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Conditions de réalisation d’une anthropologie de l’enfant aujourd’hu

I. 1.2 à l’école comme institution reproductrice des inégalités

II.3 Conditions de réalisation d’une anthropologie de l’enfant aujourd’hu

II.3.1 Le changement de regard du chercheur et le rôle du contexte historique et sociétal

Julie Delalande est une anthropologue de l’enfance et de la jeunesse dont les travaux sur la cour de récréation en France sont éclairants pour comprendre les conditions de réalisation d’une anthropologie de l’enfant aujourd’hui, comme nous l’avons vu. Mais sa recherche lui permet aussi de la penser d’un point de vue conceptuel. Dans son article « Des recherches sur l'enfance au profit d'une anthropologie de l'école »82, elle met en relief plusieurs conditions nécessaires à la réalisation d’une anthropologie de l’enfance.

L’une des premières conditions de réalisation d’une telle anthropologie est la nécessité de « dépasser une approche « adultocentrique » des enfants au sein de l’école »83, c'est-à-dire rompre avec une tradition du XIXè siècle selon laquelle : « seule une socialisation verticale, des adultes vers les enfants, est souhaitable »84. Cette rupture permet de se détacher du regard d’adulte –et des présupposés qu’il contient- pour travailler avec les enfants. Elle suppose que le chercheur accepte de remettre en cause sa supériorité d’adulte pour son travail de recherche avec les enfants. La rupture du regard est donc concomitante à un changement radical dans la définition du mouvement de socialisation. Cette perception est difficile à mettre en œuvre et rompt avec une longue tradition épistémologique. Elle est aussi le résultat de changements historiques.

A partir des années 1970, la place de l’enfant dans la société évolue. Ce changement est propice au développement de l’anthropologie de l’enfant. Les changements sociétaux des années 1970 et 1990 ont en effet eu une incidence sur cette rupture. A cette période, une modification des « rapports entre générations »85 et la multiplication de relations moins autoritaires entre parents et enfants sont apparues. A la même époque, la sociologie a commencé à s’intéresser aux enfants pour eux-mêmes. La modification de la société est un des éléments ayant permis l’émergence du détachement du regard autoritaire de l’adulte sur les habitudes des enfants et est un des terreaux du développement de cette anthropologie. Des chercheurs comme Suzanne Mollo, qui « est l’une des premières en France[, a avoir] (…)

82. DELALANDE J., Des recherches sur l'enfance au profit d'une anthropologie de l'école, Ethnologie

française, 2007, 4, 37, p. 671-679.

83. Ibid. p. 671 84. Ibid. p. 672 85. Ibid.

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point[é] la nécessité pour les scientifiques d’étudier l’école du point de vue des enfants et de leurs relations entre eux »86, ont tenté d’appliquer cette anthropologie de l’enfant en se détachant des présupposés du regard adulte. Avant cela, en ethnologie, M. Mead et M. Mauss avaient déjà mis en question l’idée selon laquelle il y aurait « un déterminisme biologique »87

en faisant « éclater le modèle d’un enfant unique dans la diversité des cultures humaines »88 et en questionnant ainsi l’idée d’un comportement enfant généralisé. Dans les années 1990, Perrenoud induit quant à lui une sortie du fonctionnalisme dans les recherches sur l’école. Il écrit en 1994 qu’il faut « sortir d’une vision fonctionnaliste où les individus sont agis par les institutions sociales »89.

Pour Julie Delalande, entre 1970 et 1990, la position de l’enfant dans la société a donc évolué vers une conception de l’enfant de moins en moins considéré comme un être n’ayant pas une place à part entière dans la société. Pendant cette période, les recherches ont aussi donné peu à peu à l’enfant une image hétéroclite mettant à mal l’idée d’un être universel en devenir et ont rompu avec une image lisse et inintéressante – car toujours la même- dans l’ensemble des sociétés. De ce fait, pour l’anthropologue, cette rupture a modifié les recherches sur les enfants : « l’enfant est [alors] perçu comme acteur de sa socialisation. A l’école, le concept de

« métier d’élève » [Perrenoud, 1994] met au jour les compétences de celui-ci et le sens qu’il

donne à son travail quotidien »90. Entre 1970 et 1990, on assiste à une prise en compte de la singularité de chaque enfant91 dans la société mais aussi dans la recherche. Elle est

accompagnée d’un mouvement qui infléchit les relations autoritaires entre adulte et enfant qui est une des conditions de réalisation de l’anthropologie de l’enfant. Ces éléments historiques, associés aux recherches faites à l’époque favorisent l’émergence de cette branche de recherche. A l’heure actuelle, cette dernière tend à sortir de son champ propre de recherche afin de diffuser dans d’autres domaines de recherche sa conception de l’enfant.

