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LES « CLASSES A PARIS » : UN DISPOSITIF EXCEPTIONNEL

II.1 Le budget des classes à Paris

II.1.1 Un budget souvent remis en question

Nous avons vu que les « classes à Paris », par la façon dont elles sont construites, tendent à être des outils de démocratisation culturelle puisqu’elles tentent de rompre, pour les enfants, les barrières symboliques et financières d’accès à la culture. Dans le même temps, elles reposent sur une volonté de faire remonter la rupture avec ces deux barrières vers les parents, notamment parce qu’elles sont bâties sur une pédagogie sociale. Mais, à leur commencement, les « classes à Paris » étaient payantes.

En fonction de leur quotient familial, les familles versaient une participation financière pour le déroulement des classes. Cette participation variait de 1,04€ (quotient familial inférieur ou égal à 234€) à 9,35€ (quotient familial supérieur à 2100€) par jour. En 2008, la Ville a décidé que cette participation ne pouvait plus être demandée aux familles parce que les « classes à Paris » se déroulaient sur le temps scolaire. J’apprends cette modification du dispositif lors de mon deuxième stage au BVSPVP. Lors de mon premier stage en effet, je n’avais jamais entendu parler d’une participation financière des familles. L’argument qui a été avancé était que celle-ci remettait en cause la gratuité de l’école primaire publique entre tous les enfants. Demander aux parents de participer financièrement à un projet obligatoire pour les enfants sur le temps scolaire mais qui n’était pas obligatoire pour tous les enfants de la collectivité était considéré comme inégalitaire.

J’ai interrogé les acteurs du bureau sur cette modification. Pour eux, ce changement, justifié par la Ville, n’induit pas un bénéfice pour les « classes » parce qu’il provoque une diminution de la visibilité du dispositif aux yeux des familles. Officiellement, lorsqu’un enfant expérimente une « classe à Paris », le dispositif est mentionné dans le document « Facil’ Familles »144 remit aux parents avec une ligne indiquant : classe à Paris « 0€ ». Dans la

144. Facil’ Familles « est un service de la mairie de Paris qui permet : de faire depuis Internet (…) des demandes d'inscription à certaines activités périscolaires (…), - de recevoir une seule facture pour toutes les activités périscolaires (hors restauration scolaire), le conservatoire municipal et les Ateliers Beaux-Arts, de payer par

prélèvement automatique ou par CB sur Internet» selon le souhait des familles, comme cela est expliqué sur la page Internet : http://www.paris.fr/facilfamilles

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pratique, les acteurs du BVSPVP sont sceptiques quant au bon remplissage de cette fiche car il repose exclusivement sur les directeurs/ directrices d’école. Ce scepticisme met en relief plusieurs tensions.

D’abord, entre l’organe politique de la Ville et les acteurs de l’Education nationale. Pour le premier, qui s’incarne dans les acteurs du BVSPVP, les seconds n’ont que peu d’intérêt à prendre le temps de valoriser un dispositif gratuit offert par la Ville car cela ne leur donne pas de plus-value. Ensuite, la question financière entre Ville de Paris et Etat soulève le rapport entre une politique éducative et culturelle menée par une commune et les bénéfices engendrés par cette dernière.

La question budgétaire des « classes à Paris » est revenue plusieurs fois au cours des stages que j’ai pu faire au BVSPVP. A chaque stage, il y avait une annonce de baisse de budget. L’information arrivait au compte-goutte, avec suspense et dramatisation145 de

l’événement : « on va perdre des classes ». C’est ce qui était d’abord annoncé. La question financière était donc toujours abordée de manière détournée : par la métonymie du nombre de classes. Si le nombre de classes diminue, cela signifie qu’il y a moins d’argent dans le budget. Par ailleurs, la baisse de budget annoncée suivait la ligne hiérarchique descendante : le ou la chef de bureau prévenait son adjoint qui annonçait aux acteurs des « classes à Paris » qu’il fallait faire un prévisionnel avec moins de classes. Mais les annonces n’étaient jamais claires, ou plutôt, jamais chiffrées exactement. Ce processus induisait une tension dans le bureau. Les acteurs des classes faisaient des prévisionnels fictifs. Les « classes à Paris » étaient, dans ces moments, toujours présentées comme des dispositifs résultants de la bonne volonté de la Ville et dont le coût pour cette dernière était présenté comme insoutenable compte tenu de la situation financière de la Ville. Dans un mouvement de répétition, le dispositif des « classes à Paris » est rapporté, au moment du budget, à la nécessité économique de la Ville.

