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Comme il a été suggéré plus haut (voir page 47), l’utilisation de méthodes complémentaires peut renforcer la validité des résultats. Ceci émerge du fait que, en recherche- action comme en recherche par le design, une seule source de données est analysable et l’expérience ne peut pas être reconduite en s’attendant aux mêmes résultats.

Discutant des méthodes qualitatives dans le contexte de la validation d’hypothèse, Kelle propose que ladite validation ait besoin d’un test indépendant des données originales : « la condition préalable du test indépendant est qu’une hypothèse doit être testée avec un matériel empirique différent de celui sur lequel cette hypothèse s’est développée99 » (2004, p. 455). Ainsi, même si la recherche par le design nous permet d’arriver, légitimement, à certaines conclusions, on ne pourra les valider que si ces conclusions sont comparées aux conclusions d’une recherche complémentaire et indépendante.

98 Traduction libre de : « data reduction ».

99 Traduction libre de « the prerequisite of independent testing requires that a hypothesis is tested with the

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Nous pourrons, avec la recherche par le design en phase 2, comprendre, d’un point de vue interne à la conception, les avantages et inconvénients de l’approche choisie en phase 1. Conduire une étude indépendante et complémentaire nous permettra de valider les conclusions de la phase 2 et, de fait, de comparer l’état 2’ (celui visé par notre design) avec l’état 2 (la situation réelle sur laquelle aboutira l’utilisation du produit).

Ainsi, nous organiserons des séances de jeu, utilisant le jeu conçu en phase 2, pour comprendre les effets du jeu sur l’expérience des joueurs. Nous utiliserons une combinaison d’observation puis de groupe de discussion pour, respectivement, obtenir des données sur leur comportement en jeu, puis compléter notre perception des comportements et comprendre l’expérience ressentie.

Cette partie de la recherche a été approuvée par le Comité plurifacultaire d’éthique de la recherche de l’Université de Montréal (numéro de certificat : CPER‐18‐032‐D)

2.3.1 - Observation

L’observation consiste principalement à intégrer une situation pour y observer sa population. On la définira ainsi : « être à l’intérieur et autour d’un contexte social actif dans le but de faire une analyse qualitative de ce contexte100 » (Laperrière, 2009, p. 316, citant Lofland en note de bas de page 12). On observe donc une situation « avec l’intention de répondre à quelque question théorique à propos de la nature d’un comportement ou d’une organisation sociale101 » (Angrosino, 2007, p. 54).

Bien que ces définitions décrivent de manière simple le rôle et les objectifs de l’observation, d’autres détails doivent être considérés lorsqu’on planifie l’utilisation de cette méthode. De ces détails font partie les suivants : (1) le choix du terrain, (2) le rôle du chercheur et (3) la structure de la cueillette de données.

Ces options vont maintenant être discutées.

100 Traduction libre de « being in and around an ongoing social setting for the purpose of making a

qualitative analysis of that setting ».

101 Traduction libre de « with the intention of responding to some theoretical question about the nature of

55 2.3.1.1 - Choix du terrain

Le terrain est choisi en fonction de sa pertinence sociale et théorique, donc il doit s’amarrer à la problématique du projet (Clow et James, 2014).

Ce terrain pourra être naturel ou artificiel102. Un terrain naturel, là où le contexte social existe déjà ou apparait de lui-même, permet de faire l’observation de réactions plus spontanées, mais n’offre pas beaucoup de contrôle au chercheur ; le participant pourrait être distrait par des facteurs non planifiés appartenant naturellement au contexte, tandis que le comportement à observer pourrait tarder à apparaitre. Le terrain artificiel, quant à lui, est créé de toutes pièces pour favoriser l’apparition du contexte social visé. Ce type de terrain offre beaucoup de contrôle au chercheur, mais les participants agiront en fonction du fait qu’ils sont observés.

Dans notre projet, l’activité sera bien entendu provoquée, autant de fois que nous le jugerons nécessaire, dans un lieu que nous offrirons aux participants (on pourra aussi, au besoin, se déplacer vers leur lieu de jeu habituel).

Le terrain sera donc artificiel. 2.3.1.2 - Rôle du chercheur

2.3.1.2.1 - Dissimulation

Dissimuler la recherche, donc ne pas avouer à la population qu’elle est observée, offre des données plus riches et proches du déroulement naturel des activités de la population, mais pose également des problèmes éthiques et techniques, liés à l’enregistrement sans permission des données (Brewer, 2003 ; Laperrière, 2009).

À l’inverse, l’observation ouverte causera probablement une modification du comportement des membres de la population, rendant moins naturel le déroulement de ses activités. Cette observation évite cependant tous problèmes techniques ou éthiques (Laperrière, 2009). Lorsque l’observation est avouée aux participants, il est nécessaire d’établir un lien de confiance complet, en les avertissant de tous les aspects de la recherche :

« La présentation de la recherche aux participants observés doit comprendre ses objectifs, son organisation, ses étapes et sa durée prévue, ses commanditaires, les sous-groupes qu’elle touche et la disponibilité qu’elle exigera des répondants. Cette présentation devra

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être à la fois exhaustive, claire, véridique et neutre ; de plus, elle doit montrer comment la recherche servira les intérêts des observés et leur garantira l’anonymat. » (Laperrière, 2009, p. 322).