86. Ibid. 87. Ibid. p. 673 88. Ibid. 89. Ibid. p. 672 90. Ibid.

91. Les pédagogies de l’enfant qui apparaissent à la fin du 19ème siècle avaient déjà remis en cause le

57 II.3.2 Le rapprochement de l’anthropologie de l’enfant avec d’autres disciplines

L’anthropologie de l’enfant évolue aujourd’hui en se rapprochant d’autres disciplines des sciences sociales. Julie Delalande92 montre par exemple que, « sur la période contemporaine, la limite est plus floue entre le regard des sociologues et celui des anthropologues porté sur les enfants au sein de l’école, car ils se nourrissent des théories et concepts des uns et des autres (…) »93. Parlant des sociologues, elle écrit qu’ils « abandonnent

en partie une méthodologie quantitative des années 1970 adaptée à l’analyse du fonctionnement de l’école comme institution sociale, et empruntent aux anthropologues leur méthode de recueil de données »94. Elle parle par ailleurs d’une socio-anthropologie « d’abord adoptée par les chercheurs américains de l’éducation aux Etats-Unis [et qui] profite d’une large diffusion par le fait des travaux de l’école de Chicago »95 dans laquelle elle s’inscrit.

Aujourd’hui, et depuis les années 2000, les recherches sur l’enfant et l’école sont donc marquées par une porosité entre les disciplines en sciences sociales en France. Pour Julie Delalande, « la recherche sur l’école s’enrichit donc, d’une part, d’une recherche sur l’enfance qui prend en compte les élèves comme acteurs, parfois motivés par d’autres buts que ceux définis par l’institution scolaire. D’autre part, la compréhension de l’école s’approfondit grâce à une approche pluridisciplinaire »96. On assiste donc à une diffusion de l’anthropologie de l’enfant, y compris dans des recherches extérieures à l’anthropologie. Cette diffusion participe à une évolution des recherches sur l’éducation et l’enfant en tendant à ouvrir ces dernières à plus de pluridisciplinarité.

L’anthropologie de l’enfant a pu se réaliser grâce à un contexte historique qui a mis à mal le lien autoritaire entre enfant et adulte mais surtout grâce à un changement de regard sur l’enfant. Son épistémologie suppose un changement en pratique du regard de l’adulte chercheur sur l’enfant. Actuellement, cette anthropologie se développe en rompant avec les frontières disciplinaires et se diffuse donc dans les recherches.

92. DANIC I., DELALANDE J., RAYOU P., Enquêter auprès d’enfants et de jeunes. Objets,

méthodes et terrains de recherche en sciences sociales, op. cit.

92. Ibid. p. 6-7 93. Ibid. 94. Ibid. 95. Ibid. p. 7 96. Ibid. p. 8

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L’anthropologie de l’enfant, qui s’est d’abord développée aux Etats-Unis, a évolué. Partant de monographies puis avançant vers une perspective plus quantitative, elle est aujourd’hui menée par les anthropologues de l’enfant à partir d’une perspective qualitative. Cette anthropologie a pu émerger grâce à une remise en cause du positionnement des chercheurs face aux recherches incluant des enfants. Les changements sociétaux infléchissant le rapport autoritaire entre parent et enfant ont également favorisé le développement de cette branche de recherche. Pourtant, celle-ci souffre aujourd’hui encore d’un manque de valorisation qui semble trouver son origine dans l’image de l’enfant et les présupposés qu’elle contient. L’anthropologie de l’enfant est donc paradoxale, ses enjeux sont multiples et touchent à la fois à la méthodologie et à l’épistémologie anthropologique. Elle tend toutefois aujourd’hui à diffuser ses concepts dans d’autres domaines des sciences humaines et sociales telles que la sociologie. Mais les recherches sur l’école restent majoritairement menées à partir d’une perspective sociologique –tendant à avancer vers plus de recherches qualitatives- alors même qu’il existe une anthropologie de l’éducation.

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III. L’anthropologie de l’éducation et les différentes influences

épistémologiques sur la recherche menée

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