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NOTE : Les paragraphes suivants s’appuient lourdement sur la revue de littérature ayant été produite autour de la recherche par le design et ayant été co-publiée par le même designer-chercheur comme

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acte de conférence (Godin et Zahedi, 2014). Toutefois, la section contient toutes les références originales.

Nous croyons que la meilleure manière d’arriver à comprendre l’acte et la pratique du design est d’utiliser une approche de recherche par le design. Nous récolterons donc nos premières données lors de la conception d’un jeu, avec le modèle conceptuel et théorique construit en phase 1.

La recherche par le design est cependant au centre de quelques débats. Nous devrons donc d’abord nous positionner parmi ceux-ci, puis discuter de l’impact de ce choix pour notre recherche.

2.2.1 - Positionnement

La recherche en design est, pour certains, une activité inconfortable. Entre autres, Sir Christopher Frayling souligne l’opposition de perspectives entre la recherche — qui se concentre sur le présent et le passé — et le design — qui se concentre sur le futur.

« En ce qui concerne les artistes, artisans et designers, le mot ‘recherche’ — le ‘mot r’ — semble parfois décrire une activité qui diffère significativement de leur pratique respective. L’insistance verbale52 que l’on fait sur la première syllabe — le ‘re’ — implique qu’on doit constamment revisiter les mêmes choses, alors que l’art, l’artisanat et le design sont évidemment orientés vers la nouveauté53. » (Frayling, 1993, p. 1)

Contrairement à Frayling, certains diront que tout acte de création ou de design est un acte de recherche, proposant de fait que le design ne doive pas se plier au paradigme de la recherche, mais plutôt l’inverse (Jonas, 2006).

Pourtant, on devra distinguer l’activité de création de celle de la recherche, ne serait-ce que pour expliciter le savoir, le communiquer ou l’enseigner. En recherche, même si notre approche implique une création ou un design, le développement d’un nouveau savoir demeure l’objectif du projet, contrairement aux autres activités de création et de design, au cours desquelles le développement d’un produit est l’objectif (Frayling, 1993).

52 Notons que l’insistance verbale sur certaines parties du mot est propre à la langue anglaise, langue de la

publication d’origine (voir traduction ci-dessous).

53 Traduction libre de « Where artists, craftspeople and designers are concerned, the word 'research' - the

r word - sometimes seems to describe an activity which is a long way away from their respective practices. The spoken emphasis tends to be put on the first syllable -the re- as if research always involves going over old territory, while art, craft and design are of course concerned with the new ».

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2.2.1.1 - Brève description de la recherche par le design

À ce point-ci, plusieurs formes de recherche par le design peuvent être trouvées. Nous les discuterons brièvement, pour en adopter une qui nous guidera durant le projet. Ainsi nous pourrons mieux nous positionner et discuter de la recherche par le design — des points de vue ontologique, épistémologique et méthodologique — par rapport aux autres types de recherche en design.

2.2.1.1.1 - La recherche ‘sur’, ‘pour’ et ‘par’ le design

Les termes ‘recherche par le design’ sont issus d’un texte de Sir Christopher John Frayling dans le Royal College of Art Research Papers (1993). Entre autres, Frayling y introduit l’idée de trois formes différentes d’interactions entre le domaine de la recherche et celui de l’art et du design : la recherche pour l’art et le design, la recherche sur l’art et le design et la recherche par l’art et le design54.

Diverses discussions à propos de la recherche en design, basées sur les réflexions de Frayling, ont été publiées. Parmi celles-ci, Alain Findeli, alors professeur à l’Université de Montréal, a redéfini les trois formes de recherche en design comme suit (1998, 2004) :

 La recherche sur le design contribue à une discipline scientifique portant sur l’étude du design et/ou sa pratique. Elle documente les objets, les phénomènes et l’histoire du design ;

 La recherche pour le design vise à aider, guider et développer la pratique du design. La recherche pour le design s’apparente à l’idée de la recherche et développement. Elle ne vise pas la production de connaissances pour les mêmes raisons que d’autres sciences ni la publication scientifique desdites connaissances produites ;

