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En rhétorique, le logos représente l’aspect rationnel, démonstratif et logique d’un argumentaire (Reboul, 1991). Dans le Traité de l’argumentation (Perelman et Olbrechts-Tyteca, 2008 [1958]), le logos est un sujet de choix. Les arguments175 font en quelque sorte partie du point de départ de l’argumentation. La manière de les concevoir et de les présenter sera ensuite discutée dans les structures argumentatives.

Les arguments en argumentation sont sujets à interprétation. On leur donnera une signification et on les intégrera à une structure, mais ces manœuvres ne font que guider ladite interprétation pour l’auditoire. C’est cette interprétation qui façonnera le présent chapitre : nous discuterons d’abord de la clarté et de l’interprétation des arguments puis nous classerons les types d’arguments selon leur sensibilité à être interprétés.

175 Nous avons choisi le terme ‘argument’, plutôt que le terme ‘prémisse’ utilisé en argumentation, car les

prémisses sont aussi utilisées dans la philosophie de l’action. Ceci dit, comme nous avons déclaré que la délibération intime était semblable au raisonnement pratique, la distinction entre les deux concepts n’est peut-être pas utile.

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7.1.1 - Clarté et interprétation des arguments

Les arguments sont plastiques. On peut les présenter comme plus souples ou plus rigides, plus larges ou plus restreints selon les buts de la thèse et selon leur « signification émotive », c’est-à-dire selon la perception positive ou négative qui en découle (Perelman et Olbrechts- Tyteca, 2008 [1958], p. 188). Généralement, on positionnera un argument favorable comme étant souple, adaptable aux nouvelles réalités et renouvelable. Inversement, un argument rigide deviendra rapidement dépassé.

L’élargissement ou la restriction sont davantage liés à la signification émotive. On élargira la définition de certains concepts que l’on perçoit positivement pour y inclure nos arguments, nos alliés, etc. On restreindra d’autres concepts, plus négatifs, pour en exclure nos arguments. Bien sûr, lors d’un débat, on voudra faire l’inverse dans le but de nuire à la puissance de persuasion de l’adversaire (restreindre le positif, élargir le négatif).

Cette plasticité revient finalement au concept de clarté des arguments. En effet, « la clarté d’un texte est conditionnée par les possibilités d’interprétation qu’il présente » (Perelman et Olbrechts-Tyteca, 2008 [1958], p. 168). La clarté restreint alors les interprétations possibles, mais pas nécessairement la portée de l’argument ou de la notion. Le but ici est donc d’amener l’auditoire à utiliser l’interprétation souhaitée (en lui donnant de la présence, voir page 202).

Notons par contre que l’auditoire ne choisit pas non plus une interprétation au hasard ; ladite interprétation devra être unique, au moins dans le contexte ou la pratique (voir page 149). On a donc toujours à évaluer si la nécessité pour l’argumentation de donner de la présence à la restriction de l’interprétation est (d’autant plus qu’elle constitue une occurrence de l’évocation de détails qui augmente la présence de l’argument) :

«  pour que l’attention soit attirée par l’existence d’interprétations non équivalentes, il faut que les conséquences découlant de l’une d’entre elles diffèrent, en quelque manière, de celle découlant d’une autre ; or il se peut que ce ne soit que dans un contexte particulier que la divergence parvienne à être perçue. […] La nécessité d’interpréter se présente donc comme une règle, l’élimination de toute interprétation constitue une situation exceptionnelle et artificielle. » (Perelman et Olbrechts-Tyteca, 2008 [1958], p. 168)

7.1.2 - Arguments basés sur le réel

Les arguments basés sur le réel sont des prémisses acceptées par tout le monde (Perelman et Olbrechts-Tyteca, 2008 [1958]), donc par l’auditoire universel.

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 On inclut parmi les faits et les vérités chaque connaissance du monde réel que l’auditoire pourra avoir, comme, par exemple, des résultats scientifiques qu’on peut apprendre. Les statistiques (‘X % de la population fume la cigarette’) et probabilités (‘on a autant de chance de rouler un 2 qu’un 6 sur un dé à six faces’) font aussi partie des faits et vérités, même s’ils décrivent des situations qui n’existent pas toujours. Notons que les faits et vérités auront un effet seulement jusqu’à ce qu’ils soient remis en cause. On nous encourage même à ne pas expliquer leur pertinence dans une argumentation : « [l]a justification d’un fait risque toujours de diminuer son statut. » (Perelman et Olbrechts- Tyteca, 2008 [1958], p. 94) ;

 Les présomptions incluent ce qui est accepté comme étant normal, et ce qui risque probablement d’arriver. (Gonseth, 1947 ; Perelman et Olbrechts-Tyteca, 2008 [1958]). Contrairement aux faits, les présomptions gagnent habituellement à être soutenues par d’autres arguments dont certains sont conditionnels à l’auditoire. En effet, certaines présomptions seront considérées comme normales seulement pour des auditoires particuliers. Comme les présomptions sont adressées à l’auditoire universel, elles devront souvent être soutenues par d’autres arguments qui les contextualiseront dans l’argumentation ou expliqueront pourquoi ces présomptions devraient être considérées comme normales dans la situation visée par la thèse. Les présomptions sont, de manière générale, stables : « le changement […] doit être justifié ; une décision, une fois prise, ne peut être réformée que pour des raisons suffisantes » (Perelman et Olbrechts-Tyteca, 2008 [1958], p. 142). On pourra donc se fier aux avis et attitudes que tenaient les membres de l’auditoire auparavant — ce que les auteurs attribuent à l’« inertie psychique » (Perelman et Olbrechts-Tyteca, 2008 [1958], p. 141) — pour déterminer les présomptions.

Ces arguments rappellent, d’une certaine manière, la démonstration. On y retrouve cependant plus de types d’arguments. En effet, ce sont les faits et les vérités qui composent habituellement les arguments de choix de la démonstration ; les présomptions n’y seraient point les bienvenues.

Toutefois, si l’orateur peut construire son argumentaire entier sur des faits et vérités, c’est soit que sa thèse tient de la démonstration, soit qu’il néglige impunément des aspects que

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l’on pourrait remettre en doute. En argumentation, on adjoindra les présomptions à ces faits et vérités, mais aussi d’autres arguments dont la force ne provient pas de la réalité, mais bien du préférable.