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COMPRENDRE UNE NOUVELLE ACTION PUBLIQUE URBAINE AU CHILI : LE PROGRAMME PUBLIC DE RÉHABILITATION DE

1. L’APPROCHE THÉORIQUE ET MÉTHODOLOGIQUE DE LA RECHERCHE : L’ANALYSE DE L’ACTION PUBLIQUE

1.3 Paradigmes, théories et cadres d’analyse de l’action publique

L’action publique comme objet de connaissance, a été soumise à de nombreuses tentatives théoriques d’explication. Il existe plusieurs théories qui proposent d’élucider l’émergence, le changement ou le développement des politiques publiques, ce qui se produit également avec les objets d’étude des sciences sociales. Le travail scientifique implique, en grande partie, de proposer des théories pour expliquer des phénomènes (tels que l’action publique), et d’essayer de les vérifier ou de les réfuter au travers de démonstrations et de preuves empiriques. Cette vision de la science répond toutefois au courant principal de recherche des politiques publiques, à savoir, l’empirisme. Cependant, durant les dernières décennies, le post-empirisme a vu le jour dans le champ de l’analyse des politiques publiques (Roth, 2008).

En effet, selon Lascoumes et Le Galès (2012), les concepts et les méthodes d’étude de l’action publique ne relèvent pas d’une épistémologique spécifique, mais reprennent les grands paradigmes des disciplines des sciences sociales : « la sociologie, la sociologie politique, l’économie, l’histoire, le droit, contribuent à l’analyse de l’action publique » (Lascoumes et Le Galès, 2012 : Chapitre 1, Section 1, para. 1).

Étant donné la complexité de l’objet, une seule théorie n’est pas en mesure de donner une explication appropriée. Par conséquent, les différents cadres analytiques tentent, à divers degrés, de combiner plusieurs perspectives paradigmatiques et théoriques (Roth, 2008). En ce qui concerne cette thèse, la question que nous pouvons poser est : où se situe-t-elle dans le champ disciplinaire dans lequel elle se déploie ? La réponse adéquate à cette question n’est pas de

savoir à quel paradigme la thèse va répondre exactement, mais quelle est la contribution de la thèse à la connaissance dans le domaine où elle se situe (le domaine des politiques de réhabilitation de quartiers défavorisés). Pour répondre à une telle question, il est nécessaire de rappeler sommairement les principaux paradigmes, théories et cadres d’analyse dans le champ ou sous-discipline de l’analyse de l’action publique.

La réflexion épistémologique a montré que les théories scientifiques ne sont pas neutres, en revanche, elles sont attribuées à une certaine vision du monde, c’est-à-dire, à un paradigme. La recherche en sciences sociales s’oriente vers quatre paradigmes : positivisme, post-positivisme (ou rationalisme critique), théorie critique et constructivisme. Ces paradigmes diffèrent essentiellement : (i) par leur façon de percevoir la réalité (ontologie), (ii) par le type de relation entre la connaissance et le chercheur (épistémologie), et (iii) par la manière dont la connaissance est obtenue (méthodologie utilisée). Dans ce contexte, une théorie est une sorte de carte avec laquelle on essaie de simplifier la réalité pour la rendre compréhensible, et en ce sens, elle est une extrême réduction de la complexité du monde (Roth, 2008).

Il faut clarifier, toutefois, qu’il n’est pas possible d’assimiler les politiques publiques aux paradigmes scientifiques, parce que, à la différence de ce qui se passe lors de révolutions scientifiques, les politiques publiques ne changent pas la totalité de leur « noyau dur » (ou leur logique fondamentale), mais expérimentent une recomposition de leurs différents éléments et de leurs valeurs (Roth, 2008). Même si la recherche reste ouverte aux différentes théories d’analyse de l’action publique, des cadres et des éléments provenant de différents ouvrages sélectionnés sont proposés pour examiner la politique de quartiers chilienne. Sur ce point, le travail de Subirats et al (2008) est très utile à l’analyse et à la gestion des politiques publiques, car il permet de réviser les différentes perspectives théoriques et les courants d’étude.

