plupart des recherches, les enfants sont inclus dans la sphère sociale des femmes et sont donc souvent étudiés au travers du prisme de ces dernières et non comme des acteurs à part entière. Enfin, l’auteur note l’influence rousseauiste dans ce manque d’intérêt pour les enfants: « pour la plupart des anthropologues, l’image des enfants la plus communément évoquée est celle d’adultes en devenir »75. La définition même de l’enfant

72. HIRSCHFELD L. A., Pourquoi les anthropologues n’aiment-ils pas les enfants ? Terrain, 2003, 40,

p.11

73. Ibid. p. 23 74. Ibid. p. 26 75. Ibid. p. 6

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induit donc un manque d’intérêt pour l’étude de ce dernier comme un acteur autonome. L. Hirschfeld renforce ce propos en la replaçant dans le contexte de recherche américaine en avançant l’idée que la tradition américaine est, de façon plus générale, influencée par l’idée globale selon laquelle : « la théorie de la socialisation surestime (…) souvent l’influence des adultes »76. La position du chercheur met en relief les présupposés qui accompagnent la définition de l’enfant et soulève le fait que faire une recherche avec/ sur des enfants suppose de questionner la définition même de l’enfant. Plus que cela, pour Hirschfeld, les enfants ont leur propre culture, ou plutôt, ils ont deux cultures : « les enfants vivent dans les sphères culturelles des adultes avec lesquels ils partagent un certain espace - ce qui va de soi-, mais ils créent et maintiennent des environnements culturels propres »77. Les enfants sont donc au point de jonction entre deux sphères culturelles mais ne sont pas dans une simple mimesis de celle des adultes : « les enfants ne singent pas la culture, ils l’apprennent ou l’acquièrent »78. Pour l’anthropologue, les enfants ne sont donc pas de simples reproducteurs de la culture des adultes, ils sont acteurs de leur apprentissage culturel. Or, considérer que les enfants sont de simples reflets des adultes est une conception partagée : « l’hypothèse, habituellement tacite, est qu’en exposant un individu à une gamme de savoirs culturels, celui-ci en acquiert une version plus ou moins fidèle. (…) Il n’existe aucune confirmation sérieuse de l’hypothèse selon laquelle le savoir, et particulièrement le type de savoir abstrait contenu dans les schémas culturels, les modèles, les symboles clés ou les régimes de vérité, pourrait s’acquérir par simple exposition et sans que l’apprenant y joue un rôle considérable »79. Les savoirs culturels

ne peuvent, pour L. Hirschfeld, être appréhendés que par des acteurs, c'est-à-dire des individus -qui sont dans ce cas des enfants- conscients et actifs dans le processus d’acquisition, et non par de simples spectateurs. L’anthropologie de l’enfant offre donc des clefs de compréhension aux processus de transmission des savoirs culturels.

La position de L. Hirschfeld est particulièrement riche pour questionner les liens entre anthropologie, culture et institution scolaire. En effet, à partir d’un constat qui paraît simpliste et provocateur : les anthropologues n’aiment pas les enfants, le chercheur met à mal la définition habituelle de l’enfant qui ferait de lui un individu en devenir qui ne serait capable d’entrer dans la culture que par mimesis. En montrant que l’enfant est d’abord un acteur à part entière et un être culturel, il postule une anthropologie de l’enfant dans laquelle ce dernier

76. Ibid. p. 7 77. Ibid. p. 8 78. Ibid. p. 9 79. Ibid. p. 10

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acquiert la culture par des mécanismes qui lui sont propres. Cette anthropologie de l’enfant permet donc de postuler épistémologiquement qu’il y a des processus à étudier et à analyser quand on s’interroge sur l’art et la culture des enfants et que pour étudier ces processus il faut s’intéresser de près aux enfants tout en les considérant comme des acteurs à part entière. Ainsi, penser les liens entre culture et enfants à partir d’une perspective en anthropologie de l’enfant suppose donc d’admettre que la culture des enfants est influencée par les propres codes de ces derniers qui ne se contentent pas de les reprendre en les adaptant à ceux des adultes. L’anthropologie de l’enfant propose de se détacher des présupposés associés aux enfants et de sortir d’un paradoxe mis en évidence par L. Hirschfeld. Cette anthropologie soulève donc plusieurs enjeux épistémologiques.

