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Chapitre 5 – Une méthodologie qualitative pour saisir un objet complexe

5.4 Le déroulement des entretiens

Cette section présente le déroulement des entretiens : le lieu et la durée de ceux-ci, ainsi que les outils utilisés.

40 Quelques conjoints ont été rencontrés lors de la même visite. Toutefois, nous avons tenté d’éviter de faire les deux entretiens l’un après l’autre, puisque vu la longueur de chaque rencontre, la concentration de l’intervieweuse était beaucoup moins grande lors du deuxième entretien.

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5.4.1 Le lieu et la durée des entretiens

À la convenance des personnes participantes, les entrevues ont eu lieu au domicile des personnes (19), dans un café ou une foire alimentaire (7), dans un parc (1), au lieu de travail (1), dans une salle de l’Institut national de la recherche scientifique, centre Urbanisation, Culture et Société (INRS-UCS) à Montréal (1), et finalement, dans un local d’un organisme communautaire Famille41

qui a participé au recrutement (1).

La durée moyenne des entretiens a été de 100 minutes42. Le plus court a duré 51 minutes, et le

plus long, 173 minutes. Pour trois entretiens, la durée ne pouvait pas être beaucoup plus longue que 90 minutes puisque les personnes, dès notre arrivée, nous ont avisée que c’était le temps dont elles disposaient avant d’aller travailler ou d’aller chercher leurs enfants à la garderie.

5.4.2 Les outils utilisés

Trois documents ont été développés pour les entretiens : le formulaire de consentement (voir annexe 1), un formulaire sociodémographique et une grille d’entretien qui incluait deux scénarios (voir annexe 2).

Les entretiens commençaient par la lecture du formulaire de consentement ou sa présentation dans les grandes lignes ainsi que la signature du document. Nous nous assurions que la personne était à l’aise avec l’enregistrement de l’entretien.

Nous posions ensuite quelques questions d’ordre sociodémographique : âge, lieu de naissance et proximité géographique de la famille élargie (pour les deux membres du couple); années du début de la relation conjugale et du début de la vie commune et statut matrimonial; nombre et âge des enfants issus de l’union actuelle et d’autres relations s’il y avait lieu; dernier diplôme obtenu et occupation principale actuelle pour les deux conjoints ainsi que pour leurs parents respectifs; revenus personnels annuels estimés. Ces informations mettaient la table pour la suite et nous pouvions revenir sur certaines informations lors de la discussion. Le « vous » cédait rapidement

41 À la demande de la personne responsable, nous avons signé un formulaire sur place expliquant l’objectif de l’entrevue et du projet de recherche plus généralement.

42 Neuf entretiens ont duré plus de 2 h, neuf ont duré entre 1 h 30 et moins de 2 h, dix entre une heure et moins de 1 h 30 et deux un peu moins de 1 h.

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la place au « tu » et nous nous assurions finalement que la personne était à l’aise avec le tutoiement.

Nous n’avions pas de questionnaire pour la réalisation des entretiens, mais plutôt une grille divisée en quatre colonnes thématiques dans laquelle nous naviguions au gré des propos des personnes participantes. La grille visait de façon générale à obtenir un portrait des arrangements actuels des personnes en ce qui concerne le travail et l’argent tout en recueillant aussi les significations qu’elles donnaient à ces pratiques. Les changements qui pouvaient avoir eu lieu durant la relation étaient aussi abordés. Une attention particulière était portée à la façon dont les conjoints parlaient de leurs interactions conjugales (discussions ou non-dits, entente tacite, impression de véritables choix ou non, etc.).

Chaque colonne correspondait à un grand thème. Le premier, le couple, permettait de rendre compte des débuts de la relation de même que de leur façon de percevoir leur relation conjugale. Elle incluait la façon dont la personne participante a rencontré son conjoint, les débuts de leur relation, leur statut matrimonial (et sa raison), leur façon de qualifier leur relation ainsi que ce qui peut favoriser la longévité d’une relation conjugale. La deuxième colonne portait sur les enfants : leur naissance, les changements induits par leur arrivée, le partage des tâches dans leur couple, les discussions à ce propos, les arrangements de garde ainsi que la perception de leur rôle de parent. La troisième colonne concernait l’argent. Plusieurs aspects y étaient inclus : la gestion de l’argent de façon générale, la mise en place des arrangements, l’accès et le contrôle de l’argent, les dépenses personnelles et communes, les types de comptes bancaires de chaque conjoint, la signification de l’argent (personnel ou familial), la satisfaction du fonctionnement actuel, les changements survenus et dans quelles circonstances de même que les questions de l’épargne et des dettes. L’insécurité financière faisait aussi partie de ce thème : période d’insécurité financière (actuelle ou passée), stratégies pour y remédier (aide de la famille élargie, notamment), etc. Enfin, la dernière colonne portait sur le travail rémunéré et visait à cerner leur situation (emploi ou non, travail informel, conditions de travail, horaires, changement d’emplois ou d’occupations, perception de l’emploi rémunéré et du chômage). La grille s’est enrichie au fil du temps et a été adaptée aux diverses situations selon les trajectoires des personnes