Pour mon deuxième terrain – année scolaire 2013-2014-, le budget s’élevait à 476 003,24 € pour 274 classes. A ce budget, il faut ajouter 52 030,00 € et 20750 € de frais de transport. Le premier montant correspond au budget RATP, le second aux frais d’autocar. Tout inclus, le budget des classes à Paris s’élevait donc, pour l’année 2013-2014 à 548 783,24€. Il était réparti de la façon suivante pour les classes : 125 classes culturelles et artistiques pour un

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montant de 296 908,73 € ; 25 classes scientifiques pour un montant de 81 048,86 € ; 33146

classes d’urbanisme pour un montant de 72 228,15 €. Les classes les plus nombreuses sont celles culturelles et artistiques. Ce sont aussi celles qui comportent le plus de projets différents. Par ailleurs, pour l’année scolaire 2013-2014 il y a eu 17 types de classes proposées aux CP, 14 aux CE1, 33 aux CE2, 54 aux CM1 et 49 aux CM2. Plus les élèves sont âgés plus il y a de classes qui leurs sont proposés. L’âge des élèves semblent donc jouer dans la construction des projets. Les élèves de CM2 se voient toutefois proposées moins de classes que ceux de CM1, peut-être l’enjeu de l’entrée en sixième et/ou des programmes scolaires intervient-il.

La répartition du budget semble corroborer l’idée selon laquelle l’un des enjeux des « classes à Paris » est d’amener aux enfants la culture et les arts dans un double cadre : celui de la démocratisation culturelle et celui de la pédagogie sociale. L’investissement financier de la Ville pour ces projets tend à faire disparaitre la barrière pécuniaire qui peut s’élever quand on parle d’accès à la culture. Mais pour voir si cet investissement financier de la Ville de Paris est réellement important, nous allons le comparer avec celui des classes de découvertes qui sont aussi financées par la Mairie pour les enfants des écoles primaires publiques parisiennes.

II.1.2 Les classes de découvertes : autre incursion de la Ville de Paris dans le domaine de l’éducation nationale

Les classes de découvertes sont créées à des fins hygiénistes dans les années 1950 en France. Elles font parties de la politique menée par la Ville de Paris auprès des écoles primaires mais il n’y a aucun document écrit au sein du BVSPVP datant leur création au sein de la Mairie de Paris. Leur bureau se situe aussi au BVSPVP de la DASCO. Parce qu’elles se déroulent sur le temps scolaire et qu’elles sont présentées par la Ville de Paris sur la même page Internet que les classes à Paris, mais avant ces dernières, la question de leur budget est éclairante pour comprendre le fonctionnement des « classes à Paris » en même temps que le budget de ces dernières.

146. Le nombre de classes d’urbanisme est gonflé par un nombre important de classes « Ateliers Ville »

- 30 pour l’année 2013-2014. Les « Ateliers Ville » visent les élèves du CP au CM2. Elles se déroulent sur 5 séances adaptées à l’âge des enfants et visent à faire penser le thème de la Ville aux enfants avec une pédagogie adaptée à la classe concernée.

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Elles sont regroupées autour de « cinq thématiques : neige, mer, équitation, verte et culture (patrimoine, science et arts). »147 Les classes de découverte culture sont gérées par la coordinatrice technique des « classes à Paris ». Ces classes sont financées par la Ville mais nécessitent une participation financière des parents allant de 1,18€ (quotient familial inférieur ou égal à 234€) à 17,95€ (quotient familial supérieur à 2500€) par jour et par enfant. On remarque que même pour le quotient familial le plus élevé, le montant total d’une classe de découverte s’élève à 179, 50€ par enfant.

