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LES « CLASSES A PARIS » : UN DISPOSITIF EXCEPTIONNEL

III.3. Les entretiens avec les intervenants : avoir accès à un autre regard sur les « classes à Paris » et les relations entre les figures adultes dans la classe

III. 3.1 Des intervenants aux profils très différents

III.3.1.2 Les animateurs dans les « classes à Paris »

Certains intervenants des « classes à Paris » sont issus du milieu de l’animation. C’est le cas de Luc qui est un des animateurs de la « classe » « Du Télégraphe à Internet » et avec qui j’ai pu réaliser un entretien et de Dana et Marc qui animent ensembles la classe « Aéronautique » avec lesquels j’ai réalisé des discussions informelles sur leur parcours plutôt que des entretiens.

Luc est animateur pour la Ville de Paris et travaille au Centre de Ressources. Il y mène des projets avec les enfants, sur le temps scolaire ou extrascolaire. Au départ, Luc a un BEP comptabilité puis un diplôme dans l’animation. Il s’est spécialisé en maternelle. Cette spécialisation a été pour lui très importante car elle lui a permis de questionner la transmission des savoirs. A cette occasion, il a découvert les sciences humaines et cela a été pour lui une « révélation ».

Luc se définit comme « autodidacte ». Il a une « passion pour la psychologie de l’enfant et la pédagogie » et tente de se questionner pour transmettre au mieux aux enfants ses connaissances. Il s’appuie globalement sur une méthodologie qu’on pourrait rapprocher de la maïeutique bien qu’il ne la définisse pas ainsi. Luc en effet essaye de s’appuyer sur le « bagage des enfants », parce qu’il « croit au potentiel en friche des enfants », en les questionnant pour le connaître et adapter sa prestation à chaque groupe. Il essaye de « connaître leur représentation mentale pour adapter le contenu à chaque classe ». Il avoue que c’est un exercice difficile mais cela reste son objectif. De même, il cherche constamment à « faire des connexions » car il considère qu’il est difficile pour les enfants de lier les choses entre elles car « ça ne fait pas système » alors que lui s’inscrit dans « une démarche systémique ».

Luc est donc un acteur pour lequel sa profession permet de se former sur des questions de transmission de savoirs, de psychologie et de pédagogie. Il adopte dans la « classe à Paris » une posture de transmetteur de savoirs dont l’un des rôles est de donner aux enfants des savoirs tout en s’adaptant à chaque enfant.

141 Dana et Marc sont tous deux issus de l’animation. Marc est ingénieur du son mais il est animateur auprès des enfants et dans l’association qui mène la « classe à Paris » pour gagner sa vie en attendant de trouver un emploi dans sa branche. Il aime par ailleurs travailler avec les enfants. Il est attentif avec eux, leur laisse la parole et les aide à réaliser les projets à leur façon. Dana est également animatrice dans cette association. Elle travaille également dans les centres de loisir et donne des cours de danse. A la différence de Marc, elle laisse moins de place à l’autonomie des enfants. Elle privilégie le bon déroulement du projet aux tâtonnements des enfants qui apparaissent parfois dans le projet. Tous deux ont été formés par l’association pour pouvoir animer la classe « Aéronautique ».

Les entretiens avec les intervenants ont permis d’avoir un autre point de vue sur le dispositif. Certains intervenants étaient à l’origine de la création de « classes à Paris », d’autres non. Les intervenants ont été d’accord pour faire des entretiens avec moi. Selon le contexte des entretiens –lieux publics avec beaucoup de bruit ou non par exemple- ils étaient enregistrés ou je prenais des notes. Pour certains intervenants, de nombreuses discussions se sont substituées à des entretiens formels. Certains intervenants ont été favorables à participer aux entretiens individuels parce qu’ils attendaient en échange mon avis sur le déroulement de la classe à Paris. Cela a été le cas avec Luc pour qui l’exercice était l’occasion d’échanger sur la pédagogie et aussi sur le ressenti des élèves quant à la façon dont le projet avait été mené. Même s’il attendait que je lui donne mon point de vue sur la manière dont il avait transmis ses connaissances et sur la réception des élèves, Luc a accepté de faire un entretien avec moi parce que c’était pour lui l’occasion d’expliciter son intérêt pour la pédagogie et la transmission des savoirs. D’ailleurs, ce n’est qu’à la fin de la conversation que Luc m’a demandé mon avis et mes réponses ont été très évasives. Ces face à face ont permis de replacer les propos et la façon de mener les « classes » des acteurs dans leurs parcours personnels. De ce point de vue, les entretiens avec les intervenants s’inscrivent dans une démarche anthropologique classique.

