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La persistance d’inégalités en emploi, entre les sexes et entre groupes

Chapitre 1 – L’emploi au Québec : Une mise en contexte

1.1 Diverses réalités du marché du travail québécois

1.1.3 La persistance d’inégalités en emploi, entre les sexes et entre groupes

Bien que des femmes aient toujours occupé des emplois rémunérés, c’est surtout à partir des années 1960 et 1970 qu’elles ont plus massivement eu accès au marché du travail. Revendiquée par les mouvements des femmes, au Québec comme ailleurs en Europe et en Amérique du Nord,

3 Ce nombre n’inclut toutefois pas les personnes travailleuses autonomes ou celles étant aux études à temps plein. 4 La définition des « travailleurs pauvres » de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) est la suivante : une personne « travaillant 26 semaines par année ou plus » et vivant « dans un ménage dont le revenu se situait sous le seuil de faible revenu [d’une année donnée] » (Boulet, 2014, p. 8).

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cette entrée en emploi des femmes visait entre autres à diminuer leur dépendance financière face à leurs maris en leur permettant d’être autonomes économiquement et donc de subvenir seules à leurs besoins (Baillargeon, 2012; Orloff, 1993). D’autres facteurs expliquent toutefois ce changement : les nouveaux besoins de main-d’œuvre (Périvier, 2013), de même que la nouvelle nécessité d’avoir deux revenus pour arriver à boucler le budget d’une famille (Langlois, 2008). Par conséquent, un nouveau modèle conjugal fait sa place à partir des années 1970, succédant au modèle dominant précédent du couple pourvoyeur-ménagère, soit celui où les deux conjoints travaillent contre rémunération. Cette transformation impulsée par la présence grandissante des femmes avec enfants sur le marché du travail, qui s’est accentuée au milieu des années 1980, ne signifie toutefois pas que les femmes sont insérées en emploi de la même façon que les hommes. Diverses statistiques québécoises récentes montrent plutôt un maintien d’écarts en emploi sur plusieurs aspects. Les paragraphes qui suivent brossent un portrait actuel de l’emploi au Québec en mettant l’accent sur les écarts entre les femmes et les hommes et entre différents groupes socioéconomiques.

Tout d’abord, les taux d’activité et d’emploi des femmes tendent à se rapprocher de plus en plus de ceux des hommes, même si des écarts demeurent. Dans la population âgée de 15 ans et plus en 2017, le taux d’activité des femmes est de 60,9 % comparativement à 68,9 % pour les hommes. Pour la même population, toujours en 2017, le taux d’emploi des femmes est de 57,4 % et celui des hommes, 64,5 % (Conseil du statut de la femme (CSF), 2018, p. 21). Si nous considérons le taux d’emploi des femmes de 25 à 54 ans en couple et dont le plus jeune enfant a 12 ans ou moins, il est de 83,5 %, soit une augmentation de plus de 15 points depuis 1997 (65,1 %) (CSF, 2018, p. 14). C’est donc dire que la majorité des mères qui vivent avec un partenaire occupent un emploi en 2017 au Québec. Il est important aussi de préciser que les femmes sont majoritaires dans les emplois à temps partiel : elles sont pratiquement deux fois plus nombreuses que les hommes à occuper ce type d’emploi (24,3 % comparativement à 13 %) (CSF, 2018, p. 23). Pour ce qui est des revenus, des écarts demeurent aussi. Lorsque l’on considère la rémunération horaire moyenne des femmes en 2017, nous observons qu’elle correspond à 89,8 % de celle des hommes (23,58 $/h pour les femmes et 26,25 $/h pour les hommes) (CSF, 2018, p. 28). Lorsque l’on s’attarde plutôt au salaire hebdomadaire moyen des personnes travaillant à temps plein,

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nous voyons que celle des femmes représente 85,9 % de celle des hommes (CSF, 2018, p. 28). Enfin, selon le portrait des Québécoises publié par le Conseil du statut de la femme (CSF),

En 2016, parmi les femmes ayant déclaré un revenu et des personnes à leur charge, 34,1 % gagnent un revenu total inférieur à 20 000 $, alors que cette proportion est de 25,1 % chez les hommes. [La même année], parmi les femmes ayant déclaré un revenu et des personnes à leur charge, 3,3 % gagnent un revenu total supérieur à 100 000 $. C’est le cas de 8,2 % des hommes ayant déclaré un revenu et des personnes à leur charge. (2018, p. 30)

Nous voyons donc ici aussi que l’écart entre les hommes et les femmes qui ont des obligations familiales est important en ce qui concerne les revenus gagnés annuellement. Les différences de revenus se répercutent aussi sur la capacité des personnes à épargner. Le rapport du Conseil du statut de la femme indique que 53 % des personnes qui cotisent à un régime enregistré d’épargne retraite (REER) sont des hommes et que le montant total épargné varie aussi selon le sexe : celui des femmes correspond à 39 % des cotisations REER même si les femmes comptent pour 47 % des personnes épargnantes (2018, p. 31).