Ces perspectives théoriques se trouvent aussi dans le travail de Pierre Müller (2011) sur les politiques publiques. L’auteur distingue trois manières de construire une problématique à propos des politiques publiques : (i) leur genèse, (ii) le fonctionnement du système d’action concret à travers lequel est élaborée et mise en œuvre une politique publique, et (iii) les effets des politiques publiques sur la société. Approximativement, il est possible de distinguer trois courants d’analyse de politiques publiques, lesquelles sont définies selon les perspectives théoriques et normatives de leurs auteurs :

a. L’analyse des politiques publiques et les théories de l’État. Ce courant est dominé par la science politique qui tente d’associer l’analyse des politiques publiques à la philosophie politique, autour de la théorie de l’État : l’apparition de ce dernier, sa nature, l’essence de la politique. Trois « modèles théoriques » ou écoles de pensée peuvent être identifiées : (i) une perspective pluraliste, selon laquelle l’État serait une espèce de « guichet » ; les politiques publiques représenteraient des réponses aux demandes sociales qui doivent être analysées à partir d’une logique d’optimisation des décisions collectives et de rationalisation des processus de prise de décisions (en ligne avec l’école du public choice) ; (ii) une perspective où l’État est un outil au service d’une classe sociale (approche néo-marxiste), ou de groupes spécifiques (approche néo-managériale) ; (iii) une perspective qui met l’accent sur la distribution du pouvoir entre les acteurs et sur les interactions entre ces derniers, en analysant les différents intérêts sectoriels ou les différentes

catégories d’acteurs (approche néo-corporativiste), ou en analysant les organisations et les règles institutionnelles qui encadrent ces interactions (approche néo-institutionnaliste).

Aujourd’hui, de nombreux analystes des politiques publiques se positionnent dans la perspective néopositiviste qui prolonge le rêve d’une discipline fournissant une connaissance scientifique objective, utile et spécialisée pour assister à la prise de décisions ou à la légitimité des décisions sur les politiques publiques (Roth, 2008).

b. Un courant orienté sur l’explication du fonctionnement de l’action publique. L’analyse des politiques publiques serait un moyen de comprendre la manière de fonctionner ou la logique de l’action publique. L’État ne serait pas l’unique acteur mais constituerait un système politico-administratif complexe et hétérogène. Ainsi il est nécessaire que son fonctionnement soit étudié afin de proposer des recommandations. Les auteurs à l’origine de ce courant décrivent quatre points de vue différents : (i) une perspective centrée sur l’analyse du processus de prise de décisions et sur les stratégies des acteurs (sociologues des organisations publiques), et orientée vers l’analyse des systèmes d’acteurs (management public) ; (ii) une perspective centrée sur les outils et les instruments d’intervention publique. Les approches économiques, notamment le New Public Management, y sont fondamentales, alors que l’action publique est analysée en fonction de son efficacité micro et macro-économique ; (iii) une perspective centrée sur les structures, les procédures et les formes institutionnelles de l’administration publique, telles que les politiques institutionnelles, les reformes administratives, les politiques de décentralisation (approche des sciences administratives et du Droit Administratif) ; et (iv) l’approche cognitive qui tente de comprendre le rôle des idées et des représentations (frames) dans la formation et la définition des problèmes, idées et représentations qui deviennent le sujet de l’action publique et qui expliquent le changement dans les politiques publiques . Cette approche met l’accent sur les principes, l’argumentation et les valeurs qui définissent « une vision du monde » ou un référentiel.

c. L’évaluation des effets de l’action publique. Ce courant d’analyse tente d’expliquer les résultats de l’action publique et ses effets sur la société selon les objectifs qu’elle poursuit et/ou ses effets indirects et non prévus. Dans ce domaine, deux préoccupations sont fondamentales : (i) le développement d’une méthodologie d’évaluation (ou « boîte à outils » contenant l’analyse statistique des données quantitatives, l’analyse coût-bénéfice, la comparaison quasi expérimentale, etc.) ; et (ii) le processus d’évaluation en matière d’amélioration de la gestion publique et d’influence sur le processus de prise de décisions58.

58 En Suisse, l’évaluation s’est transformée en une profession et il existe même une association des professionnels de l’évaluation, laquelle garantit la qualité des évaluations effectuées ou méta-évaluations ; en France, il existe une tendance similaire mais les résultats des évaluations sont encore peu utilisés pour le changement des politiques publiques (Roth, 2008).

