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COMPRENDRE UNE NOUVELLE ACTION PUBLIQUE URBAINE AU CHILI : LE PROGRAMME PUBLIC DE RÉHABILITATION DE

2. LES ÉLÉMENTS POUR LA LECTURE DE L’ACTION PUBLIQUE AUTOUR DU PROGRAMME QUIERO MI BARRIO

Après avoir exposé l’approche théorique et méthodologique de la recherche, ce sous-chapitre se propose d’élaborer un modèle d’analyse de l’action publique autour de la nouvelle politique urbaine chilienne de quartiers, notamment du programme Quiero mi Barrio. Le modèle d’analyse suppose non seulement un ensemble de variables ou d’outils, mais aussi une logique dans l’analyse présentée. Ainsi, la section inclut, en premier lieu, le choix des propositions de « clés de lecture » de l’action publique.

En deuxième lieu, nous présentons les nouvelles approches territoriale et participative, lesquelles représentent deux dimensions qui traversent toute la recherche et qui font partie de l’objet d’étude, à savoir, le programme Quiero mi Barrio (PQMB). En troisième lieu, sont présentés les trois grands moments du processus d’élaboration de la politique qui structurent ou organisent la présentation des résultats : la généalogie, l’installation et le développement du PQMB, en prenant conscience que l’évolution de la politique a toujours été interactive et que le cadre séquentiel d’analyse est une simplification.

2.1 Des variables d’analyse de l’action publique

Cet exercice aide à décomposer une réalité complexe. En effet, à mesure que le travail de terrain avançait, surtout pendant les entretiens avec les différents acteurs sur la formulation et l’installation de la politique, des dimensions ou des facteurs déterminants ont été identifiés, lesquels se sont répétés à plusieurs reprises lors des entretiens :

• les acteurs et leur niveau d’implication dans la conception de la politique et leur marge d’action en fonction de leur position dans le système d’acteurs ;

• les idées et notions des acteurs sur les principes du PQMB ;

• les intérêts (quoique cachés) des acteurs qui ont participé au développement du programme ; • la forte détermination du cadre institutionnel dans lequel les acteurs ont interagi ;

• la transformation institutionnelle grâce à la nouvelle politique (ou l’inexistence ou la capacité relative à une telle transformation institutionnelle, dans certains moments ou cas) ;

• la création d’instruments qui, éventuellement, révèlent des transformations plus profondes (notamment le Contrat de quartier et le Conseil de quartier pour le développement) ;

• la dimension politique quant à l’influence des partis politiques dans l’institution (le ministère du Logement et de l’Urbanisme) et dans le processus de formulation du PQMB ;

• les ressources économiques, humaines, entre autres – représentant tantôt un avantage, tantôt un désavantage –, etc.

Cette identification des dimensions à partir du terrain est en ligne avec les observations de Lascoumes et Le Galès (2012) qui affirment que « la majorité des travaux contemporains sur l’action publique prennent en compte les acteurs, leurs échanges et le sens qu’ils leur donnent, mais aussi les institutions, les normes, les procédures qui gouvernent l’ensemble de ces interactions, ainsi que les représentations collectives » (Lascoumes et Le Galès, 2012 : chapitre 1, section 1, para. 4).

• Subirats et al (2008), proposent que l’analyse des politiques publiques soit transversale et se base sur les « principales clés de lecture des politiques publiques » : les acteurs, les ressources et le cadre institutionnel. Les acteurs peuvent être publics ou privés, empiriques ou intentionnels ; les ressources sont de dix types différents – juridiques, humaines, économiques, cognitives, interactifs, de confiance, chronologiques, d’infrastructure, de support politique, et de violence.

• Lascoumes et Le Galès (2012), utilisent un modèle interactif d’analyse de l’action publique, basé sur cinq variables, reliées entre elles : acteurs, représentations, institutions, processus, et résultats. Les acteurs peuvent être des individus ou des collectifs, dotés d’intérêts (matériels et/ou symboliques), de ressources, ainsi que d’une certaine autonomie, en capacité de faire des choix. Les représentations sont des cadres cognitifs et normatifs qui donnent du sens aux actions (les connectant aux valeurs et aux symboles). Les institutions représentent les cadres de l’action : les normes, les règles, les procédures qui orientent les interactions, ainsi que les instruments (qui constituent en fait un type particulier d’institutions). La combinaison des trois premières variables détermine le processus, ou les mobilisations des acteurs et leurs dynamiques d’échange et d’évolution dans le temps. Finalement, les résultats sont les effets sur les organisations et les comportements (outputs), et les conséquences ou les impacts sur le problème que l’action publique veut traiter (outcomes) (voir Figure Nº7). • Pariel et Surel (2005), proposent l’usage des « Trois I » pour analyser l’État en action : intérêts,

institutions et idées. Travailler les intérêts implique d’identifier les acteurs concernés dans le domaine étudié, leurs préférences et leurs stratégies, ainsi que leurs conflits et leurs coopérations. Travailler sur les institutions suppose de percevoir comment le tissu plus ou moins ancien et étroit de règles, de pratiques et de cartes mentales ancrées pèse sur les comportements des acteurs concernés. Finalement, les idées sont les dimensions cognitives et normatives des processus analysés et conceptualisés de manière différente selon les auteurs qui ont étudié ce domaine (parmi eux, Müller, Jobert, Hall, Sabatier) : soit des paradigmes, des référentiels ou des systèmes de croyances.

