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À ce point-ci, le lecteur pourra se demander pourquoi le groupe de discussion a été choisi plutôt que l’entretien semi-dirigé, qui est traditionnellement le choix le plus commun pour récolter la perspective

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des utilisateurs. Comme on le verra plus tard (voir page 104), le type de jeu choisi — le jeu de rôle — impose une dynamique de groupe qui correspond mieux aux forces de cette méthode.

On peut définir le groupe de discussion comme « une technique d’entrevue qui réunit de six à douze participants104 et un animateur, dans le cadre d’une discussion structurée sur un sujet particulier » (Geoffrion, 2009, p. 391).

Le groupe de discussion possède les particularités suivantes (Geoffrion, 2009 ; Stewart, Shamdasani et Rook, 2007)105 :

A. La méthode qualitative utilise des questions ouvertes qui permettent une plus grande richesse dans les réponses que la plupart des méthodes quantitatives. Aussi, comme le groupe de discussion est mené par un animateur, celui-ci peut s’assurer que les questions sont bien comprises par les participants, les reformuler au besoin, ou poser des questions de suivi pour amener les participants à expliquer leurs commentaires.

B. Le groupe de discussion est flexible, c’est-à-dire que plusieurs sujets peuvent être abordés sans limites de perspective, d’environnement ou de population, incluant même des participants qui ne peuvent pas lire, par exemple. De plus, l’animateur peut gérer le temps dédié à chaque question ou sujet et modifier l’ordre des sujets abordés selon le cours de la discussion, évitant ainsi la redondance et permettant aux participants d’avoir un discours plus cohérent.

C. Le groupe de discussion est généralement considéré comme peu coûteux en matière de ressources. D’abord, comme pour la plupart des méthodes qualitatives, le nombre de participants requis est moins élevé (comparé à un sondage, par exemple). Dans le cas précis du groupe de discussion, plusieurs participants offrent des réponses en même temps, réduisant le nombre de déplacements et de temps requis par l’animateur. De plus : « [i]l est fréquent que la même personne planifie le projet de groupe de discussion, anime le groupe, analyse les discussions, prépare le rapport et en fasse la présentation » (Geoffrion, 2009, p. 393).

104 Le nombre de participants ne fait pas l’unanimité parmi les auteurs, ceci sera discuté ci-dessous, dans

la section ‘Le nombre de participants’, à la page 55.

105 Une autre particularité est que le groupe de discussion permet de facilement intégrer les commanditaires

du projet au processus de collecte de données et leur permettre de mieux comprendre les résultats, mais ceci peut aussi leur permettre d’avoir une influence sur l’interprétation du résultat, ce qui peut fausser l’analyse. Toutefois, ceci est peu pertinent pour notre étude qui n’a pas de commanditaire.

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Toutefois, l’approche possède aussi ses faiblesses, limites et dangers. Tout d’abord, le fait de bien comprendre la question n’assure pas que la réponse à celle-ci soit plus réfléchie, particulièrement dans un contexte de discussion à l’intérieur duquel les réponses sont immédiates et spontanées. L’animateur doit aussi demeurer vigilant, et ne pas laisser paraitre ses opinions personnelles qui pourraient influencer la discussion. Enfin, les résultats obtenus ne sont pas nécessairement extrapolables compte tenu du nombre réduit de participants (Geoffrion, 2009).

Évidemment, la plupart de ces particularités auraient pu être retrouvées dans d’autres méthodes comme l’entrevue et, comme le temps n’est pas nécessairement une contrainte pour notre projet, l’efficacité du groupe de discussion n’est pas particulièrement essentielle.

2.3.2.1 - Recréer le milieu social

Le groupe de discussion a toutefois été choisi pour sa capacité à recréer le milieu social du jeu. Huizinga, en tentant de définir le jeu, remarque que ce dernier «  suscite dans la vie des relations de groupe » (Huizinga, 1951 [1938], p. 35) qui :

« accuse[nt] une tendance générale à la permanence, même une fois le jeu terminé. Non que le moindre jeu de billes ou la moindre partie de bridge conduise à la formation de clubs. Toutefois, le sentiment de vivre ensemble dans l’exception, de partager ensemble une chose importante, de se séparer ensemble des autres, et de se soustraire aux normes générales, exerce sa séduction au-delà de la durée du seul jeu. » (Huizinga, 1951 [1938], p. 33)

Le jeu étant donc ce milieu social unique, il nous semble approprié d’utiliser comme méthode de cueillette de données le groupe de discussion, dont un des avantages réside justement dans sa capacité à recréer le contexte social.