 Finalement, la recherche par le design, que Findeli voudra renommer ‘recherche-projet’, est la plus proche de la pratique professionnelle du design. Il s’agit d’une refonte de l’aspect design en une forme de recherche. Les designers-chercheurs qui utilisent la recherche par le design créent de nouveaux produits, expérimentent avec de nouveaux

54 Dans le but de ne pas confondre le lecteur, nous éviterons ici de donner une description de chacune de

ces formes d’interaction puisque, bien que les termes soient demeurés essentiellement les mêmes dans les nombreuses discussions qui ont porté sur le sujet depuis, les définitions, elles, ont été échangées d’une forme à l’autre.

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matériaux, de nouveaux procédés, etc. La recherche par le design se distingue de la recherche pour le design à travers son objectif. En effet, même si la recherche pour le design vise la conception d’un produit, la recherche par le design cherche, quant à elle, la production et la validation de connaissance.

La dernière proposition de Findeli était, à l’époque de sa création, particulièrement importante puisqu’elle officialisait la validité (d’un point de vue académique) de la recherche par le design. Cette définition est d’ailleurs souvent citée dans la littérature (Jonas, 2006, 2007a, 2007b ; Koskinen, Zimmerman, Binder, Redstrom et Wensveen, 2011 ; Léchot-Hirt, 2010).

Comme la recherche pour le design et la recherche sur le design se basent sur des traditions de recherche bien établies dans d’autres disciplines, elles ont tôt fait de créer un consensus. Cela dit, la recherche par le design reste encore controversée.

2.2.1.1.2 - Les multiples visages de la recherche par le design

On pourra trouver plusieurs formes de recherches par le design :

A. La recherche menée par la pratique55 (Chow, 2010 ; Till, Mottram et Rust, 2005), qui se définit comme un type de « recherche dans laquelle le professionnel et/ou les pratiques créatives de l’art, du design ou de l’architecture jouent un rôle instrumental dans l’enquête56 » (Rust, Mottram et Till, 2007, p. 11) ;

B. La recherche par le design constructif57 est une forme de recherche dans laquelle « la construction prend une place centrale et devient le moyen-clé de la construction de connaissance58 » (Koskinen et coll., 2011, p. 5) ;

C. La recherche-création en design, sous le modèle creasearch, propose que « [l]’émergence des savoirs de la recherche-création prend donc la forme d’une heuristique, la production des artéfacts conduisant à interroger la question de recherche elle-même, qui émerge peu à peu au fur et à mesure de ses reformulations » (Léchot-Hirt, 2010, p. 76). Mais celle- ci se distingue par ses processus d’évaluation, qui s’inspirent de la critique artistique et

55 Traduction libre de « practice-led research ».

56 Traduction libre de « research in which the professional and/or creative practices of art, design or

architecture play an instrumental part in an inquiry ».

57 Traduction libre de « constructive design research ».

58 Traduction libre de « construction […] takes center place and becomes the key means in constructing

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de la philosophie, lorsque Léchot-Hirt admet que « les critères d’originalité et de pertinence [puissent] supplanter celui de l’innovation » (Léchot-Hirt, 2010, p. 76) ; D. La recherche par le design inspirée de Frayling (1993) insiste sur le fait que la

connaissance est incluse à l’intérieur de l’artéfact produit dans le projet de recherche ; quoique Bower précise que la manière de retrouver l’information peut s’avérer compliquée et incomplète (2012, p. 70) ;

E. La recherche par le design, revisitée et redéfinie par Zimmerman, en tant que « processus de design itératif d’artéfacts qui permet une investigation créative des futurs potentiels59 » (Zimmerman, Stolterman et Forlizzi, 2010, p. 313) ;

F. La recherche-projet (Chow, 2010 ; Findeli, 1998, 2004 ; Findeli, Brouillet, Martin, Moineau et Tarrago, 2008 ; Findeli et Coste, 2007) est une recherche empirique, ancrée dans le projet de design, permettant d’observer autant le monde sur lequel porte le projet que les acteurs du projet. Celle-ci combine la réflexion en action et l’interprétation hors action pour aboutir à des conclusions utiles sur les plans théorique, professionnel et pédagogique (paraphrase de Findeli et Coste, 2007, p. 153) ;