• Musselin (2005), fournit trois postulats avec lesquels s’engager dans la démarche de l’analyse des politiques publiques, dans le contexte de ce que l’auteur appelle une sociologie de l’action organisée. Ceux-là sont : primauté des acteurs sur les structures, rationalité limitée et multimodalité de leurs comportements, importance des relations de pouvoir. Ces postulats

structurent la collecte de données et orientent le terrain qui, à travers un nombre suffisamment important d’entretiens et la comparaison méthodique des différents discours des acteurs, permet la systématisation des résultats empiriques et l’élaboration de la problématique à travailler.

Les descriptions des cadres précédents sont, en général, assez similaires. Néanmoins, le cadre qui nous considérons le plus approprié est le modèle d’analyse de Lascoumes et Le Galès. Sa flexibilité et son caractère interactif, dans le sens que toutes les variables interagissent entre elles, peuvent contribuer à discerner diverses tonalités, là où les choses semblent être « en noir ou blanc ». Ainsi, nous empruntons la figure de ces auteurs pour représenter le modèle d’analyse, mais en ajoutant les Instruments d’une façon plus manifeste, car leur rôle dans cette recherche est considérable. Les auteurs affirment, toutefois, que les instruments sont un type particulier d’institution, au sens sociologique du terme : une institution constituant « un ensemble plus ou moins coordonné de règles et de procédures qui gouverne les interactions et les comportements des acteurs et des organisations » (North, 1990 dans Lascoumes et Le Galès, 2004 : 15).

Figure Nº7 : Cinq variables de base de l’analyse de l’action publique et leurs combinaisons (Lascoumes et Le Galès, 2012)

L’analyse de chacune de ces variables et de leurs interactions est, selon les auteurs, un passage obligé dans l’analyse de l’action publique. Nous pouvons anticiper toutefois, quant aux possibilités pragmatiques de cette thèse et de l’objectif de recherche tracé, que les résultats des études de cas de deux quartiers ciblés par le programme Quiero mi Barrio ne seront pas

ACTEURS Intérêts , stratégies , ressources REPRESENTATIONS Qualification des enjeux. Idées, valeurs, symboles INSTITUTIONS

Normes , Instruments Cadres d’action

RÉSULTATS

Effets produits, outputs

Résultats, outcomes

PROCESSUS Mobilisations Coalitions/Conflits

représentatifs de l’ensemble des effets produits par le programme et, donc, que la cinquième des variables du modèle de Lascoumes et Le Galès ne pourra être abordée que de manière relative.

Finalement, il est nécessaire de souligner que, dans le cadre de cette recherche, une politique publique n’est pas un programme logique mais une expérimentation à observer lors de la reconstruction et de sa mise en œuvre. Ainsi, les politiques publiques « sont des puzzles à résoudre compte tenu de la fragilité des moyens, de l’incertitude des fins et de l’importance de jeux d’acteurs dans la mise en œuvre » (Lascoumes et Le Galès, 2012 : Chapitre 1, section 2, para. 4). L’action publique est donc un espace sociopolitique construit par des techniques, des instruments, des finalités, des contenus, des projets d’acteur. Elle se définit « par du bricolage, de l’enchevêtrement de réseaux, de l’aléatoire, une multiplication d’acteurs, des finalités multiples, de l’hétérogénéité, de la transversalité des problèmes, des changements d’échelles des territoires de référence » (Lascoumes et Le Galès, 2005 : Introduction, section 3, para. 5). Même si les auteurs cités se réfèrent au contexte européen du XXe siècle, la description donnée est parfaitement susceptible d’être appliquée au contexte chilien dans lequel cette thèse s’insère.

2.2 Les dimensions de contenu autour du programme Quiero mi Barrio

En ce qui concerne le cadre conceptuel de la thèse, les approches territoriale et participative représentent les dimensions ou axes thématiques de l’objet d’étude, à savoir, l’action publique autour du programme Quiero mi Barrio. Dans les chapitres 1 et 2, nous avons rappelé comment le problème public au sujet des quartiers défavorisés est construit, notamment en utilisant les concepts de l’exclusion sociale dans le milieu urbain, la pauvreté urbaine, etc. Ensuite, dans le chapitre 3, nous avons rappelé, à partir des exemples de la France et les États-Unis et d’une contextualisation du cas chilien, les réponses apportées à un tel problème public, c’est-à-dire, les plans ou modèles d’intervention en réhabilitation de quartiers défavorisés.

