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LES « CLASSES A PARIS » : UN DISPOSITIF EXCEPTIONNEL

III.1. Des entretiens collectifs et ludiques avec les enfants

III.1.1. La méthodologie du groupe, avantages et limites

III.1.1.1 Trouver des outils pour dynamiser les entretiens

Pour avoir un point de vue plus spécifique sur la « classe à Paris » et pour replacer les interactions entre les acteurs de ces dernières, il était important de pouvoir mener des entretiens directement avec les enfants. Sur le terrain, il m’arrivait de pouvoir parler avec eux en petit groupe ou en face-à-face. Mais les entretiens, réalisés à la fin des projets, permettaient d’avoir un face-à-face plus long avec les enfants sans qu’une tierce personne soit présente ou puisse intervenir. Les enseignants ont demandé l’autorisation aux directeurs des établissements pour que je puisse réaliser les entretiens. Ils ont tous accepté. Seule Aline a demandé une autorisation écrite aux parents d’élèves. Plusieurs parents n’ayant pas complété l’autorisation, des élèves n’ont pas participé aux entretiens. C’est donc dans un des quartiers les plus aisés, dans une classe où les parents étaient extrêmement impliqués dans l’éducation de leurs enfants et dans le fonctionnement de l’école qu’il y a eu une autorisation écrite pour que je puisse mener des entretiens avec les enfants.

Pour les entretiens, il m’a paru plus pertinent de créer des groupes. Cela permettait aux enfants d’être moins intimidés par ma présence, le magnétophone ou l’entretien même et

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donnait un dynamisme à la discussion. Des recherches menées par des anthropologues à l’école ont valorisé les entretiens collectifs avec les élèves174.

Il est vrai que certains élèves timides peuvent être influencés par d’autres plus extravertis lors des entretiens. Dans le même temps, il est toujours intéressant de voir les caractères qui se dégagent pendant les entretiens et de les comparer avec ce qui a été vu pendant le déroulement des projets. D’autre part, la question de l’influence n’est, à mon sens, pas plus importante pour les enfants que pour les adultes, c'est-à-dire que ce n’est pas parce qu’il s’agit d’entretiens collectifs avec des enfants que les acteurs peuvent être plus influençables que des adultes interrogés en entretien collectif. Lors des entretiens, je n’ai par ailleurs pas ressenti l’influence de certains enfants sur les autres. Lorsque les réponses des uns suivaient celles des autres, j’essayais en général de demander à l’enfant qui avait répondu la même chose de reformuler ou d’expliquer ce qu’il voulait dire par là. Comment se sont déroulés les entretiens ?

Chaque enfant piochait une question dans un sac. Il la lisait à voix haute, y répondait, puis les autres enfants y répondaient également. Les questions concernaient la « classes à Paris » mais aussi les habitudes culturelles ou de sorties des enfants, leurs activités extrascolaires, la langue parlée le plus à la maison, le métier des parents… Faire piocher les questions aux enfants rompait avec le côté protocolaire et autoritaire d’un entretien dans lequel j’aurais posé des questions. Cela donnait aussi un côté ludique à l’exercice. Les enfants se sont tous pris au jeu, mis à part quelques élèves de l’école du 18ème. Certains enseignants

étaient par ailleurs étonnés de voir que les enfants ressortaient des entretiens contents et que les autres élèves étaient impatients d’y venir. Gérard par exemple m’a dit, après les deux premiers entretiens : « Je ne sais pas ce que tu leur fais mais ils sont contents et veulent tous

venir ». Les propos de Gérard traduisent son étonnement et une pointe de rivalité à mon

égard. Il assistera à deux entretiens avec ses élèves et moi (cf. infra). La méthodologie appliquée a été construite autour d’une recherche de dynamisme. Il s’agissait, pour moi, de rendre les élèves actifs tout au long de l’exercice et de donner à ce dernier un aspect ludique afin que les élèves aient envie d’y participer et donnent envie à leurs camarades de classe d’y venir.

174. Je m’appuie sur deux documents de B. VRIGNON, son mémoire de D.E.A mais également un

entretien avec G. ALTHABE qui n’a pas été publié mais auquel j’ai pu avoir accès. VRIGNON B.