142 III.3.2 Les refus d’entretien : par qui ? pourquoi ?

La seule intervenante qui a refusé un entretien avec moi a été Charlène. Charlène a mené la « classe » d’urbanisme à l’école du 6ème.

Etudiante en architecture, elle mène des « classes à Paris » depuis deux ans. Elle n’a pas beaucoup d’expérience dans ce domaine. En parallèle de l’école du 6ème, elle mène une autre « classe » dans le 13ème arrondissement. Là-bas, les élèves sont, pour Charlène, beaucoup plus inventifs et ont un rapport beaucoup moins lié à l’argent, aux magasins ou au luxe que dans le 6ème arrondissement. Elle cherche à donner des idées nouvelles aux élèves de l’école du 6ème en créant des mimes lors de la visite du 18ème arrondissement. Autrement dit, elle cherche à adapter la « classe » aux élèves Elle est assez timide, sa voix ne porte pas trop quand elle s’adresse à la classe. Elle arrive souvent en retard pendant la « classe » et garde parfois son chewing-gum quand elle s’adresse aux élèves.

Lorsque je lui demande si elle est d’accord pour faire un entretien avec moi, Charlène m’explique qu’elle doit en parler à sa responsable et que c’est seulement avec son accord qu’elle pourra accepter. Au fil des semaines, alors que je réitère ma demande, elle me donne toujours la même réponse. Comme j’ai l’adresse mail de sa responsable, parce que c’est la responsable de l’association qui mène la « classe à Paris », je lui envoie plusieurs mails en lui demandant si elle est d’accord, pour que nous fassions un entretien –avec ou sans Charlène. La responsable de l’association me répond qu’elle est d’accord mais qu’elle est occupée et qu’elle me renverra un mail pendant l’été 2013 –qui suit la « classe à Paris » pour que nous convenions d’une date de rencontre. Je reviens vers elle en septembre et elle ne me donne toujours aucune date.

Lors de mon second stage au BVSPVP, Claire lui en parle directement par téléphone –je suis présente dans le bureau- et la responsable de l’association confirme qu’elle va me recontacter pour que nous puissions fixer une date. Elle ne m’a jamais recontactée. Charlène et la responsable de son association ont refusé, sans jamais l’avouer clairement, de faire un entretien avec moi.

La raison de Charlène était clairement une peur de dire des choses qui auraient pu ne pas être approuvées par sa responsable et remettre en cause sa place au sein de l’association. Pour la responsable, plusieurs raisons peuvent être supposées : son refus de se justifier sur les projets qu’elle mène, son absence d’envie de partager son point de vue sur les « classes à Paris », sa

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volonté de ne pas être exposée dans un travail doctoral. D’après ce que j’ai compris en effet, l’association avait des liens assez étroits avec divers partis politiques, en particulier avec Anne Hidalgo qui était en course, à l’époque, pour la Mairie de Paris.

Les entretiens ont été une étape importante de l’approche méthodologique du terrain car ils ont mis en lumière les attentes, les analyses et les parcours des acteurs prenant place dans le dispositif des « classes à Paris » dont l’appréhension par immersion avait posé question. Ils se sont inscrits dans la méthodologie anthropologique de cette recherche doctorale tout en s’appuyant sur l’anthropologie de l’enfant quant aux entretiens avec les élèves.

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Conclusion

Ce chapitre méthodologique est une voie d’entrée, d’abord descriptive, dans les différentes sphères qui ont composé mon terrain de recherche. Ce dernier s’est articulé autour des écoles dont l’une des classes suivait une « classe à Paris » mais aussi autour du bureau des « classes à Paris » de la Ville de Paris, au moyen de stages.

Ceux-ci m’ont permis de créer des contacts avec les responsables des « classes à Paris » et ont favorisé mon arrivée sur le terrain auprès des autorités scolaires –académie, chefs d’établissement. Même si, pendant les stages, mon rôle n’était pas lié à mon statut d’anthropologue, tous mes interlocuteurs ont toujours été avertis de l’objet de ma recherche doctorale. Ainsi, ces stages m’ont permis d’avoir accès aux interactions entre les différents acteurs administratifs des « classes à Paris » tout en étant partie prenante de ces interactions.

