• Aucun résultat trouvé

Au-delà de la définition du type de jeu choisi, nous devons également recenser les écrits sur la conception de celui-ci. Dans les sections qui suivent, nous définirons l’opportunité à laquelle répond le jeu de rôle et nous fédèrerons les spécificités du design de jeu de rôle. 4.1.2.1 - Définir l’opportunité

Nous avons proposé que les jeux s’adressaient à un désir de plaisir, et que la raison poussant les joueurs à s’adonner au jeu donnait justement des indices importants pour mieux saisir la situation à améliorer.

De manière générale, les joueurs disent qu’ils jouent à des jeux de rôle pour construire des récits ensemble dans un contexte imposant une certaine cohérence, mais aussi pour expérimenter l’altération de soi de manière plus sophistiquée que le ‘faire-semblant’ retrouvé, par exemple, dans les jeux pour enfant (Bowman, 2010).

Ainsi, quelques études se sont justement intéressées à la question de l’intérêt du jeu de rôle pour les joueurs (Bowman, 2010 ; Caïra, 2007 ; Fine, 2002 [1983]). Les auteurs ont conclu que ces derniers recherchent l’une ou l’autre (ou plusieurs) de ces expériences :

110

 Atmosphère/étrange : excitation émotionnelle en rapport avec le contexte imaginé ;  Éducation/érudition : apprendre de nouvelles choses ;

 Évasion/diversion : se sortir de la routine ;

 Expérimentation : pouvoir essayer de nouvelles choses dans un contexte narratif sécuritaire ;

 Interprétation : performance d’identités alternatives ;

 Panache : imaginer une réalité plus audacieuse et haute en couleur ;  Progression : développement du personnage ;

 Raisonnement : résolution de problèmes tactiques et sociaux ;

 Sentiment d’efficacité et de contrôle : comprendre les règles de simulation, pouvoir juger des chances de réussite de quelque action ;

 Sociabilité : construire une communauté, contrôler les dynamiques d’interaction. Lorsque l’on débutera le design du jeu, il sera important de cadrer le désir spécifique que nous souhaitons promouvoir autour d’une ou plusieurs de ces expériences pour correspondre, de manière familière, au jeu de rôle traditionnel et aux attentes des participants.

4.1.2.2 - Design de jeu de rôle

Contrairement aux manuels dédiés au design de jeux vidéo, dont on ne s’aventurera même pas à estimer le nombre, le design de jeux de rôle n’est pas souvent le sujet de publications éditées (excluant, entre autres, les nombreux blogues et baladodiffusions de designers amateurs). En fait, l’étude des jeux de rôle (à laquelle est dédié, notamment, l’International Journal of Role-playing) a pris de l’ampleur plus rapidement que le design de ces jeux en tant que tel.

Comme nous l’avons rapidement mentionné dans notre rapide recension de la littérature en design de jeux, (voir la section sur la problématique, en page 4), les auteurs du domaine s’intéressent plus au jeu à concevoir qu’à la conception du jeu elle-même. Ainsi, la plupart des connaissances sur lesquelles nous devrons nous baser se concentre sur l’objet plutôt que sur le processus de design.

Jennifer G. Cover (2010) liste trois principales différences entre les jeux de rôles de table et les autres jeux (par exemple, les jeux de rôles vidéo) : (1) un éventail d’actions indéterminé,

111

(2) une agentivité narrative139 dans les interactions sociales et (3) un double niveau de design entre le designer et l’arbitre.

Wolfgang Baur propose, quant à lui, que la spécificité du jeu de rôle en fasse un défi particulier pour le designer de jeu. En effet, sa nature imaginaire fait que son « design est une fonction de l’attention humaine140 » (Baur, 2012, p. 6). Le designer doit donc être particulièrement inquiet de la gestion de l’attention des joueurs. Il doit concevoir un jeu qui interpelle les joueurs à intervalles fréquents, qui diriger l’attention de ceux-ci vers des événements et qui offre des récompenses sociales ou formelles pour garder leur attention et motiver un certain type d’attitudes ou de comportements.

Baur propose aussi que le jeu de rôle vise à créer le mémorable, en mettant en scène des personnages marquants ou des situations qui pourront être racontées à d’autres joueurs. Ceci passe avant tout par le système formel/réglé et par l’univers qui doit être conçu par le designer pour inspirer l’arbitre qui mènera le jeu.

Le système formel/réglé est habituellement composé d’un système de base, agrémenté de systèmes spécifiques qui encouragent les joueurs à les utiliser. Ceux-ci, souvent des sous- systèmes créés pour gérer le combat (McComb, 2012) et la magie (Baur, 2014 ; Stackpole, 2012), sont beaucoup plus précis et offrent des options moins génériques et plus inspirantes.

La création de l’univers (Baker, 1996 ; Baur, 2012) et du scénario (Greenwood, 2012) est elle aussi explorée en détail dans quelques publications.

Ainsi, les conseils de ces auteurs portent principalement sur des points du jeu qui seront à définir avec plus d’attention. Cela étant, l’approche persuasive que nous tentons de développer et le contexte de la recherche nous poussent de toute manière vers ce type de réflexion.

En effet, deux des spécificités identifiées par Cover (l’éventail indéterminé d’actions et l’agence du joueur) s’alignent avec les impératifs de notre recherche. Les suggestions de Baur répondent quant à elles aux considérations du pathos en rhétorique. On retrouve dans l’idée des

139 Un concept qu’elle résume rapidement comme étant le « contrôle qu’a le joueur sur l’histoire [control

over the story] » (Hammer, 2007 ; cité par Cover, 2010), donc la possibilité d’agir à l’intérieur du jeu et de moduler l’histoire racontée à ces fins.

112

sous-systèmes plus détaillés des traces de la nature persuasive du jeu, comme la mise en présence accrue (voir page 241 du présent document) de certaines situations dans les règles, de manière à attirer l’attention des joueurs.

Restent ensuite le double niveau de design et la création d’univers/de scénario qui seront des aspects sur lesquels le designer-chercheur portera une attention particulière.