Le travail au salaire minimum est la réalité de plusieurs personnes au Québec : en 2017, 233 200 personnes étaient dans cette situation, dont 58,2 % de femmes et 41,8 % d’hommes (ISQ, 2018b, p. 174). L’ISQ, dans sa dernière édition de l’annuaire des statistiques sur le travail, indique que la rémunération hebdomadaire des femmes rémunérées au salaire minimum en 2017 est de 256,57 $, comparativement à 273,37 $ pour les hommes dans la même situation (2018b, p. 168). Cet écart s’explique par le moindre nombre d’heures hebdomadaires travaillées contre rémunération par les femmes.

Ensuite, les écarts en emploi s’observent selon le niveau de scolarité. Des écarts importants s’observent entre les personnes n’ayant aucun diplôme et celles ayant un diplôme universitaire et selon le sexe. Le CSF rapporte que « le taux d’emploi des femmes sans diplôme d’études secondaires est nettement inférieur à celui de leurs homologues masculins (23,9 % contre 40,8 %). » (2018, p. 22) Nous pouvons aussi ajouter l’écart entre les femmes selon leur niveau de scolarité. Toujours selon les données du CSF (2018), si les femmes sans aucun diplôme ont un

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taux d’emploi de 23,9 %, celles ayant un diplôme d’études universitaires ont plutôt un taux d’emploi de 73,9 %, soit plus de trois fois plus élevé. L’écart entre les hommes est moindre : 40,8 % pour les hommes sans diplôme et 73,6 % pour ceux ayant un diplôme universitaire. La rémunération selon le sexe et le niveau d’études montre aussi l’importance des différences entre divers groupes socioéconomiques, et non seulement entre sexes. De fait, si les femmes ont, dans tous les niveaux d’études, une rémunération horaire inférieure à celle des hommes, nous observons que les hommes qui n’ont aucun diplôme ont une rémunération de 18,68 $/h, contrairement à 14,95 $/h pour les femmes. Les femmes avec un diplôme d’études secondaires ont quant à elles une rémunération horaire de 18,57 $, tandis que les hommes dans la même situation ont plutôt une rémunération de 21,95 $ (ISQ, 2018b, p. 139). Rose (2016) résume clairement la situation en lien avec la profonde ségrégation professionnelle qui perdure en fonction du sexe, particulièrement au haut et au bas de l’échelle des emplois :

En d’autres mots, il existe encore un nombre important d’emplois décemment rémunérés pour les hommes peu scolarisés, notamment dans les travaux manuels, mais il y en a très peu pour les femmes. C’est à ce niveau, en particulier, que l’équité salariale et l’accès des femmes aux emplois traditionnellement masculins ont encore un rôle important à jouer. (p. 6)

La littérature et les statistiques récentes brossent donc un portrait selon lequel les transformations du marché du travail maintiennent les inégalités entre hommes et femmes et exacerbent les écarts entre femmes de divers groupes socioéconomiques. Les femmes, particulièrement celles ayant un faible niveau d’étude, travaillent moins contre rémunération; les revenus d’emploi des femmes, peu importe le niveau d’études ou la catégorie d’emploi, sont plus faibles que ceux des hommes; les femmes sont plus nombreuses à travailler à temps partiel; les emplois majoritairement féminins sont moins bien rémunérés que ceux majoritairement occupés par des hommes, etc. Outre ces constats, il reste que, même si le modèle pourvoyeur-ménagère semble généralement avoir disparu des familles depuis que les femmes, entre autres les mères d’enfants en bas âge, occupent plus souvent des emplois, les rôles au sein de la famille ne se sont pas totalement modifiés. Périvier résume cette idée en basant son analyse sur les cas de la France

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et des États-Unis qui, s’ils ne sont pas exactement identiques à celui du Québec, nous donnent une bonne idée du phénomène :

[Des transformations ont eu lieu] sans qu’un modèle égalitaire ne soit jamais réinventé en remplacement du modèle « monsieur Gagne-Pain et madame Au- Foyer ». La division sexuée du travail est restée défavorable aux femmes et, finalement, le modèle social de « madame Au-Foyer » a laissé place à celui de « madame Gagne-Miettes » […] Si le degré de dépendance des femmes vis-à-vis de leur conjoint ou de l’État s’est fortement réduit au cours du XXe siècle, aucun

paradigme social égalitaire n’a été inventé dans les deux pays. (p. 309-310)

Bien que les écarts entre hommes et femmes se maintiennent en ce qui a trait au marché du travail, la présence massive des femmes en emploi entraine une nouvelle réalité : les personnes ayant une occupation professionnelle et des responsabilités familiales doivent dorénavant trouver un moyen de voir aux deux. Au Québec, l’État a développé des mesures et des programmes visant un meilleur arrimage entre « famille » et « travail ».