L’immersion dans les écoles a été une difficulté méthodologique de mise en application de la démarche anthropologique. En effet, le terrain ne pouvait être mené de manière continue dans chaque école en dehors des projets de « classe à Paris ». La notion même d’immersion continue a donc été mise à mal par la nature du terrain qui était singulière parce qu’il était discontinu d’un point de vue temporel mais également parce que les individus du terrain pouvaient difficilement être « suivis » au-delà de la « classe à Paris ». Comment résoudre ces difficultés ? La principale résolution s’est trouvée dans la nécessité de considérer les interactions entre les différents acteurs dans l’espace et le temps de la classe, entendue comme l’ensemble des individus suivant le projet –intervenants, enfants, enseignants, parents parfois- dans des lieux hétérogènes. Par ailleurs, le fait de s’immerger dans des projets et des écoles des différents quartiers et arrondissements de Paris aux caractéristiques socioculturelles différentes et aux constructions imaginaires différentes dans mon esprit, a contribué à inscrire le terrain dans une démarche comparatiste. Celle-ci a accentué la démarche anthropologique de la méthodologie adoptée pour l’étude de mon objet de recherche.

Les difficultés inhérentes à mon terrain d’immersion – fractionné et discontinu- ont renforcé l’importance de m’entretenir avec les différents acteurs des projets afin d’ouvrir les perspectives sur ces derniers et afin d’avoir des éléments permettant la déconstruction et la reconstruction de l’objet de recherche à partir de points de vue variés. Ainsi, les entretiens ont permis d’avoir une analyse des intervenants sur la « classe à Paris » mais aussi de rayonner de cette dernière vers la sphère familiale et le parcours personnel des individus. La démarche des

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entretiens a été menée en parallèle pour les adultes et les enfants. Certes, il y a des manques concernant certaines questions posées aux enfants. Certains en effet ignoraient par exemple la profession de leurs parents, mais cela n’a pas amenuisé leurs propos ou leur capacité à exprimer leurs sentiments sur les projets.

Les entretiens en groupes avec les enfants ont aussi permis de sortir de ma perspective de chercheuse adulte sur les projets, en même temps que de la vision des adultes –intervenants, parents, administratifs- des « classes à Paris ». Cette posture, qui a été analysée en particulier par J. Delalande, a permis de décentrer mon regard sur l’objet d’étude et de prendre de la distance à l’égard de ce dernier, ce qui était difficile, compte tenu du faible éloignement entre mon terrain et ma vie quotidienne. Cette perspective a ouvert une approche originale sur l’objet d’étude et m’a aidée à me construire une image d’anthropologue éloignée de la figure adulte d’autorité auprès des enfants.

Les entretiens avec les adultes ont été une voie d’accès au parcours personnel des acteurs. Ce dernier a favorisé ma compréhension du rapport à la culture et à l’Ecole des acteurs. Par ailleurs, les entretiens, décidés à l’avance avec ceux-là ont permis de mettre en parallèle les différents discours des acteurs adultes : ceux qui étaient tenus de manière formelle, avec moi, en entretien, ceux qui étaient tenus avec moi de manière informelle et ceux qui étaient tenus devant moi avec d’autres acteurs. Ainsi, la mise en perspective des différents discours a été un point d’entrée dans les contradictions qui pouvaient définir certains acteurs des « classes à Paris ».

La rencontre avec les parents a été un autre aspect problématique de ce travail doctoral. Lorsque les parents étaient membres des associations de parents d’élèves, ces dernières semblaient être le moyen le plus favorable à leur rencontre. Cependant, malgré mes nombreuses sollicitations, les parents n’ont pas répondu à mes demandes. Ceux que j’ai réussi à rencontrer étaient accompagnateurs lors des sorties « classes à Paris ». Le temps passé avec eux étaient donc très court mais il permettait de questionner leur présence et d’avoir leur point de vue sur la séance à laquelle ils assistaient. Les échanges avec eux n’ont pas remis en question les propos tenus par les enfants. De ce point de vue, ils ont renforcé l’importance de la prise en compte de ces derniers dans la construction de la méthodologie anthropologique utilisée, mais mise à mal, par ce terrain d’étude.

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CONCLUSION

DELAPARTIE

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La première partie de cette thèse a été une partie théorique qui visait à contextualiser cette recherche doctorale, tant sur le plan épistémologique que méthodologique.