II.2.2 Enjeux de l’anthropologie de l’enfant

Parce qu’ils touchent au monde culturel, les enjeux de cette anthropologie semblent être nombreux. Mais, comme l’expliquent Myra Bluebond-Langner & Jill E. Korbin dans leur article : « Challenges and Opportunities in the Anthropology of Childhoods: An Introduction to “Children, Childhoods, and Childhood Studies”80 l’anthropologie de l’enfance et des

enfants n’est pas universelle. La prise en compte de l’enfant en tant qu’acteur en est un élément déterminant, nous l’avons vu plus haut, mais cette prise en compte ne va pas de soi. L’un des éléments ayant permis un changement dans la considération et la définition de l’enfant semble être, pour Myra Bluebond-Langner & Jill, lié à la déclaration des droits de l’enfant : « The UNCRC was a pivotal event, not only in the development of policies for children but also in terms of scholarship. »81 La mise en place internationale des droits de l’enfant a donc eu un impact dans la prise en compte de ce dernier non plus seulement comme appartenant à d’autres catégories sociales mais bien comme un individu doté de droits lui faisant acquérir une autonomisation notamment dans la sphère juridique. Alors même que cette déclaration donne une place internationale à l’enfant, l’anthropologie de l’enfance n’est pas universelle. Elle comporte pourtant plusieurs enjeux.

L’anthropologie de l’enfant s’appuie sur une définition universelle de l’enfant mais n’est pas très répandue. Elle permet de donner à l’enfant une visibilité dans le domaine de la recherche en même temps qu’elle est légitimée par un cadre juridique international. Toutefois,

80. LEVINE R. A., Ethnographic Studies of Childhood : A Historical Overview. American

Anthropologist, 2007, vol. 109, n°2, p. 247-260.

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son manque de développement montre que cette définition juridique de l’enfant est insuffisante pour favoriser sa diffusion. L’anthropologie de l’enfant peut donc permettre de questionner les normes juridiques dites internationales et leur application.

D’autre part, l’un des enjeux de cette branche de recherche est d’interroger, d’une manière différente, les sphères de socialisation. En effet, comme nous l’avons vu, souvent, les recherches menées sur la socialisation des enfants, recherches portant sur l’école ou la famille, ont été menées à travers un prisme adulte. L’un des fondements de l’anthropologie de l’enfant, qui suppose de prendre en compte le regard de l’enfant comme celui d’un acteur à part entière, révèle l’inadéquation qu’il peut y avoir entre ces recherches et celles menées avec une perspective – plus ou moins importante- issue de la méthodologie de cette anthropologie. L’un des enjeux de cette dernière est donc d’apporter un regard différent sur des sujets de recherche touchant à l’enfance, à l’école, aux sphères de socialisation ayant déjà été abordées. Enfin, l’anthropologie de l’enfant, par sa définition même de l’enfant et son épistémologie, examine le regard de l’anthropologue et son rapport avec les individus auprès desquels il est en immersion. Cette anthropologie invite le chercheur à effectuer un changement de perspective et à remettre en question sa méthodologie afin qu’elle prenne en compte l’enfant comme un acteur à part entière. Comme dans une révolution, elle pousse le chercheur à se positionner différemment face à son objet de recherche en le déconstruisant et en le reconstruisant en s’appuyant sur un regard et une analyse issus d’un individu plus jeune et dont le statut a pendant longtemps – et est toujours- moins considéré que celui des adultes. L’un des enjeux de l’anthropologie de l’enfant est donc de repositionner le chercheur afin qu’il reste dans la lignée de la méthodologie de l’anthropologue tout en ne sous-estimant pas le rôle de l’enfant dans son terrain d’étude. Les enjeux épistémologiques d’une anthropologie de l’enfant sont importants et ont des conséquences sur un objet de recherche en anthropologie de l’éducation, en particulier s’il questionne l’école. On peut donc s’interroger sur les conditions de réalisation d’une telle anthropologie aujourd’hui.

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