Eléments pour une approche ethnologique de l’établissement scolaire : l’école primaire du Bout des Pavés à Nantes-Nord – 87 p. Mémoire de D.E.A : Ethnologie : Paris (EHESS), 1985.

127 III.1.1.2 La formation des groupes et la figure d’autorité de l’enseignant

La formation des groupes a été un élément intéressant à analyser. J’ai expliqué aux enseignants comment j’allais procéder pour les entretiens par mail et de vive voix. J’ai envoyé les questions ainsi que le déroulement de l’exercice aux enseignants pour qu’ils puissent me dire s’ils étaient d’accord avec les questions (la réponse a toujours été positive et je n’ai jamais eu à modifier les questions) et le déroulement des entretiens. J’ai mis également en avant le fait que je changerais tous les prénoms des enfants afin qu’ils gardent leur anonymat. J’expliquais également qu’il me semblait plus favorable au bon déroulement de l’entretien de laisser les enfants choisir eux-mêmes avec qui ils souhaitaient être en groupe.

Gérard, Aline, Clara et Marie ont laissé les enfants choisir leurs groupes. Gérard et Marie ont assisté à quelques entretiens. Je leur avais dit que cela ne me dérangeait pas. Gérard, en particulier, a beaucoup aimé voir ses élèves pendant les entretiens notamment parce qu’il a appris des choses sur eux qu’il ne connaissait pas. Ce fut le cas pour un élève parlant couramment le turc, né en Turquie, dont le père vit toujours en Turquie et qui possède une usine de sauce tomate. Gérard ignorait tout de cette partie de la vie de son élève. Marie a écouté un entretien depuis son bureau, lorsque j’étais dans la salle de classe, pour voir comment trois élèves présentes s’exprimaient. Après l’entretien elle m’a expliqué que celui-ci avait confirmé son opinion sur ces élèves, à savoir que leur niveau d’expression était « très

faible ». Ces enseignants ont utilisé les entretiens que je menais pour observer leurs élèves

dans un autre contexte que celui de la classe. Les laisser assister à ceux-là n’a pas bloqué les élèves et a calmé les craintes ou la curiosité des enseignants qui m’ont ensuite laissée mener seule le reste des entretiens.

Camille quant à elle a utilisé la liste des élèves et l’ordre alphabétique pour créer les groupes. Elle m’a expliqué qu’ainsi, les données seraient plus fiables parce que les groupes étaient

« aléatoires ». Dans le choix des groupes, l’expérience scientifique de Camille, son passé de

pharmacienne et de chercheuse semble avoir refait surface.

Iris quant à elle a choisi de faire des groupes beaucoup plus grands que ce que j’avais préconisé. Je lui avais dit qu’il me semblait préférable de créer des groupes de trois à quatre élèves. Or, elle m’a imposé des groupes allant jusqu’à huit élèves. Les deux premiers entretiens ont été très difficiles à mener. Des élèves ont quitté la salle, d’autres sont apparus alors qu’ils n’étaient pas dans le groupe, certains ont été irrespectueux, voir menaçants à mon

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égard. Quand j’en ai parlé à Iris elle m’a expliqué que « c’était fait exprès », afin que j’aie

« le plus dur au début » et que je puisse « repartir sur un bon souvenir ». Dans son choix de

groupe, Iris a souhaité imposer son autorité en me montrant que c’était elle qui décidait de ce qui se passait dans sa classe – même si elle me donnait l’illusion de me laisser mener les entretiens comme je voulais puisqu’elle n’a assisté à aucun entretien. De même, elle a souhaité construire l’image que j’allais me faire des élèves en pensant que ce qui ressortirait de mon analyse serait la fin des entretiens qui se sont déroulés avec les bons élèves de la classe et les plus calmes. Autrement dit, elle a tenté de façonner l’image que je brosserai de sa classe.

Les entretiens en groupe ont éclairé la posture des enseignants à l’égard de mon travail de recherche mais également de leur perception de leurs élèves. Les limites inhérentes à cette méthodologie, telles que l’influence des enfants, la répétition des réponses entre les enfants ne sont que très peu apparues dans mon travail et il n’est pas certain qu’elles aient été liées au statut d’enfant de ces acteurs.

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