Dans le premier chapitre, la singularité des recherches en anthropologie de l’éducation, en France, a été mise en avant. En effet, en éducation, les recherches principalement menées depuis de nombreuses années sont orientées sous l’angle de la sociologie même si celle-ci se détache quelque peu, dans le domaine de l’éducation, des méthodes quantitatives pour se tourner davantage vers une approche qualitative. Une anthropologie de l’enfant émerge par ailleurs depuis quelques années en France. Elle vise à construire des recherches faisant de l’enfant un acteur à part entière de ces dernières. Cette recherche sur l’Ecole s’appuie sur cette prise en compte de l’enfant proposée par l’anthropologie de l’enfant. Elle se distingue des recherches majoritaires faites sur l’Ecole en ce qu’elle est entièrement anthropologique. Elle se situe à l’échelle micro puisqu’elle questionne un dispositif d’éducation artistique et culturelle dans six classes.

Le second chapitre a visé à déconstruire cet outil de terrain, c'est-à-dire le dispositif des « classes à Paris ». Pour ce faire, ce dernier a été replacé dans le contexte micro de la politique menée l’échelle de la Ville de Paris et dans le contexte national des réformes de l’éducation et des politiques de la refondation de l’Ecole de la République impulsées dès 2012. A ce contexte s’ajoute une analyse plus conceptuelle du dispositif au moyen du concept d’ « appareil idéologique d’Etat » de L. Althusser. Ce dernier éclaire les mécanismes de fonctionnement des « classes » et les enjeux politiques et idéologiques qui s’en dégagent.

Enfin, le troisième chapitre a abordé la question de la méthodologie anthropologique au regard de l’objet d’étude de cette thèse et en particulier de l’institution qu’est l’Ecole. Même si le terrain d’étude a été difficile à analyser avec la méthodologie anthropologique parce qu’il était discontinu, coupé et regroupait des acteurs évoluant sur un temps court, le terrain a produit des connaissances parce qu’il a été appréhendé au moyen de l’immersion et des entretiens prenant en compte l’ensemble des acteurs – en particulier les enfants- pour déconstruire et reconstruire les « classes ». La deuxième partie de cette thèse, consacrée au terrain, va permettre une analyse problématisée de ce dernier.

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PARTIE

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TERRAIN

Cette deuxième partie de la thèse est constituée du terrain qui s’est déroulé pendant deux années scolaires consécutives : 2014-2013, 2013-2012 dans six écoles présentées de manière descriptive au chapitre 3 de la première partie.

La rencontre entre le dispositif suivi et les classes dans lesquelles il prenait place a permis de faire émerger des perceptions et des imaginaires différents tant autour de l’objet « Ecole » que de celui « culture ». C’est donc le contact entre les acteurs des « classes » et ceux des classes qui a favorisé le dévoilement ou l’émergence, devant ou en les projetant sur l’anthropologue, d’une pluralité d’images d’écoles marquées, ou plutôt traversées par des phénomènes sociétaux. Ces derniers infléchissent l’image d’une école homogène qui évoluerait en dehors de la société globalisée. Cette hétérogénéité n’empêche pas la mise en évidence de points communs dans les logiques de fonctionnement des écoles rencontrées.

Ainsi, ces dernières peuvent être regroupées par deux sans pour autant se trouver prises dans une classification. Les associations autour desquelles est construite cette seconde partie consacrée au terrain s’appuient sur des points communs entre les écoles que la démarche anthropologique de cette thèse de doctorat a révélée en offrant un horizon de comparaisons. Cette démarche a élargi les possibilités d’appréhension des inégalités qui se jouent dans l’Ecole tout en tissant des rapprochements entre les classes. Selon l’ouverture ou la fermeture des écoles devant l’extérieur, mais aussi en fonction des mécanismes de fonctionnement des classes elles peuvent être regroupées en trois groupes -sections A, B, C.

La partie « A » de cette seconde partie met en exergue deux écoles traversées par des phénomènes de consommation. Ce mouvement intrinsèque permet de rapprocher une école du 6ème arrondissement et une école du 2ème arrondissement dans les chapitres 4 et 5.

La partie « B » réunit quant à elle deux écoles dans lesquelles l’organisation repose sur un mouvement de l’autorité à la défense des classes devant l’extérieur. Ces deux écoles, situées dans le 19ème et le 18ème arrondissements, prennent place aux chapitres 6 et 7.

Enfin, la partie « C » rassemble aux chapitres 8 et 9 deux écoles dont les enseignantes avancent avec leurs élèves vers l’extérieur de l’enceinte scolaire.

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PARTIE A

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