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La division du travail domestique au sein des couples

Chapitre 2 – Modèles familiaux, parentalité et articulation famille-travail

2.3 La division du travail domestique au sein des couples

L’assignation des femmes, et des mères plus particulièrement, à la sphère domestique fait d’elles les principales responsables du travail qui doit y être effectué : tâches ménagères, soins aux enfants, organisation de la vie familiale, etc. Même si les statistiques récentes, au Québec comme

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dans plusieurs autres pays, montrent une certaine diminution de l’écart entre le nombre d’heures de travail domestique réalisé par les femmes et par les hommes, un écart persiste (Pugliese et al., 2017). Comme nous l’avons vu, cet écart a un impact sur les trajectoires professionnelles des femmes.

En 2015, au Québec, les femmes passent quotidiennement toujours plus de temps que les hommes à faire du travail domestique non rémunéré soit 3 h 29 comparativement à 2 h 27 pour les hommes (ISQ, 2018f). Avec les années, les hommes ont augmenté leur temps de travail non rémunéré particulièrement dans les tâches de soins aux enfants, mais dans une moins grande mesure en ce qui a trait aux tâches ménagères (Pronovost, 2015). Ce portait est observable peu importe le nombre d’heures de travail rémunéré effectué par les femmes (Couturier et Posca, 2014).

Peu de statistiques à notre connaissance permettent de savoir quelles variations dans la répartition du travail domestique sont présentes (ou non) en fonction des groupes socioéconomiques. Certaines enquêtes quantitatives ou qualitatives récentes peuvent malgré tout nous donner des pistes à ce sujet. Des auteurs mettent bien en évidence que l’hypothèse d’un partage plus inégalitaire dans les milieux moins favorisés (observé notamment dans les travaux de Schwartz (1990)) ne se révèle pas vérifiée aujourd’hui. Pailhé et Solaz (2010) affirment, pour la France, que tant dans les milieux favorisés que dans ceux qui ne le sont pas s’observe un partage « moins équilibré » entre conjoints. Cartier et ses collègues (2018) expliquent que des changements dans les perceptions des rôles au sein de la famille dans des couples « stabilisés des classes populaires22 » en France, malgré des pratiques souvent inégalitaires, ont comme résultat

qu’il est désormais inexact « de renvoyer l’ensemble des classes populaires à un “conservatisme” immuable en matière de genre » (p. 79-80). Le changement serait visible dans le support qu’offrent les hommes à leur conjointe, mais beaucoup moins dans la prise d’initiatives à la

22 « [C]e segment comprend les ménages composés d’ouvrier·e·s et d’employé·e·s qui ne sont ni “en bas” (les fractions les plus démunies de ressources économiques, d’inscriptions sociales protectrices et de capital culturel), ni “en haut” (les fractions qui, par leur stabilité d’emploi, leur niveau de ressources économiques et de participation à des pratiques socialement sélectives, sont proches des classes moyennes). » (Amossé et Cartier, 2018, p. 26-27)

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maison. La charge mentale de l’organisation du travail domestique demeurerait une tâche féminine. Bloss (2016) résume la situation ainsi :

Tout ce qui relève de la « gestion mentale » des tâches domestiques liées à l’enfant demeure une responsabilité féminine. […] Quels que soient leur appartenance sociale et leurs niveaux de diplôme, ce sont les femmes qui président à l’orchestration des relations avec les services de garde. Les hommes n’ont plus qu’à suivre la voie que leur a tracée leur conjointe, sans le moindre sentiment d’exclusion, tant ils reconnaissent à leur compagne des compétences dont ils se disent totalement dépourvus. Cette attribution sexuée des savoir-faire n’est du reste pas vécue par les femmes comme un ensemble d’actes que leurs conjoints leur imposeraient ou dont ils se débarrasseraient. (p. 53-56)