Au départ, ces classes duraient 20 jours. Actuellement, elles durent 10 jours. Comment expliquer cette diminution du nombre de jours ? Les personnes en charge des classes de découverte ont dû faire face à des diminutions de budget. Deux choix s’offraient à elles : réduire le nombre de classes, réduire les temps de séjour. Lors des stages, j’ai pu, à travers des discussions informelles questionner le choix qui a été fait. Il m’a été rappelé que le but premier de ces classes était de sortir les enfants – et surtout les enfants issus des quartiers défavorisés de la Ville- de Paris pour les amener voir autre chose tout en leur donnant des règles de vie conformes à la norme sociale dominante : un lit pour un enfant, douches tous les jours, repas à heures fixes. Ainsi, la temporalité des classes de découvertes est un élément essentiel pour les acteurs des classes de découvertes car ces dernières doivent créer un sentiment de vie en communauté et se faire le relai de normes sociales qui ne peuvent être mises en application que sur un temps long. Quand il y a une baisse de budget, il y a un choix délibéré de maintenir le nombre de jours du séjour mais de diminuer le nombre de classes qui partent. Cependant, l’annonce de la baisse de budget148 pour les classes de découvertes m’a

semblé, pendant nos stages, moins fréquente et surtout moins théâtralisée. C’est un dispositif dont la diminution de budget ne signifie pas l’abandon mais la modification du nombre de classes.

Cette différenciation dans la gestion de l’annonce de baisses budgétaires nous invite à penser le rôle de chacun des dispositifs pour la Ville de Paris. En d’autres termes, il s’agit de questionner le retour sur investissement attendu par la Ville dans sa politique éducative qui articule l’échelle communale à celle nationale en matière d’éducation. Les classes de découverte ont un budget bien supérieur à celui des « classes à Paris ». D’après ce que j’ai vu sur le terrain, les classes de découvertes sont aussi bien plus connues par les parents que les «

147. Source disponible à l’adresse suivante : http://www.paris.fr/pratique/ecoles/fonctionnement-des-

etablissements/les-actions-educatives-sur-le-temps-scolaire/rub_7463_stand_1909_port_17234

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classes à Paris ». Elles sont également très appréciées des enseignants car elles sont parfaitement encadrées149. Bien que les classes restent sous la responsabilité des enseignants, ces derniers sont très épaulés par la Mairie de Paris. Même les départs dans les différentes gares parisiennes sont assurés par des vacataires rémunérés par la Ville – leur rôle est d’amener les classes au quai où part le train. La notoriété des classes de découverte auprès des parents pèse certainement dans l’absence de « menace » d’abandon du dispositif à chaque baisse budgétaire. Le budget des classes de découvertes se compte en millions d’euros. Elles sont très connues auprès des administrés de la Ville de Paris. En revanche, les « classes à Paris » sont peu connues par les administrés et leur budget, qui varie autour d’un demi-million d’euro est chaque année remis en question et menacé de disparition.

Cette comparaison permet de mettre en regard l’outil de terrain de cette thèse à un autre dispositif du temps scolaire au sein de la Ville de Paris. Ainsi, si les « classes à Paris » paraissent, à l’échelle d’autres communes, un projet d’éducation artistique et culturelle d’envergure et singulier, quand on les remet dans la perspective moins large de la Ville de Paris, leur budget est minime. Pourtant, ce dernier est souvent diminué et la menace d’une disparition du projet est souvent avancée, notamment parce que ce type de projets ne relèveraient plus des attributions de la collectivité. Si l’on poursuit cet argument, on pourrait se demander quel est le rôle de la collectivité en matière de classes de découvertes. Or, pour ces dernières, l’argument de disparition n’est jamais avancé. Cette comparaison avec les classes de découverte montre que la question du budget interroge une question plus large, celle du jeu politique et celle de l’emboîtement des échelles d’intervention d’un « appareil idéologique d’Etat »150. Pour comprendre de quelle manière on peut qualifier les « classes à

Paris » il convient à présent de voir comment le fait que le dispositif se déroule sur le temps scolaire articule des enjeux politiques, étatiques et locaux.

149 . Tant du point de vue logistique –départs et retours en gares ferroviaire, qualité des centres

d’accueil et de la restauration- que du point de vue financier –la participation financière des parents ne couvre pas tous les frais de la classe mais l’école concernée ne doit pas se charger de trouver des fonds pour pouvoir la financer.

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