G. La recherche par le design selon Wolfgang Jonas discute d’une « structure générique d’apprentissage et de design dérivée de la pratique60 » (2006, p. 7). Chow (2010), quant à lui, identifie l’essence de l’approche dans la citation suivante : « Le paradigme scientifique doit être ancré dans le paradigme de design : la recherche est guidée par la logique du processus de design, et le design est soutenu et aligné sur les phases de la recherche et de l’enquête scientifique61 » (Jonas, 2007b, p. 1378). La vision de Jonas a été opérationnalisée dans un modèle agnostique de design qui sert aussi à situer la recherche par le design (Chow et Jonas, 2009 ; Jonas, Chow, Bredies et Vent, 2010). À leur manière, ces auteurs visent tous un même objectif sous-jacent : établir les aspects de la recherche effectuée par le biais du processus de design et de son produit résultant. À vrai dire, il ne semble pas y avoir de contradiction fondamentale entre toutes ces visions (Chow,

59 Traduction libre de « the process of iteratively designing artifacts as a creative way of investigating

what a potential future might be ».

60 Traduction libre de « generic structure of learning / designing, which has been derived from practice ». 61 Traduction libre de « The scientific paradigm has to be embedded into the design paradigm: research

is guided through design process logic; and design is supported/driven by phases of scientific research and inquiry ».

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2010 ; Godin et Zahedi, 2014). Toutefois, il serait ambitieux, sinon naïf, de tenter de créer pour le présent document une théorie unificatrice de la recherche par le design.

2.2.1.2 - Quelle forme utiliser pour notre projet ?

Pour nous aider à choisir la meilleure vision, nous établirons les critères suivants :  Des aspects ontologiques, épistémologiques et méthodologiques clairs qui

correspondent aux ambitions du projet, c’est-à-dire que l’approche doit fournir une définition claire des points suivants : la réalité qu’elle tente de refléter, les standards de validation et les méthodes utilisées pour atteindre ces validations :

o Nous rejetons ici la vision A, puisqu’elle discute principalement des méthodes et des rôles de chacun des intervenants (Chow, 2010), et donc pas des considérations ontologiques et épistémologiques liées à leur vision.

 Approche bien ancrée dans la discipline du design, au sens large :

o Nous rejetons donc les visions B, C, et D puisqu’elles s’inspirent autant du design que de l’art, intégrant des pratiques souvent extérieures au processus de design ;

o Nous rejetons également la vision E qui vise un type de design précis, dans ce cas-ci, le design d’interaction.

Restent donc la recherche-projet et la recherche par le design de Jonas. Nous opterons pour la définition de Jonas, puisqu’elle est bâtie sur la vision de Findeli, mais qu’elle offre une approche plus « opérationnalisée » (Jonas, 2006, p. 2).

De plus, la recherche par le design de Jonas utilise le design comme base de la production de connaissance, tandis que la recherche-projet le positionne davantage comme un partenaire. Dans notre projet, nous cherchons plutôt à produire de la connaissance à la manière du design (Chow, 2010), c’est-à-dire de manière évolutionniste (Jonas, 2007a).

La nature de notre projet de recherche visant justement à comprendre l’acte de design selon une perspective interne et complexe, la vision de Jonas nous semble donc plus appropriée. Dans la prochaine section, nous expliciterons les postulats de la recherche par le design afin de fournir un protocole de notre projet. Nous avons tenté de nous concentrer sur les articles

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faisant référence à ceux de Jonas ou de Findeli, mais cette stratégie a révélé quelques vides du point de vue théorique et celui de l’opérationnalisation méthodologique. Nous avons donc inclus d’autres références pour combler ces vides. Cela dit, nous incluons une courte discussion lorsque les sources utilisées sont autres que celles qui s’appuient sur la vision de Jonas ou de Findeli, dans le but d’aligner ces références à la vision sélectionnée.