Les interactions entre les participants du groupe de discussion feront donc écho aux dynamiques sociales de la population étudiée et seront particulièrement adéquates pour comprendre les « comportements sociaux » (Geoffrion, 2009, p. 396). Les participants peuvent renchérir sur les propos d’autrui, développer un intérêt ou même changer d’avis durant la discussion avec d’autres participants, en plus de se sentir en sécurité dans le groupe face au modérateur en minorité numérique. On pourra ensuite trouver ces mouvements d’opinion et leur cause afin d’enrichir notre recherche.

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Évidemment, dans certains cas, l’influence des autres participants peut être négative, faussant les données si on retrouve un leader d’opinion dans le groupe ou si certains participants sont timides. Dans ces cas-là, l’animateur doit intervenir avec des techniques ciblées de modération visant à minimiser ces effets.

Les décisions prises et les comportements des joueurs se font en fonction des règles et du jeu, mais aussi en fonction du groupe social entourant le jeu. En ce sens, nous croyons que les données récoltées en groupe de discussion seront d’autant plus pertinentes.

2.3.2.2 - Tâches du groupe de discussion

Fern (2001) distingue trois types de tâches qui peuvent être accomplies par un groupe de discussion :

 Les tâches exploratoires permettent de générer ou de développer des idées ou des modèles théoriques. Le groupe de discussion qui vise ce type de tâches est probablement utilisé en début de projet, lorsque les bases théoriques sont encore à faire ;

 Les tâches cliniques permettent d’expliquer et de révéler des comportements, des croyances, ou des préférences. Un entraînement clinique du modérateur est habituellement requis pour utiliser le groupe de discussion de cette manière ;

 Les tâches expérientielles permettent de trianguler des données et de confirmer des modèles théoriques proposés. Contrairement aux autres types de tâches qui visent la diversification des réponses, les tâches expérientielles visent à trouver les attitudes et comportements communs entre les participants, qui pourraient renforcer le modèle proposé. Les groupes de discussions qui visent ce type de tâches recrutent donc des groupes plus homogènes. L’aspect hétérogène sera rencontré dans la comparaison des données des différents groupes.

Dans notre cas, nous souhaitons mettre à l’épreuve un modèle théorique qui sera construit depuis la phase 1 du projet.

Nous opterons donc pour la philosophie des groupes de discussion orientée vers les tâches expérientielles.

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2.3.2.3 - Le nombre de groupes de discussions menés

Geoffrion (2009) propose de mener plus d’un groupe de discussion. Plus on conduit de groupes, plus le risque d’erreur diminue. David L. Morgan suggère de créer entre 3 et 5 groupes, car « davantage de groupes ne donnent que rarement de nouvelles conclusions significatives106 » (1997, p. 43). Toutefois, les groupes homogènes mènent à plus de cohésion dans les réponses, requérant souvent un nombre de groupes plus élevé — 4 à 6 — pour avoir une véritable idée de la situation (Fern, 2001).

Il serait nécessaire de créer plus de groupes si (Geoffrion, 2009) :

 La recherche a un impact économique ou social important : comme aucun fonds considérable n’est investi dans le projet et que les impacts sociaux des résultats de notre étude ne se comparent aucunement avec des politiques gouvernementales, par exemple, cette condition ne s’applique pas ;

 On a moins de savoir sur le sujet : comme la partie de l’étude dans laquelle le groupe de discussion sera impliqué aura pour rôle de confirmer des hypothèses déjà proposées lors d’un design de jeu et d’observation, cette condition ne s’applique probablement pas non plus ;

 On a beaucoup de ressources : aucun budget n’est disponible pour l’étude ;

 La population comporte plusieurs sous-groupes (profil socio-économique, âge, sexe, position d’autorité dans une hiérarchie si applicable, territoire géographique, langue, etc.).