Si l’on révèle exactement les objectifs de la recherche, nous croyons possible que les joueurs modifient leur façon de jouer en fonction de ces objectifs.

Toutefois, il est évident qu’il sera difficile, et peu utile, de provoquer les séances de jeu sans avouer l’existence de l’observation aux joueurs. De plus, nous croyons qu’il est possible de tirer profit du niveau d’engagement que propose l’activité ludique pour faire ‘oublier’ aux joueurs qu’ils sont observés, surtout s’ils croient que l’objectif de l’observation est justement de comprendre leur façon naturelle de jouer.

Nous opterons donc pour une observation ouverte, mais les hypothèses et l’objectif du projet de recherche ne seront divulgués qu’à l’issue de l’observation et du groupe de discussion, dans le but de ne pas influencer le comportement des joueurs. Les participants seront donc avertis que leur manière de jouer est observée par le chercheur.

2.3.1.2.2 - Niveau de participation

Durant sa recherche, le chercheur peut opter pour l’un des deux niveaux de participation dans la population : l’observation non participante et l’observation participante (Handley, 2008) :

 L’observation non participante n’implique aucune intégration de la population, sinon la présence physique du chercheur parmi eux ;

 L’observation participante, dans laquelle le chercheur intègre la population et y tient un rôle. Les liens de confiance tissés avec les participants peuvent augmenter la qualité des données recueillies et minimiser les chances d’enregistrement d’informations erronées ou fausses, causées par l’envie des participants de bien paraitre. Évidemment, le tissage de ces liens demandera une présence relativement longue à l’intérieur de la population (Jorgensen, 1989, citant Johnson, 1975).

Les participants seront avertis qu’il s’agit d’un projet de recherche. Aussi, nous croyons que l’observation participante risquerait d’influencer grandement le style de jeu et les actions

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des participants, qui verraient possiblement le chercheur comme un modèle à suivre pour bien jouer.

Nous opterons donc pour une observation non participante. 2.3.1.3 - La cueillette de données

Il existe deux grandes approches de la prise de notes : l’observation structurée et l’observation non structurée (Clow et James, 2014 ; McKechnie, 2008b).

2.3.1.3.1 - Observation non structurée

L’observation non structurée permet à l’observateur de choisir, durant l’observation, quelles sont les actions et les réactions à enregistrer, le tout dans une approche plus narrative (McKechnie, 2008c). Ceci ne requiert qu’une connaissance minimale des possibilités du terrain, ce qui fait justement la force de la méthode d’observation.

Avec cette méthode, on pourra établir des liens entre les observations et la problématique du projet, afin d’en faire ressortir des hypothèses. Ces hypothèses pourront ensuite nous permettre d’affiner l’étendue des événements à enregistrer jusqu’à saturation des données observables, c’est-à-dire jusqu’à que les nouvelles observations enregistrées n’apportent plus de nouvelles informations pertinentes pour la problématique (Angrosino, 2007 ; Laperrière, 2009). Évidemment, cette approche peut être plus coûteuse en temps et les données enregistrées au début du processus seront probablement incomplètes et moins pertinentes.

2.3.1.3.2 - Observation structurée

L’approche structurée requiert une connaissance poussée du terrain, assez du moins pour savoir, dès l’arrivée du chercheur, quelles actions devront être enregistrées. Les concepts observés auront déjà une définition opérationnelle, donc « une description du concept ou de la variable basée sur la manière dont les mesures seront faites durant l’étude103 » (Morgan et Morgan, 2009, p. 42). On pourra ignorer tous les autres comportements jugés inutiles à la recherche rendant le processus beaucoup plus efficace.

103 Traduction libre de « a description of a concept or variable based on how it will be measured in the

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L’approche structurée permet aussi l’utilisation d’un horaire d’observation, délimitant les moments où l’observation est faite et permettant de garder une trace précise (âge, sexe, titre professionnel, nombre de personnes, caractéristiques du lieu) des personnes qui sont observées sous forme d’un formulaire — qui peut même inclure une liste à cocher ou une grille permettant de noter plus rapidement les comportements à observer (McKechnie, 2008a).

L’approche structurée entraîne également le danger que la grille d’observation influence le chercheur dans son travail, causant des distorsions dans ses notes (le chercheur attribue un comportement à un code parce que ce code est présent dans la grille).

Malgré ces quelques défauts, l’observation structurée nous semble appropriée puisque les comportements à observer devraient correspondre à ceux qui sont planifiés depuis le design du jeu et, même, depuis la création du cadre théorique. En outre, le chercheur possède une longue expérience des terrains semblables, étant lui-même joueur de jeux de rôles depuis vingt- six ans. Ses interprétations et sa grille d’observation sont donc issues de plusieurs contacts avec de tels artéfacts et avec la communauté des rôlistes (joueurs de jeux de rôle), ce qui assure un degré important de confiance sur la reconnaissance des comportements, tout en diminuant les risques de distorsions des observations.

2.3.1.4 - Conclusion sur l’observation

Nous utiliserons donc une méthode d’observation ouverte, non participante et structurée en terrain artificiel.

Il restera tout de même à comprendre si les comportements sont bel et bien issus des causes que nous croyons responsables, un aspect sur lequel l’observation ne peut nous aider. Pour compléter les données recueillies durant l’observation, nous utiliserons ensuite le groupe de discussion.