Un dernier aspect à prendre en compte dans la division du travail domestique dans les couples est la question du « temps pour soi ». Comme le rapporte Testenoire (2006), « [l]’accès des femmes de milieu populaire à des territoires personnels s’effectue rarement d’emblée » (p. 131). C’est avec le temps que, petit à petit, elles s’accordent du temps pour elles, dans la mesure du possible. Masclet (2018) va dans le même sens et précise que leurs conditions de travail jouent un rôle dans leur façon d’entrevoir le temps personnel et le contexte dans lequel elles peuvent mobiliser ce temps :

Si les femmes d’aujourd’hui expriment une exigence d’autonomie et disposent dans les faits d’une aire « pour elles », le temps qu’elles peuvent dégager pour elles-mêmes demeure en grande partie régi et modelé par la condition d’épouse et de mère. Par ailleurs, l’engagement de ces femmes dans des activités de loisirs investies de dimension personnelle ne les rapproche pas nécessairement des femmes des classes moyennes diplômées. Si l’accès au travail salarié a ouvert aux femmes des classes populaires de nouveaux horizons, le travail qui est le leur contribue aujourd’hui à leur domination. Le temps qui leur est propre ne peut être analysé indépendamment de la position qu’elles occupent au travail. (p. 117-118)

Ainsi, dans l’ensemble, les femmes ont davantage la charge du travail domestique que les hommes et, par ricochet, moins de temps personnel que les hommes.

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2.4 Conclusion

Les arrangements de travail décrits dans la littérature rendent compte tant des changements au sein des couples que du maintien d’inégalités entre les hommes et les femmes. Ces dernières continuent à faire davantage de tâches ménagères, d’être les premières responsables des soins aux enfants et de porter la charge mentale de l’organisation familiale. De plus, l’emploi masculin continue à être vu comme un élément clé de l’identité masculine, ce qui fait en sorte que l’emploi du père est vu comme prioritaire et celui de la mère, comme secondaire. Les mères sont alors au centre des arrangements de travail et doivent s’organiser pour que le travail à accomplir pour faire fonctionner la famille, travail rémunéré ou non, soit fait. Enfin, tandis que les personnes ayant des revenus élevés peuvent utiliser certains aménagements pour réduire les tensions entre les responsabilités familiales et professionnelles (demande d’un horaire flexible, externalisation de certaines tâches domestiques ou de soins), les familles à bas revenus n’y ont pas accès (Dodson, 2013). Les travailleurs et travailleuses au bas de l’échelle vivent avec une tension plus grande et une fatigue accrue (Pailhé et Solaz, 2010). Par conséquent, malgré des transformations au sein des familles, la situation ne semble pas avoir beaucoup changé depuis les 30 dernières années. Déjà dans les années 1980, Devreux faisait le constat suivant :

La parentalité, comme on l’a vu, conforte les hommes dans le droit à la carrière, sous couvert de responsabilité économique de la famille; tandis qu’elle déstabilise la situation professionnelle des femmes. De plus, pour celles-ci, se surajoute l’incidence de leur position dans la hiérarchie sociale. Celle-ci vient renforcer les effets déstabilisateurs puisque les risques de sortie d’activité, totale ou partielle, sont plus grands chez les petites employées, alors que les femmes cadres ou de profession libérale gardent la ressource d’adapter leur comportement professionnel aux attentes du milieu de travail. (p. 124)

Avec le contexte décrit au premier chapitre en toile de fond et ce que nous dit la littérature actuelle sur les arrangements de travail entre conjoints hétérosexuels, nous pouvons nous demander comment font les couples de parents à plus faible revenu au Québec. Sans brosser un portrait représentatif de la situation, il est intéressant de tenter de comprendre ces arrangements dans le contexte québécois où certains programmes, comme le Régime québécois d’assurance

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parentale et le Réseau public de services de garde à contribution réduite, sont disponibles pour les parents travailleurs et travailleuses. C’est ce que nous ferons plus loin, lors de la présentation des analyses. Le prochain chapitre brosse quant à lui un portrait de la littérature disponible sur la gestion de l’argent au sein des couples, l’argent pouvant faire le lien entre le travail et la famille (Lazarus et de Blic, 2010). Nous pourrons ensuite analyser conjointement les arrangements de travail et d’argent en mettant en relation ces deux champs.

Chapitre 3 – L’argent au sein des couples : entre gestion de