Tableau Nº15 : Trois courants d’analyse des politiques publiques

Courant

d’analyse dominante Discipline théoriques identifiés Modèles Écoles, approches identifiées épistémologiques Paradigmes

identifiés

Les théories de

l’État Science politique, Sociologie des organisations Économie Perspective pluraliste (État « guichet » ; politiques publiques comme réponses aux demandes sociales ; logique d’optimisation, rationalisation) Public choice Utilitariste, (analyse coût/bénéfice) Néopositivisme (public choice) Positivisme État comme outil au

service d’une classe sociale ;

ou au service des groupes spécifiques Approche néo-marxiste Approche néo-managérial Théorie critique (théorie de l’action communicative) Distribution du pouvoir :

intérêts sectoriels ou des différentes catégories d’acteurs ; analyse des organisations et règles institutionnelles Approche néo-corporativiste Approche néo-institutionnaliste Théorie critique (théorie de l’action communicative) Post-positivisme Néopositivisme Le fonctionnement de l’action publique Sociologie des organisations, Economie, Sociologie politique, Sociologie de l’action publique Processus de décisions ;

théorie des systèmes ; Management

publique Théorie des organisations

Economie Efficacité micro et macro-économique de l’action publique New Public Management (analyse coût /bénéfice) Positiviste

Droit public Structures, procédures et formes institutionnelles de l’administration publique Approche des sciences et du droit administrative Post-positivisme ou rationalisme critique Science politique, Sociologie politique, Sociohistoire, Sociologie de l’action publique Théorie du changement dans l’action publique (Müller 2005) Dynamiques d’étatisation (pratiques et dispositifs) (Foucault) Théorie de transfert de politiques publiques PTS Approche cognitive et normatif Constructivisme (post-empirisme) L’évaluation des effets de l’action publique Economie,

Sociologie Théorie de la décision rationnelle, théorie de la modernisation, de la rationalisation Approche méthodologique et statistique Approche de la gestion publique Positiviste Post-positivisme ou rationalisme critique

Source : élaboration personnelle basée sur Subirats et al, 2008 ; Roth, 2007 ; Roth, 2008 ; Lascoumes et Le Galès, 2012.

Comme mentionné auparavant, plutôt que de choisir un courant d’analyse pour commencer à étudier le programme Quiero mi Barrio, nous empruntons quelques attributs essentiels à certains d’entre eux, qui peuvent nous aider à approfondir ou mieux interpréter les résultats empiriques de la généalogie et du développement du programme, en mettant l’accent sur la richesse des informations apportées par les interviewés et par les documents institutionnels recueillis pendant la première étape du travail de terrain.

Selon le tableau Nº15, la recherche emploie plutôt des éléments des deux premiers, en évitant de s’orienter vers les effets ou résultats de la politique :

• Pour ce qui est des théories de l’État, la thèse identifie, dans les propos des acteurs interviewés, des éléments des approches néo-marxiste et néo-managériale (l’État comme outil au service d’une classe sociale ou de groupes spécifiques) ; des échos de l’approche néo-corporativiste (distribution du pouvoir entre les acteurs et l’analyse des différents intérêts sectoriels ou des différentes catégories d’acteurs) ; et quelques aspects de l’approche néo-institutionnaliste (organisations et règles institutionnelles qui encadrent les interactions entre acteurs).

• Quant au fonctionnement de l’action publique, la thèse analyse bien le processus de prise des décisions autour du programme Quiero mi Barrio et les stratégies des différents acteurs, perspective concernant la sociologie des organisations publiques. La thèse incorpore aussi quelques principes du management public, car elle identifie des systèmes d’acteurs avec des logiques d’action différenciées. Finalement, l’approche cognitive est d’une importance primordiale, puisque l’objet d’étude consiste en un changement dans la politique urbaine chilienne. Le rôle joué par les idées dans la définition du problème public est essentiel. En effet, dans le chapitre sur la généalogie, nous constaterons un changement de référentiel dans la politique du logement et la politique urbaine chiliennes, référentiel constitué d’idées qui « expriment la vision du monde des groupes dominants » (Muller, 2005 : 170), et donc des intérêts qui sont liés à cette vision.

1.4 Revendiquer un « bricolage théorique » dans la recherche : une démarche inductive et

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