La dernière condition sera donc notre principal phare pour établir le nombre de groupes nécessaires. En effet, le public du jeu devrait être diversifié, entre autres parce qu’il s’agit d’un produit à vocation habituellement commerciale (donc plus le public est large, plus il risque d’être vendu). L’âge, le sexe et la langue pourraient être des caractéristiques importantes à représenter (Fern, 2001 ; Geoffrion, 2009), mais la familiarité avec le type de jeu (joueurs novices à expérimentés) ainsi que l’expérience recherchée lors du jeu devraient également être des données importantes lors du choix du nombre de groupes de discussion à tenir.

63 2.3.2.4 - Le nombre de participants

Le nombre de participants qui devrait faire partie de chaque groupe ne fait pas l’unanimité parmi les auteurs s’intéressant à la méthode. Greenbaum (1998) distingue quatre types de groupes de discussion :

 Le groupe complet, comptant 8 à 10 personnes et dont la durée varie entre 90 et 120 minutes ;

 Le mini-groupe, comptant 4 à 6 personnes, et durant entre 90 et 120 minutes. Le mini- groupe est plus facile à recruter et permet d’offrir plus de temps de parole à chaque participant. Toutefois, il est évidemment plus coûteux en temps par participant ;

 La dyade, comptant 2 participants qui partagent un pouvoir égal dans une prise de décision étudiée. La dyade est bien entendu utilisée seulement dans des cas très précis puisqu’elle cumule la distance du groupe de discussion avec le coût élevé de l’entretien ;  Le groupe téléphonique, comptant de 4 à 10 personnes partageant une conférence téléphonique durant 30 à 120 minutes. Les groupes téléphoniques offrent plus d’anonymat pour les participants, mais limitent souvent l’interaction entre les participants qui ne se voient pas.

Puisqu’il s’agit d’un groupe de discussion visant des tâches expérimentales, les groupes devraient être, dans notre cas, relativement homogènes. Cela permettrait de comparer les données entre ces groupes (Fern, 2001) et d’assurer le confort des participants par une segmentation qui permet « davantage de fluidité dans les conversations entre les participants de chacun des groupes, mais aussi pour faciliter les analyses examinant les différences de perspectives entre les groupes107 » (Morgan, 1997, p. 35). Dans notre projet, les mini-groupes semblent donc plus appropriés, d’autant plus que « [d]es sondages, il ressort que la plupart des tables de jeux réunissent quatre à six joueurs autour d’un meneur de jeu » (Guiserix, 1997 ; cité

107 Traduction libre de « for more free-flowing conversations among participants within groups but also

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par Caïra, 2007, p. 33)108. La taille des groupes de discussion correspondra alors au nombre de participants qui joueront ensemble.

2.3.2.5 - Relation préexistante entre les participants

Geoffrion (2009) propose que les gens qui se connaissent aient souvent des points de vue homogènes et qu’ils soient moins à l’aise devant des sujets délicats. Les participants entourés de leurs amis peuvent craindre des répercussions à l’extérieur du groupe et devront maintenir leur persona de membre du groupe circonstance (Bloor, Frankland, Thomas et Robson, 2001). La confidentialité des groupes est aussi impossible à maintenir dans ce contexte (Barbour, 2007). Il sera du rôle de l’animateur de s’assurer que chacun des participants soit au courant qu’aucune réponse n’est mauvaise et que les opinions divergentes sont tout aussi importantes que celles qui convergent.

À l’inverse, Bloor suggère plutôt que le fait d’utiliser des groupes prédéfinis « puisse puiser dans des interactions très semblables aux données telles qu’elles apparaitraient naturellement109 » (2001, p. 22, citant Kitzinger, 1994).

Les participants ayant déjà une relation préétablie offrent des avantages uniques. D’abord, ils n’ont pas à passer par la phase de révélation de soi, qui mine parfois les réponses aux premières questions du groupe de discussion (Morgan, 1997). Ensuite, ils peuvent faire des références sortant du cadre de la discussion présente, se rappelant à l’un l’autre des expériences partagées, et pouvant même remettre en doute des réponses spontanées offertes par d’autres participants, sur la base d’actions posées ou de paroles dites dans une autre circonstance (Bloor et coll., 2001).

