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Et des mesures visant les entreprises ou le marché du travail?

Chapitre 1 – L’emploi au Québec : Une mise en contexte

1.2 La politique familiale au Québec

1.2.4 Et des mesures visant les entreprises ou le marché du travail?

Les trois sections précédentes ont mis en lumière différentes actions posées par l’État québécois, mais aussi par le gouvernement fédéral, pour faciliter une meilleure articulation des responsabilités professionnelles et des responsabilités familiales des parents québécois. La présente section présente brièvement les mesures gouvernementales touchant les employeurs. Nous verrons qu’elles sont peu nombreuses et qu’elles ont un impact limité sur les familles, particulièrement celles où les parents occupent des emplois au bas de l’échelle.

Pour favoriser une meilleure articulation entre famille et travail, l’État québécois n’impose que très peu de règles aux entreprises : il privilégie une approche incitative plutôt que coercitive envers les milieux de travail (St-Amour et Bourque, 2013). Deux mesures incitatives sont actuellement en vigueur. La première est le « Prix reconnaissance conciliation travail-famille » remis annuellement depuis 2009 par le ministère de la Famille conjointement avec le Regroupement des jeunes chambres de commerce du Québec. Ce prix vise à « reconnaitre publiquement l’engagement des organisations en faveur de la conciliation travail-famille et souligner publiquement leurs efforts » (ministère de la Famille, 2018a). La deuxième initiative est la Norme Conciliation travail-famille qui peut être octroyée par le Bureau de normalisation du Québec (BNQ) depuis 2010 à toute organisation, peu importe sa taille ou ses activités, et qui « vise à ce que la CTF [conciliation travail-famille] fasse partie intégrante de la gestion des ressources humaines des organisations » (BNQ, s. d.). Selon le site du BNQ, seules huit organisations étaient certifiées en mai 2018. Ainsi, bien que ces initiatives puissent être intéressantes, elles ne semblent pas avoir un impact majeur sur les entreprises et donc, sur les travailleurs et travailleuses qui y œuvrent.

Malgré l’absence de législation les obligeant à mettre en place des mesures ayant pour objectif une meilleure articulation pour les travailleurs et travailleuses qui ont des obligations familiales, certains employeurs le font tout de même. Ainsi, une étude exploratoire commandée par le ministère de la Famille et le Secrétariat du travail dont le rapport a été publié en 201713 montre

13 L’étude est basée sur un sondage en ligne effectué auprès de 7958 personnes participantes au printemps 2015. L’échantillon est composé à 75 % d’entreprises du secteur tertiaire, à 80 % d’entreprises privées et à 85 % de milieux non syndiqués (p. 4).

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que 57 % des employeurs sondés ont évalué les besoins de leur personnel en ce qui a trait à l’articulation famille-travail et ont ensuite mis en place des mesures concrètes (Secrétariat du travail et ministère de la Famille, 2017). Les demandes demeurent toutefois traitées au cas par cas. De plus, de nombreuses entreprises dans l’étude n’ont pas mis en place de mesures spécifiques. Une des raisons évoquées est la nature des activités de l’entreprise : celles-ci ne se prêteraient pas à des pratiques visant l’articulation famille-travail.

Pour les employées et employés des entreprises n’ayant pas de politique d’articulation famille- travail, il ne reste donc que la Loi sur les normes du travail (LNT) dans laquelle « le législateur inscrit […] certains congés et absences pour des raisons familiales et parentales » (Gesualdi- Fecteau, 2010, p. 87). La LNT a été révisée de façon majeure en 2018 (CNESST, s. d.). Cette révision avait ouvertement pour but de faciliter la vie des travailleurs et travailleuses ayant des responsabilités familiales. Par exemple, sur les 10 jours de congé pour raisons familiales auparavant disponibles, deux de ces journées sont dorénavant payées si la personne salariée « justifie trois mois de service continu ». La loi stipule aussi qu’il est maintenant possible pour une personne salariée de s’entendre avec son employeur sur l’étalement des heures de travail prévues sur une période autre qu’hebdomadaire. Ensuite, une personne salariée peut refuser de travailler plus de 2 heures au-delà de ce qui était prévu à son horaire. Elle peut aussi refuser de travailler si elle n’a pas été avisée au moins cinq jours à l’avance. Enfin, une semaine a été ajoutée aux deux semaines de vacances annuelles auparavant prévues lorsqu’une personne salariée travaille pour le même employeur depuis au moins trois ans.

Ces modifications à la Loi sur les normes du travail du Québec sont certes une amélioration des conditions de travail de nombreux travailleurs et travailleuses du Québec. Toutefois, ces normes demeurent très minimales en ce qui concerne la possibilité de mieux articuler famille et travail. Par exemple, le nombre de semaines de vacances annuelles prévues demeure bien en deçà du nombre de congés des enfants d’âge scolaire (comme les vacances de Noël et estivales, la semaine de relâche, etc.) (St-Amour et Bourque, 2013). De plus, la non-rémunération de la quasi- totalité des 10 journées d’absence pour raisons familiales (pour prendre soin d’un enfant ou d’un conjoint, par exemple) pose problème particulièrement aux personnes qui travaillent au bas de l’échelle : leurs faibles revenus leur permettent difficilement de perdre une journée de salaire.

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Le constat fait par certaines chercheuses avant la révision de la Loi sur les normes du travail demeure : en favorisant une approche incitative plutôt que coercitive envers les milieux de travail, le Québec laisse largement l’aménagement du temps de travail à la discrétion des employeurs et n’offre pas des conditions maximales pour l’articulation famille-travail à de nombreux travailleurs et travailleuses (Bernstein, 2011; St-Amour et Bourque, 2013). C’est particulièrement le cas dans le secteur des services qui est réputé offrir des horaires atypiques et des emplois non syndiqués (Bernstein, 2011). De plus, les conditions de travail qu’arrivent à négocier les syndicats demeurent en phase avec l’idéologie dominant ce secteur de l’économie : les horaires doivent pouvoir couvrir de longues plages horaires concordant avec les heures d’ouverture qui seraient attendues pour les commerces.

The resulting norms, in a context of relatively weak bargaining power on the worker’s part and weak legislative intervention, provide for high predictability of worker availability for the employer and the potential for reasonable to very low predictability for employees, depending on their employment status. (Bernstein, 2011, p. 126)

Ainsi, si les « protections prévues dans cette loi sont accordées à l’ensemble des salariés québécois » (Gesualdi-Fecteau, 2010, p. 87), elles sont dans les faits des protections pour les employées et employés non syndiqués qui travaillent dans des milieux où le rapport de force est à l’avantage de l’employeur, notamment à cause de la faible scolarisation de la main-d’œuvre : les personnes occupant des emplois de meilleure qualité ont des conditions de travail se trouvant bien au-dessus de ce qui est offert dans la Loi sur les normes du travail québécoise.