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rencontrées (par exemple aux personnes bénéficiaires de l’aide sociale pour qui le travail rémunéré peut avoir occupé une plus petite place dans leur vie depuis qu’elles sont en couple). À partir du cinquième entretien, inspirée par la thèse de Caroline Henchoz (2007)43, deux mises

en situation ont été ajoutées afin de dépasser un certain discours sur les rôles parentaux (« les mères font ceci, les pères font cela », « je suis à l’aise avec notre façon de fonctionner », etc.). L’une proposait une situation « traditionnelle » où un homme travaille beaucoup tout en trouvant cela normal pendant que sa conjointe a diminué son temps de travail rémunéré à la suite de la naissance de leur deuxième enfant44. L’autre portait sur une femme qui tient à séparer les

dépenses 50-50 avec son conjoint alors qu’elle a des revenus moindres puisqu’elle considère qu’il s’agit d’une question d’égalité45. Lorsque la discussion commençait à s’essouffler, que tous les

thèmes de la grille semblaient avoir été abordés, nous lisions ces deux mises en scène en leur précisant qu’il n’y avait pas de bonne ou de mauvaise réponse, que nous voulions seulement savoir ce qu’il ou elle en pensait. Dans la très grande majorité des cas, cette technique a été efficace : en livrant leur pensée sur la réalité d’un couple fictif, les personnes arrivaient souvent à révéler des idées qu’elles n’avaient pas abordées auparavant dans l’entretien.

À partir du seizième entretien, nous avons aussi ajouté deux maximes : « Quand on s’aime on ne compte pas. » et « Les bons comptes font les bons amis. ». L’objectif était de faire parler davantage de l’argent qui nous semblait parfois être abordé de façon trop « pratique », sans réussir à saisir davantage leurs réflexions. Une troisième maxime (« L’argent ne fait pas le bonheur. ») s’est ajoutée encore plus tardivement (à la dix-huitième entrevue), suivant ce que les personnes nous avaient dit dans les entretiens précédents. Tant les mises en situation que les maximes permettaient d’ouvrir la discussion sur leurs représentations plus générales de l’amour, de l’argent, des rôles parentaux ou du travail. Ces éléments « extérieurs » à elles poussaient

43 Contrairement à Henchoz cependant, nos mises en situation étaient plus courtes afin d’être facilement compréhensibles pour les personnes que nous allions rencontrer.

44 « Jean et Isabelle sont mariés depuis 10 ans et ont 2 enfants. Depuis la naissance de leur dernier enfant, Isabelle travaille moins pour avoir plus de temps pour s’occuper des enfants. Jean fait du temps supplémentaire le plus souvent possible et trouve ça normal puisque comme il est le père, c’est son devoir de travailler et de rapporter l’argent pour nourrir sa famille. Qu’en pensez-vous? »

45 « Martin et Julie ont 3 enfants de 2 à 10 ans. Ils travaillent tous les deux. Julie insiste pour payer la moitié des dépenses (comme l’épicerie, le loyer, la garderie) même si elle a un moins gros salaire que son conjoint. Pour elle, c’est une question d’égalité. Qu’en pensez-vous? »

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parfois les personnes à revenir à leur situation personnelle ou conjugale. Ces ajouts ont assurément enrichi le corpus.

La grille était appropriée à l’objet d’étude et à notre approche exploratoire à cause de l’entrelacement entre divers aspects de la vie des personnes rencontrées : le questionnaire aurait pu être très contraignant dans ce cas-ci. Ainsi, nous commencions l’entretien avec une question générale sur la façon dont les conjoints s’étaient rencontrés et poursuivions selon ce qui était dit. Les quatre grands thèmes étaient couverts dans l’ordre ou dans le désordre, parfois simultanément. La contrepartie de cet outil est que dans le flot de paroles dites, certaines informations, surtout des détails, n’ont pas été obtenues lors de tous les entretiens, à cause d’un oubli de notre part. Compte tenu de l’approche compréhensive, ces manques ne diminuent pas la richesse des récits recueillis puisque les données dont nous disposons rendent effectivement compte des pratiques et significations des personnes rencontrées en ce qui a trait à leurs arrangements conjugaux.