Notre projet n’aborde pas de sujet délicat et nous croyons que la possibilité d’inscrire la discussion enregistrée dans la continuité d’un regroupement d’amateurs de jeux risque

108 La référence date de près de vingt ans, mais la norme est stable. Par exemple, la très populaire aventure

Curse of Strahd (2016), conçue pour la cinquième et plus récente édition de Donjons et Dragon (2014) mentionne, d’entrée de jeu, viser « un groupe de quatre à six aventuriers » (traduction libre de ‘a party of four to six adventurers’, p.5), donc, en comptant le maitre de jeu, un nombre total de cinq à sept joueurs.

109 Traduction libre de : « may be able to tap into interaction which approximates to ‘naturally occurring’

data […] because they provide one of the social contexts within which ideas are formed and decisions made ».

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d’enrichir considérablement la discussion et d’assurer l’homogénéité nécessaire aux groupes de discussion à tâches expérimentales.

De plus, le jeu conçu sera réfléchi pour être utilisé à plusieurs joueurs qui formeraient, en dehors des contraintes artificielles de la recherche, un groupe préexistant. Ainsi, le groupe de discussion avec groupe préexistant s’impose naturellement dans le cas de notre recherche. 2.3.2.6 - Phases du groupe de discussion

Une fois les fondements du groupe de discussion choisis, on pourra commencer à l’organiser (Barbour, 2007 ; Bloor et coll., 2001 ; Geoffrion, 2009 ; Morgan, 1997 ; Stewart et coll., 2007) :

D. Recrutement : on recrute des participants en fonction des sous-populations identifiées, en gardant en tête qu’environ 20 % d’entre eux se désisteront peut-être à la dernière minute ;

D1. L’intégration d’une récompense peut aider à motiver des participants rares, ou d’autres qui considèrent que la durée du groupe de discussion est trop longue. On doit en revanche faire attention à éviter les participants qui ne viennent que pour la récompense ;

D2. L’utilisation d’un questionnaire ‘prégroupe’ permettra d’assurer l’homogénéité (ou l’hétérogénéité) des participants ;

E. Lieu physique : on trouve un lieu convenable, permettant à tous d’être physiquement égaux (même hauteur, même confort, etc.) et autour d’une table qui crée une distance nécessaire à la discussion ;

F. Les lieux devraient également se prêter à l’enregistrement, audio ou vidéo, de la discussion ;

G. Guide de discussion (ou, du moins, un guide de sujets à aborder) : ce document permettra à l’animateur de conduire l’entrevue en se concentrant sur la dynamique de groupe et non seulement sur les buts de la recherche ;

H. Le guide devra être testé avant d’être utilisé sur les participants. L’intégration de questions-exercices (« focusing exercices » pour reprendre le terme de Bloor et de ses

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collaborateurs (2001)) aide à briser la glace en début de discussion et permet à l’animateur de comprendre la dynamique qui s’y établira ;

I. Choix et introduction de stimuli, comme des documents, des objets, ou autres éléments visant à faire parler les participants et briser la glace entre eux ;

J. Conduite du groupe de discussion : le rôle de l’animateur est de demeurer neutre, mais intéressé, tout en gérant le déroulement de la discussion et en posant les questions (celles du guide et celles de suivi) ;

K. Dans la mesure du possible, si un chercheur autre que le modérateur est présent, des notes devraient être prises durant la discussion ;

L. Plusieurs styles de modération sont possibles selon le groupe rencontré, les participants problématiques et la personnalité de l’animateur ;

M. Transcription des données recueillies ;

N. Codage : on code les données puis on s’assure que le code est pertinent, souvent en vérifiant s’il apparait dans le discours de plus d’un participant et dans plus d’un groupe ; O. Analyse : on analyse les données et les codes obtenus, autant les paroles exprimées que les attitudes physiques et les changements d’opinion. On tente également de comprendre les réactions émotionnelles, verbales ou physiques, en fonction de raisons plus rationnelles.