Dans les deux types de réhabilitation de quartiers, français et étatsunien, les approches territoriale et participative sont des éléments constitutifs des réponses au problème de la pauvreté urbaine. Cela veut dire qu’une approche territoriale de lutte contre l’exclusion en faveur des zones urbaines défavorisées s’est mise en place – la politique de la ville dans le cas français et la politique de soutien aux Community Development Corporations dans le cas étatsunien – approche territoriale qui requiert la participation et le partenariat des habitants pour bien fonctionner. De la même manière, dans le cas du programme chilien étudié, ces perspectives de travail représentent des bases structurantes qui, de plus, articulent l’analyse tout au long du déploiement de cette thèse.

Ainsi, si les composantes « territoriale » et « participative » ne sont pas des dimensions exclusives au programme Quiero mi Barrio, en revanche, elles sont présentes généralement dans

le domaine de l’amélioration des quartiers défavorisés60. Dans le cas chilien, ces approches représentent des éléments d’analyse incontournables, car elles sont les ingrédients qui expliquent le caractère novateur du PQMB, avec le quartier comme nouvelle unité d’intervention au sein du ministère de Logement et de l’Urbanisme.

L’information recueillie pendant le travail de terrain représente un corpus de contenu si riche, qu’il est possible d’identifier d’innombrables sous-dimensions de contenu, liées au sujet même de la politique urbaine de réhabilitation de quartiers et aux nouvelles approches proposées. Les dimensions territoriale et participative sont des approches conceptuelles « parapluies » ; en effet, il a été possible de les identifier dans les documents institutionnels du programme, avant l’application des entretiens. Néanmoins, pendant les entretiens de la première étape de recherche et les études des cas de la deuxième, nous avons pu aussi identifier d’autres thématiques liées aux approches territoriale et participative, dont le traitement dépend, par exemple, de l’acteur qui parle, du cadre d’action dans lequel le sujet s’insère, des instruments d’action publique mobilisés, etc. Ainsi, par exemple, le concept d’intégration sociale (urbaine) est défini de manière différente par les architectes et par les travailleurs sociaux du programme, les premiers se référant plutôt au thème urbain, s’assimilant ainsi à l’approche territoriale ; et les deuxièmes se référant davantage à l’intégration sociale des habitants à l’intérieur du quartier, se rapprochant donc plus de l’aspect participatif – ici les variables « représentations » et « acteurs » du modèle d’analyse de Lascoumes et Le Galès (2012), se manifestent de manière évidente (voir figure Nº7).

Nous donnons ci-dessous les définitions des approches novatrices que la thèse continuera à approfondir, en laissant en suspens l’analyse des sous-dimensions de contenu apparues lors du travail de terrain et qui seront présentées dans les chapitres sur la généalogie et le développement du programme. Nous verrons, par exemple, des thématiques comme la cohésion sociale, le capital social, l’empowerment, la coproduction, l’intégration sociale (urbaine), la durabilité, la régénération urbaine, l’autogestion communautaire, etc. Bref, c’est la grounded theory qui détermine cette manière d’organiser l’information recueillie : les sous-dimensions découvertes peuvent être expliquées à partir du contexte du programme. Il convient donc de les présenter lors de l’étape « de vie » du programme Quiero mi Barrio dans laquelle elles sont nées et se sont formées.

60 Nous pouvons aussi mentionner les cas d’autres expériences du travail territorial et participatif comme Die Soziale Stadt en l’Alemagne, Neighbourhood Renewal Strategy en l’Anglaterre, la Llei 2/2004 de millora de barris en Catalunya, entre autres.

2.2.1 Définitions de la nouvelle approche territoriale du programme Quiero mi Barrio

a. L’approche territoriale de l’action publique dans les quartiers défavorisés

L’approche territoriale dans l’action publique peut être définie comme la façon d’agir ou comme le traitement d’un problème public dans l’espace géographique et politique-administratif où il se produit61. Au sujet des quartiers sensibles, l’approche territoriale correspond à une action publique (dès lors institutionnelle) en faveur des zones urbaines défavorisées, ce qui implique de cibler des populations spatialement définies, au-delà des logiques catégorielles des politiques sociales classiques, comme celle des bénéficiaires individuels. Cette action vise la mise en œuvre d’une action compréhensive dans les quartiers, en appelant l’articulation avec plusieurs secteurs publics, traditionnellement dissociés (Avenel, 2007).

b. Définition conceptuelle de l’approche territoriale du programme Quiero mi Barrio

En ce qui concerne cette recherche, et à partir des documents institutionnels de description du programme Quiero mi Barrio, nous pouvons conceptuellement définir l’approche territoriale comme une perspective d’action publique qui cible son attention sur des territoires qui présentent des problèmes de détérioration d’infrastructures, de ségrégation urbaine et de vulnérabilité sociale (Décret Nº14. 22.01.2007 ; MINVU, 2007a, 2008a, 2008b) ; il faut ajouter à cette définition le type de réponse que l’institution donne au problème public qu’elle tente de résoudre : un ciblage territorial des ressources et une gestion urbaine globale et multi-ministérielle. Même s’il existe plusieurs reformulations au long du programme, nous avons préféré les simplifier selon deux moments. Ainsi, pendant le processus de formulation et reformulation du programme Quiero mi Barrio, nous pouvons reconnaître trois composantes, qui ont toutefois des variations pour les deux premières, pour ce qui est de leur spécificité.

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